Délaissé depuis Fukushima, le métal radioactif est désormais convoité pour ses vertus écologiques.
La décarbonisation de la planète vient d’extraire l’uranium d’un bear market de 10 ans, survenu suite à l’incident nucléaire de Fukushima en 2011. La récente accélération de la transition énergétique, que suscite la pandémie du covid, a en effet ravivé l’intérêt et l’appétit pour ce combustible radioactif. Combustible extrêmement efficient de par une intensité des émissions carbones proche de zéro gramme par kilowatt-heure et dont l’énergie récupérable est un million de fois supérieure à celle des sources d’énergie fossiles telles que le charbon.
Rappelons que la décennie baissière durant laquelle ce métal lourd s’est retrouvé englué s’est traduite par un effondrement des prix de plus 50% à 24 dollars en moyenne jusqu’en mars 2020. Mais en provoquant une rupture des chaînes d’approvisionnement, la pandémie s’est accompagnée d’une baisse significative des stocks. Propulsant les cours de l’uranium à plus de 50 dollars en septembre de cette année, un niveau jamais vu depuis 2012. Bien qu’une correction récente (jusqu’à 38 dollars environ) ait suivi cette rapide ascension, celle-ci fut de courte durée, les cours étant revenus à plus de 48 dollars actuellement.
Aussi bien les investisseurs financiers qu’industriels se repositionnent vis-à-vis de ce que de nombreux experts qualifient de super-cycle de l’uranium. À commencer par l’asset manager Sprott Asset Management (Sprott), spécialiste des ressources naturelles physiques, qui a récemment lancé son fonds (fermé) négociable en bourse Sprott Physical Uranium Trust (SPUT) aux États-Unis. Fruit de la restructuration du fonds de placement canadien Uranium Participation Trust (UPC), SPUT est désormais le plus gros détenteur financier d’uranium physique.
En l’espace d’un mois, la valeur nette de ses actifs est en effet passée d’un niveau de 735 millions de dollars à plus de 1,2 milliard actuellement. De 21 millions de livres d’uranium, le stock détenu par le fonds est actuellement de plus de 30 millions de livres (13,6 millions de kilos). «Depuis son lancement le 17 août dernier, SPUT a accumulé en moyenne 138.000 livres d’uranium par jour», précise Justin Huhn, analyste et fondateur de la newsletter Uranium Insider. «En termes annualisés, ceci veut dire que Sprott, qui achète l’uranium en vue de le conserver et non le revendre, représente à lui seul 20% de la demande globale annuelle d’uranium», poursuit-il lors d’une commentaire quotidien de début octobre.
Autres importants participants de marché, les entreprises du secteur industriel, tels que les groupes d’électricité. «D’habitude, les utilities marquent une pause durant l’été et ne reviennent pas sur les marchés avant septembre», a rappelé Askar Batyrbayev, Chief Commercial Officer (CCO) de Kazatomprom, le plus gros producteur mondial d’uranium, basé au Kazakhstan. «Ces entreprises sont revenues plus tôt cette année et certaines ont eu de la chance d’acheter l’uranium avant que Sprott ne lâche sa bombe», poursuit Askar Batyrbayev, à l’occasion d’un webinar organisé par Bloor Street Capital il y a quelques jours.
De son côté, Kazatomprom avait déjà annoncé, début août, son intention d’intensifier ses interventions sur le marché spot, afin de reconstituer les stocks du métal radioactif et répondre ainsi à la demande croissante de ses clients. «L’industrie se dirige vers le nucléaire et nous attendons que l’Union Europe considère celui-ci comme étant nécessaire si elle veut atteindre les objectifs de décarbonisation fixés lors l’Accord de Paris», a insisté Askar Batyrbayev.
«Nous voyons des entreprises d’électricité lancer des appels d’offre pour des projets dont l’exploitation est prévue pour 2024 à 2030. De tels horizons de temps ne s’étaient plus observés depuis longtemps», a assuré le CCO de Kazatomprom, dont le cours de l’action a été multiplié par plus de 2,4 fois depuis le début de l’année (au lundi 25 octobre 2021). L’entreprise kazakh a également annoncé la semaine dernière le lancement de son propre fonds d’uranium physique à la Bourse d’Astana, capitale du Kazakhstan. Après avoir levé un montant initial de 50 millions de dollars, le fonds procédera à une levée de 500 millions de dollars dans une deuxième phase.
Fait notable, UxC, consultant de référence pour l’industrie de l’uranium et réputé conservateur dans ses projections, a pour la première fois de son histoire émis la possibilité que les cours puissent atteindre 80 dollars la livre d’ici les douze prochains mois. S’appuyant également en cela sur la transition énergétique en cours. Des projections qui coïncident avec celles d’Alissa Corcoran, directrice de la recherche de la société de gestion Kopernik Global Investors. Des prévisions justifiées par une demande plus robuste qu’attendue face à une structure de l’offre qui s’avère être verticale, réagissant lentement aux variations de la demande.
«L’accident nucléaire de Fukushima a provoqué une longue période baissière qui a vu les producteurs diminuer leurs exploitations», a-t-elle expliqué lors du webinar précité. «La production qui a été retirée durant cette période n’est toujours pas revenue, il n’y a pas eu d’exploitation de nouvelles mines, pas d’acquisition majeure, et ce alors que les gouvernements commencent à reconsidérer l’énergie nucléaire comme une alternative pertinente en tant que source à très faibles émissions carbones», conclut Alissa Corcoran.
Cette dynamique industrielle explique pourquoi les principaux investissements financiers offrant une exposition à l’uranium ont largement battu le marché. Le fonds NorthShore Global Uranium Mining ETF (URNM) est en hausse de plus de 120% cette année. Avec des actifs nets de plus de 900 millions de dollars, ce fonds concentré de 35 positions investit dans les actions d’entreprises actives dans l’extraction, la production et le développement d’uranium. De son côté, Global X Uranium ETF (URA), en hausse de 84% cette année, offre une exposition à 44 entreprises actives dans la production et la fabrication de composants nucléaires.