Or: profitons de la trêve des confiseurs

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

3 minutes de lecture

Dans un climat d’incertitudes macroéconomiques et géopolitiques, la décorrélation de l’or par rapport aux autres actifs conforte la valeur de refuge du métal jaune.

L’année s’achève dans la sérénité, après il faut bien l’avouer, de nombreuses péripéties. Affecté par un troisième trimestre très mouvementé, caractérisé par un retour brutal des corrélations entre actions et obligations, le moral des investisseurs est repassé au vert au quatrième trimestre. Rien de plus normal avec la hausse de quasiment tous les actifs. La baisse du dollar, du pétrole et des taux réels a redonné de l’espoir. On est également sorti de l’environnement toxique lié à la pentification à la baisse de la courbe de rendement («bear steepening») qui, a été synonyme irrémédiable de crise conjoncturelle ou boursière par le passé. Mais, de facto, tout n’est pas si simple. On reste en effet dans une corrélation positive entre actions et obligations, que l’on oublie trop vite lorsque tous les marchés progressent. Si de nombreuses inconnues subsistent, une inflation durablement inférieure à 3%, permettrait le retour d’une corrélation négative, plus saine pour les portefeuilles diversifiés.

Le réveil brutal de l’or

L’attrait pour les métaux précieux est ancestral. Pour en analyser le comportement boursier, les observateurs énumèrent des facteurs macroéconomiques, monétaires, géopolitiques, voire liés à la construction de portefeuilles. Certes, on observe statistiquement que, parmi eux, les évolutions du dollar et des taux d’intérêt réels sont très importantes dans la durée. Il n’empêche que durant de longues périodes, cette corrélation peut entièrement s’évanouir. D’ailleurs, le cours de l’once aurait dû se replier avec plus de vigueur que ce qui s’est observé au cours des derniers trimestres, compte tenu de la remontée des taux et du billet vert.

S’il apparaît ardu d’isoler les facteurs expliquant la hausse du cours de l’or, le métal jaune devrait bénéficier de conditions-cadre globales favorables à moyen terme.

Récemment, de nombreux éléments disruptifs ont alimenté ce réveil. On pense bien entendu aux banques centrales émergentes qui ne cessent d’accumuler de l’or (bien qu’elles en possèdent encore bien moins que leurs homologues du G7), à la volonté du groupe élargi des BRICS de se désarrimer du dollar, mais également aux scandales liés aux crypto-monnaies. S’il apparaît ardu d’isoler les facteurs expliquant la hausse du cours de l’or, le métal jaune devrait bénéficier de conditions-cadre globales favorables à moyen terme.

L’hydre de l’instabilité financière

La récente flambée des taux d'intérêt réels et la réapparition de la «prime à terme» témoignent de la méfiance des marchés à l'égard des gouvernements. Les justiciers obligataires sont de retour. L'administration américaine a été particulièrement critiquée pour avoir planifié un déficit budgétaire d'environ 8 % du PIB, malgré une économie forte et, pour l'instant, le plein emploi. On lui reproche de dépenser comme un «marin ivre».  Le chaos actuel des institutions politiques américaines n'est pas de bon augure à court terme, sans parler de la perspective des élections présidentielles, qui se tiendront l’an prochain. Certains craignent une nouvelle dégradation de la note de crédit du pays. Avant de céder au catastrophisme, il faut se rappeler que le secteur privé américain a tiré les leçons de la grande crise financière. Il n'a pas succombé aux sirènes de l'argent gratuit. Bien que le ratio entre la dette privée et le PIB ait augmenté pendant la pandémie, il est aujourd'hui de 150%, contre 170% en 2009. Ce chiffre est crucial pour évaluer la vulnérabilité ou non d'une économie. Certes, la prodigalité du Trésor américain soulève un véritable problème de «cash-flow» et de capacité de refinancement, mais le pays est encore assez loin d’une crise de la dette privée ou même de l’insolvabilité.

Ces dernières décennies, les pays à la dette privée excessive ont été plus vulnérables que ceux ayant une dette publique élevée. C'est le cas du Japon lors de la crise asiatique des années 1990, ainsi que de l'Espagne lors de la crise immobilière de 2010. Alors que la hausse des surendettements européen et asiatique inquiète sérieusement, la Chine et le Canada apparaissent comme les nouveaux suspects principaux. Bien qu’une crise (systémique) de la dette ne paraisse pas imminente, l’instabilité financière continuera d’interférer avec l’action des dirigeants et des banquiers centraux

Le fantasme des «gold bugs»

Les autorités politiques entretiennent une relation ambivalente avec les métaux précieux. L’or a longtemps servi de référence à la monnaie scripturale et fiduciaire. Etabli par les accords de Bretton Woods de 1944, le Gold Exchange Standard était à cet égard un gage de stabilité des taux de change. Puis en 1971, Richard Nixon a brusquement annoncé la fin de la convertibilité du dollar en or. Plus tard, l’or a perdu toute relation directe avec les monnaies, bien qu’intégrée au club très fermé des réserves de change des banques centrales.

Aujourd’hui le cours de l’or est comptabilisé à des niveaux très différents dans les bilans des différents pays. Il est notamment très fortement sous-évalué aux Etats-Unis. Sa réévaluation au cours du marché – décision hautement politique – permettrait de regonfler leur bilan national et de renflouer la Réserve fédérale (Fed). Elle subit en effet actuellement des pertes non-réalisées colossales sur son portefeuille de «treasuries», et continue de subir un effet de «cash-flow» très négatif entre ses revenus financiers et ses dépenses pour rémunérer les réserves bancaires. L’or pourrait redevenir un outil de d’ingénierie financière de dernier recours pour les banques centrales, ce qui renforcerait son attrait global.

Naviguer en eaux troubles

Ces dernières semaines, les conditions financières telles que mesurées par l’indice Goldman Sachs, se sont brutalement détendues et l’or a progressé très rapidement. Ce sont deux indices concordants du rebond de la liquidité et de l’anticipation du relâchement de la politique monétaire. Comme souvent, avant de modifier leurs grandes orientations et leurs taux directeurs, les banques centrales anticipent le ralentissement conjoncturel et veulent contenir les risques d’instabilité financière. La très bonne tenue de tous les actifs risqués consacre le scénario d’un atterrissage conjoncturel en douceur et d’une «immaculate disinflation». Historiquement, c’est l’exception et non pas la règle. Mais le cycle postpandémique est tellement étrange, que rien ne peut être exclu.

A lire aussi...