Peut-on ignorer la saga politique américaine?

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Dans un climat de défiance généralisée, les prochaines élections américaines détermineront le futur des politiques économique et monétaire du pays.

La crispation et la méfiance des électeurs américains atteignent des niveaux jamais vus, alimentant un risque significatif de crise institutionnelle. Les prochaines élections présidentielles sont susceptibles d'accentuer la volatilité des marchés financiers nord-américains ainsi que celle du dollar. Dans ce climat tendu, une interrogation émerge: ces élections annoncent elles la fin de l'exceptionnalisme américain?

Opposition de style et instabilité politique

L'ancien président Donald Trump a lancé sa campagne avec une énergie débordante, éclipsant toute opposition au sein du Parti républicain et multipliant les déclarations «chocs». Sa nomination comme candidat républicain pour l'élection présidentielle de novembre prochain semble inévitable, à moins d'un retournement judiciaire majeur ou d'un improbable problème de santé. Cependant, en cas de déclaration d’inéligibilité, sa mise à l’écart ne suffirait probablement pas à rétablir la sérénité dans le pays. Le climat socio-politique devrait demeurer tendu ces prochains mois, alors que les républicains, d’un côté, continuent leur stratégie de sabotage et de non-coopération au Congrès, et que les démocrates, de l’autre, maintiennent leur cap politique sans compromis. Cette dynamique, bien que prévisible, alimente les préoccupations des observateurs et des marchés financiers.

Le système politique américain, autrefois un modèle de stabilité démocratique, est devenu, ces dernières années, l'un des plus dysfonctionnels parmi les démocraties industrielles avancées.

Pendant ce temps, le Trésor américain a progressivement renfloué ses réserves («Treasury General Account») auprès de la Réserve fédérale (Fed), passant de presque rien à plus de 800 milliards de dollars. Ce niveau est comparable à celui du deuxième trimestre 2022, avant que les réserves de l’époque ne soient épuisées lors de crises politiques antérieures. Cette réserve de guerre offre à l'administration Biden une marge de manœuvre financière pour gérer les affaires courantes sereinement jusqu'à la rentrée et les élections, notamment en cas de nouvelles tentatives de «shutdown» de la part du camp Trump.

L’information: nerf de la guerre

Le système politique américain, autrefois un modèle de stabilité démocratique, est devenu, ces dernières années, l'un des plus dysfonctionnels parmi les démocraties industrielles avancées. Les observateurs les plus pessimistes redoutent une aggravation de cette tendance, attribuée à la prolifération de canaux de désinformation et de vecteurs manipulés par l'intelligence artificielle, devenus plus sophistiqués que jamais. Les élections de l'automne 2024 représentent un test démocratique crucial pour les États-Unis, une nation déjà fortement ébranlée sur la scène internationale par une perte croissante de crédibilité. La question demeure: les géants de la technologie ont-ils réellement la capacité et la volonté d'agir pour contenir ce risque? Les discussions sur un éventuel accord entre eux pour contrer cette menace suscitent des doutes quant à leur efficacité réelle.

Les fractures au sein de la société américaine sont aujourd'hui plus profondes que jamais et semblent irréconciliables à court et moyen terme. Les médias traditionnels, ainsi que la télévision, ont vu leur crédibilité s'effondrer, avec une audience désormais inférieure à 20%. Même les institutions autrefois considérées comme des piliers de la société, telles que l'église et les organisations religieuses, ne parviennent à recueillir qu’un peu plus de 30% d'opinions favorables. La confiance des Américains dans leurs institutions est en chute libre: seulement 27% ont confiance dans la Cour Suprême (contre 45% il y a 30 ans), 8% dans leurs députés et sénateurs (contre 40% auparavant), 26% dans leur Président (contre 50%), et 26% dans leur système d'éducation (contre 58% par le passé)1. Ces chiffres témoignent d’un niveau de méfiance généralisée qui fragilise profondément le tissu social et politique du pays.

Quelles conséquences pour le secteur financier?

À l'approche des élections législatives, le spectre des différentes combinaisons possibles perturbe fortement les prévisions pour l'automne prochain. Les résultats s'annoncent serrés, augmentant ainsi l'incertitude quant aux impacts potentiels. Parmi les hypothèses envisageables, plusieurs scénarios disruptifs se dessinent. Une réélection de Trump avec une majorité au Congrès aurait des répercussions considérables, tant sur le plan intérieur qu'international. De même, si la Fed cédait aux pressions démocrates cet été en adoptant une politique monétaire excessivement accommodante malgré une inflation persistante, ou si Jérôme Powell était remplacé, le dollar et les taux d'intérêt américains seraient fortement affectés.

Une victoire démocrate écrasante conduirait à la poursuite des politiques économiques de l'administration Biden, probablement marquée par une crise inévitable de la dette souveraine et une inflation accrue. En revanche, une cohabitation entre les deux partis offrirait un scénario plus favorable en termes de politique économique, bien que cela ne garantisse pas nécessairement la stabilité sociale. Paradoxalement, sur le plan géopolitique, l’exacerbation des tensions avec la Chine ou la Russie pourrait éventuellement resserrer la cohésion nationale, offrant ainsi une perspective différente dans un paysage politique complexe et incertain.

 

1 Top Risk 2024, Eurasia Group

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