Pas de quoi se réjouir

Christopher Dembik, Saxo Bank

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La flambée généralisée des prix des produits alimentaires affecte la consommation dans les pays développés.

Photo: Saxo Bank

La flambée des prix de l’alimentation sape le pouvoir d’achat des ménages dans les pays développés. Le quintile des ménages recevant le revenu le plus bas est le plus vulnérable à cette hausse record des prix de l’alimentaire. Même certains ménages plus favorisés ont du mal à faire face à cette nouvelle situation, et sont confrontés à des dilemmes cornéliens (par exemple, choisir entre acheter des pâtes ou de la viande). A court terme, cette situation pourrait être amenée à empirer. Une forte baisse de la consommation est par conséquent à prévoir au cours des prochains trimestres. Elle est déjà une réalité dans certains pays (en Suisse ou en France par exemple). Il s’agit d’une situation à surveiller de près, car le risque de stagflation rôde, comme celui, par endroits, de récession.

L’indice des prix alimentaires publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a grimpé de 12,6% entre février et mars. Il se situe actuellement à son plus haut niveau depuis 1990 (date de création de l’indice). Le précédent record avait été établi en 2011 (à 137, contre 159 aujourd’hui). Des facteurs à la fois temporaires et structurels contribuent à cette hausse des prix mondiales: hausse du coût de la main-d’œuvre, des transports maritimes, des matières premières, associée à de mauvaises conditions météorologiques (par exemple, la vague de chaleur qui frappe l’Inde et le Pakistan), aux restrictions d’exportation, à la forte demande en divers aliments (le poulet et d’autres viandes dans plusieurs pays développés) ou en biocarburants alimentés par les spéculateurs.

De nombreuses denrées alimentaires ignorent l’élasticité des prix et ne réagissent pas aux fluctuations. Mais pas toutes.

 La situation devrait empirer, tout du moins à court terme. Nous savons déjà à quel point les pays émergents et en développement sont vulnérables face aux fluctuations des prix des produits alimentaires (32 pays d’Afrique importent plus ou moins 90% des denrées de première nécessité). Cela se traduit par une plus forte instabilité politique dans le monde émergent. Mais ce qui est nouveau, c’est que la flambée des prix frappe tout autant les pays développés. Certains d’entre eux assistent à une forte hausse des salaires depuis la reprise de l’économie (même dans la zone euro, où les salaires regagnent enfin du terrain), mais cela ne suffit pas à faire face à la hausse de l’inflation. Le quintile de revenu le plus bas du monde développé (environ 15-20% des ménages) va certainement être confronté à une sévère compression de ses revenus dans les mois à venir.

De nombreuses denrées alimentaires ignorent l’élasticité des prix et ne réagissent pas aux fluctuations. Mais pas toutes. On dit qu’un prix est inélastique lorsque son augmentation n’entraîne pas de baisse de sa consommation (la plupart du temps, parce que le produit est considéré comme essentiel). Selon le département américain de l’alimentation, l’élasticité du prix du pain et des céréales aux Etats-Unis est de 0,04, c’est-à-dire bien en dessous de 1,0, et ces produits ne réagissent donc pas aux fluctuations. Tout à fait logique. Le pain et les céréales sont souvent les denrées de base de la liste de courses des ménages les plus pauvres. Et ils n’ont pas de substituts évidents. Des études montrent qu’une forte augmentation (par exemple, à deux chiffres) des prix des denrées de première nécessité n’entraîne qu’une faible baisse de leur consommation. Le département américain de l’alimentation prend l’exemple d’une hausse de 25% du prix du pain entraînant un recul de 1% de la consommation.

La flambée des prix va entraîner une forte baisse de la consommation.

Toutefois, les prix de certaines denrées sont élastiques, comme l’alimentation hors domicile, les jus de fruits, les boissons sans alcool, etc. Selon le département américain de l’alimentation, une hausse de 10% du prix des boissons sans alcool entraînerait une baisse de leur consommation de 8 à 10% en moyenne. Les ménages les plus pauvres font maintenant face à un choix difficile entre manger des pâtes ou manger de la viande fraîche. C’est aussi simple que ça. Une étude de l’Insee montre que lorsque les prix des céréales et des pâtes augmentent de 1% en moyenne, la quantité de viande consommée en France par exemple baisse de 0,23%. Pour faire simple, les ménages abandonnent ce qu’ils perçoivent comme la dépense la plus chère ou la plus luxueuse sur la liste de courses.

La flambée des prix va entraîner une forte baisse de la consommation. Dans le contexte actuel de forte inflation prolongée, la consommation de denrées alimentaires de première nécessité (prix inélastiques) va probablement rester stable dans la plupart des pays développés. Mais la consommation va chuter pour les autres denrées alimentaires et les dépenses non nécessaires (voyages, électronique, hôtels, etc.). Plusieurs pays connaissent déjà une baisse considérable de la consommation. En France, le volume de consommation des biens des ménages a chuté de 1,3% en mars 2022. Cette baisse s’explique principalement par celle de la consommation de nourriture (moins 2,5%). En regardant de plus près, cela ne concerne que la demande en denrées aux prix inélastiques (sucreries et sucre, œufs, fromage, etc.), ce qui constitue une source d’inquiétude.

Dans la plupart des pays développés, la consommation est en effet le principal moteur de la croissance économique. Cela fait augmenter le risque de stagflation voire, dans certains cas, de récession (par exemple, au Royaume-Uni). Cette situation pourrait entraîner une agitation politique. Là où je me trouve actuellement (dans le bureau parisien de Saxo), je ne serais pas surpris que les manifestations se multiplient après la pause estivale, pour protester contre la hausse du coût de la vie et le prix trop élevé des denrées alimentaires (n’oublions pas que le mouvement des gilets jaunes en 2018 est né de l’augmentation du prix des carburants). Ce qui est certain, c’est que nous n’allons pas connaître de nouvelles Années folles, comme le pensaient certains collègues lors de la reprise de l’économie des pays développés au printemps dernier. Les perspectives économiques n’ont rien de réjouissant.

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