Monnaie unique: «Et si tu n’existais pas...»

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Après des débuts balbutiants et malgré un bilan contrasté, l’euro s’est progressivement imposé dans le paysage financier. Il fait aussi figure de rempart géopolitique.

La monnaie unique ne semble pour l’heure pas totalement convaincre. Lors de son lancement, elle avait déjà été snobée par le Danemark, la Suède et le Royaume-Uni. Depuis son premier jour d’existence, elle a été décriée par la sphère monétaire anglo-saxonne qui annonçait sa mort rapide.

Jacques Delors, son ardent défenseur, reconnaissait d’ailleurs que «l’Union économique et monétaire (c’est-à-dire l’Euro) est très monétaire et pas très économique». La question reste d’actualité, mais entre la zone euro et l’Union à 27, c’est cette dernière qui fait office de référentiel pour les dirigeants européens. L’euro est avant tout resté un outil, plus qu’un véritable levier d’intégration. La monnaie unique est imparfaite, à l’image de la structure politique de l’Union européenne (UE).

Sur le plan financier, l’indice de l’euro pondéré par les échanges commerciaux a pleinement rempli sa mission de stabilisation monétaire.

Il est vrai que l’euro a du mal à s’imposer. Pourtant, il revient au premier plan lorsque l’UE est traversée par de grandes tensions. Il a récemment servi de référence aux emprunts pour le grand plan de relance lors de la pandémie. Par ailleurs, l’idée d’une défense européenne a été relancée le 15 janvier par le commissaire européen Thierry Breton, lors d’une rencontre avec des eurodéputés. Un fonds européen dédié de plus de 100 milliards d’euros serait lancé dans un premier temps. Activement défendue à Davos, l’idée avance rapidement.

Un avènement poussif

L’UE a fêté, très discrètement en janvier 2024, les 25 ans de son union monétaire. Or l’euro, c’est d’abord une très longue période de gestation. L’idée de monnaie commune avait été évoquée lors de la création de la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) en 1951 et de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957. Mais le premier projet concret, de «monnaie commune» date des années 1970. Son détonateur a été la fin de la convertibilité du dollar et, en corolaire, l’instabilité spectaculaire des cours des grandes monnaies. Le Vieux Continent a créé en 1972 le «Serpent Monétaire», puis le Système Monétaire Européen, et lancé l’ECU («European Currency Unit»), monnaie virtuelle limitant les fluctuations des taux de change à 2,5% entre pays de la CEE. Ce système bancal fut éphémère, car miné par l’inflation, la crise de l’acier et l’effondrement du dollar. La création d’une monnaie unique répond donc à ces tentatives infructueuses. Elle intègre trois objectifs; contrer la spéculation, créer un vaste marché des capitaux et approfondir l’intégration européenne.

Né en 1999, la monnaie unique a été favorablement accueillie dans les capitales européennes. A l’occasion d’un baptême du feu involontaire, les devises des onze pays candidats se sont fondues dans l'union monétaire. Elle a, à l’époque, bien résisté à la tornade qui avait emporté les devises asiatiques, latino-américaines et le rouble. Par la suite, la monnaie unique a surmonté quatre crises qui auraient pu être mortelles: la crise financière de 2008, la crise des dettes publiques et de la Grèce de 2010-2012, la crise du Covid et le retour de l’inflation.

Un bilan mitigé

Force est de constater que l’euro facilite non seulement la vie des entreprises mais aussi celle des citoyens de l’UE. Il a également éradiqué le dumping monétaire entre les Etats l’ayant adopté. La détérioration de la géopolitique internationale, et très récemment l’invasion de la guerre en Ukraine en 2022, ont par ailleurs resserré la cohésion européenne, légitimant la nécessité de l’union monétaire. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se sont félicitées d’appartenir à ce club. Nul ne sait quelles pressions leurs monnaies auraient subies autrement. De ce point de vue, l’union (politique) et monétaire est un rempart efficace.

Il reste que le rapprochement entre les économies des pays qui composent l’union monétaire a été moins important que prévu. Et les pays qui n’ont pas adopté l’euro, au premier rang desquels la Suisse et le Danemark, ne déméritent pas. La situation du Royaume-Uni reste elle en suspens. On a entrevu, à l’automne 2022, la vulnérabilité du pays. A contrario, le triomphe électoral de la droite dure et antieuropéenne en Italie et aux Pays-Bas ne semble pas avoir déstabilisé les deux pays.

Sur le plan financier, l’indice de l’euro pondéré par les échanges commerciaux a pleinement rempli sa mission de stabilisation monétaire. Sans rivaliser avec le dollar, l’euro s’affirme, très progressivement, dans le commerce mondial grâce à la taille de son marché et la progression rapide de ses capitaux. Il se pourrait même que les élections présidentielles américaines renforcent, relativement certes, l’attrait exercé par la monnaie unique. 

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