Peu de répit pour les investisseurs

Erik Fruytier, Gonet & Cie

3 minutes de lecture

Les hausses de taux de la Réserve fédérale commencent à durcir les conditions financières et à freiner la demande.

L’année 2022 a laissé peu de répit aux investisseurs. Après une embellie boursière entre juin et juillet, les marchés ont de nouveau souffert des incertitudes liées à l’évolution de l’inflation et aux craintes de récession. La lutte contre l’inflation reste l’objectif premier des banques centrales quitte à provoquer une récession. Les Américains et les Européens font face à différentes sources d’inflation. Aux États-Unis, elle est surtout le résultat d’une demande excédentaire tandis qu’en Europe, l’inflation provient d’une insuffisance de l’offre énergétique. Les hausses de taux de la Réserve fédérale des États-Unis commencent à durcir les conditions financières et à freiner la demande. Tandis que la mission de la Banque centrale européenne est plus complexe car les hausses de taux n’ont que peu d’influence sur le prix de l’énergie. Ce dernier étant fortement influencé par la guerre en Ukraine. Les actions de la BCE risquent de précipiter l’économie européenne en récession car la demande des consommateurs est nettement moins robuste qu’aux États-Unis. Pour atténuer les effets de la hausse du coût de l’énergie sur le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises, les autorités européennes ont annoncé de multiples plans d’aide à l’échelle nationale et européenne. Ces subventions se chiffrent en dizaines, voire en centaines de milliards d’euros. Plusieurs pays ont déjà annoncé des plans qui se chiffrent entre 1 et 3% du PIB. Ces financements viennent s’ajouter aux montants déboursés pour faire face à la crise du covid. La Commission européenne va proposer un mécanisme pour restructurer le marché de l’électricité. En effet, ce dernier a la particularité de fixer le prix de l’électricité sur la base du coût marginal de production. Lequel est actuellement fortement influencé par la flambée du prix du gaz à cause de la limitation de l’offre par la Russie et de la volonté des Européens de remplir les réservoirs avant l’hiver. La commission recommande également aux pays membres de réduire la consommation d’énergie de 15% cet hiver. Le financement de ces mesures se fera par différents moyens. La Commission européenne veut prélever des taxes sur les profits excédentaires des sociétés productrices d’énergie, mais les États sont libres de choisir d’autres moyens de financement. Le gouvernement suisse suit une autre voie pour l’instant: il soutient les producteurs d’électricité mais n’a pas annoncé un soutien aux consommateurs ou aux entreprises, qui devront donc supporter les hausses de prix.

De plus en plus d’entreprises revoient en profondeur leurs chaînes d’approvisionnement, car la guerre en Ukraine a démontré le risque d’être exposé à des pays susceptibles d’être sanctionnés.

Dans ce contexte économique compliqué, il faut noter la robustesse du marché de l’emploi des deux côtés de l’Atlantique. Le taux de chômage est à des niveaux historiquement bas. Aux États-Unis, les offres d’emploi excèdent largement le nombre des demandeurs. En Europe, la situation est moins tendue mais les entreprises de services peinent à recruter. L’ironie de la situation actuelle est que les banques centrales cherchent à ralentir les économies pour faire baisser l’inflation tandis que les autorités viennent en aide aux consommateurs et entreprises pour atténuer les effets du ralentissement économique. Il n’est donc pas étonnant que les marchés financiers soient très volatils, puisque les investisseurs revoient leurs scénarios à chaque publication de statistiques économiques. Il n’est pas rare de voir la Bourse rebondir sur des signes de ralentissement économique; cela pourrait indiquer que les hausses de taux commencent à avoir des effets sur la demande, poussant ainsi les banques centrales à relâcher la pression. Le meilleur des scénarios pour les investisseurs serait un ralentissement de l’inflation avec un ralentissement modéré de l’économie, le scénario de l’«atterrissage en douceur». L’«atterrissage dur» correspondrait à une récession forte avec une inflation qui resterait au-dessus des niveaux désirés.

Dans ce contexte économique exigeant, il y a plusieurs facteurs externes qui influencent les scénarios. Les autorités chinoises persistent avec la politique du zéro covid, ce qui continue de peser lourdement sur l’activité économique domestique et mondiale. Toutefois, le ralentissement chinois réduit les pressions inflationnistes car la demande est repoussée dans le temps. Le gouvernement chinois multiplie les aides et subventions ciblées, mais pour l’instant elles n’ont pas beaucoup d’effet sur le redémarrage de l’économie.

D’un point de vue géopolitique, plusieurs incertitudes demeurent. La situation en Ukraine n’a pas fondamentalement évolué malgré les contre-offensives de l’armée ukrainienne. Rien n’indique pour l’instant qu’une solution diplomatique puisse être trouvée à court terme. La situation à Taïwan continue d’être tendue car les Américains et les Chinois ne cessent de se provoquer. On constate que de plus en plus d’entreprises revoient en profondeur leurs chaînes d’approvisionnement, car la guerre en Ukraine a démontré le risque d’être exposé à des pays susceptibles d’être sanctionnés.

Dans ce contexte général exigeant, nous continuons de privilégier un positionnement défensif avec une sous-pondération aux actions et aux obligations. Les obligations de qualité vont bientôt redevenir intéressantes car le niveau plus élevé des coupons permet une bonne rémunération. Toutefois, nous devons attendre d’avoir des indications plus claires sur le niveau des taux directeurs. L’analyse actuelle suggère que la Fed pourrait cesser de monter les taux à partir du deuxième trimestre 2023, ce serait un bon signal pour les investisseurs en obligations. L’évolution des actions dépendra de la sévérité du ralentissement économique. Actuellement, les profits d’entreprises anticipent un ralentissement mais pas une récession profonde, il faudra donc rester patient malgré les niveaux intéressants auxquels se traitent beaucoup d’entreprises de qualité. Pour un investisseur avec un horizon temps moyen à long, il y a de belles opportunités à saisir.

A lire aussi...