Pas de bulle spéculative sur les marchés des actions

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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A l’échelle mondiale, les cours des obligations sont si élevés qu’un quart des émissions obligataires présente un rendement négatif.

Les environnements de marché caractérisés par des taux de financement abordables, par un accès facile aux investissements, par une incitation à la spéculation et par une «étincelle» technologique ou politique ont tendance à aboutir à la formation de bulles. Aujourd'hui, toutes les conditions préalables à ce phénomène sont réunies. Faut-il s’en inquiéter?

Les coûts de financement sont historiquement bas. De nouveaux participants font leur entrée sur les marchés. Et l'importante épargne accumulée, conjuguée à la faiblesse des rendements attendus pour les actifs traditionnels, incite à la spéculation. Dans le même temps, l'accélération de l'essor du digital entretient un discours séduisant autour du progrès technologique, tandis que le niveau élevé de la dette oblige les responsables politiques à soutenir les marchés d'actifs.

L'an dernier, la Recherche d’UBS faisait remarquer que les taux d'intérêt extrêmement bas et les mesures de relance prises par les gouvernements pousseraient les investisseurs à se faire à l'idée qu'il n'y a pas d'alternative aux actions. Cette idée fait désormais consensus et aboutit à des bulles spéculatives isolées, d'autant que les conditions préalables sont réunies.

L’engouement pour les actions

A l’échelle mondiale, les cours des obligations sont si élevés qu’un quart des émissions obligataires présente un rendement négatif. La capitalisation boursière de Tesla dépasse désormais celle cumulée de tous les autres constructeurs automobiles européens, japonais et américains.

Le marché US des IPO est effervescent depuis plus de vingt ans,
avec une performance de l'ordre de 40% lors de la première séance de cotation.

Aux Etats-Unis, le marché des introductions en Bourse est effervescent comme jamais depuis plus de vingt ans, avec une performance de l'ordre de 40% lors de la première séance de cotation. Les sociétés d'acquisition à vocation spécifique (SAVS ou SPAC en anglais) surfent sur l'engouement des investisseurs pour les introductions en Bourse. Elles ont levé plus de 70 milliards de dollars en 2020: c’est plus que le montant cumulé levé lors des dix années précédentes. De son côté, le Bitcoin a vu son cours quasiment quadrupler en l'espace de seulement trois mois.

Néanmoins, la Recherche d’UBS pense qu'il n'y a pas de bulle sur les actions dans leur ensemble. En revanche, on décèle des signes d'exubérance irrationnelle sur les marchés des cryptomonnaies, des introductions en bourse et des SAVS/SPAC. Tour d’horizon en trois points.

  • Premièrement, la valorisation des indices boursiers est somme toute raisonnable compte tenu de la faiblesse des taux d'intérêt. Si l'on se réfère à la prime de risque actions, en comparant le rendement réel des actions et les rendements obligataires de référence, les actions semblent attrayantes par rapport aux obligations. De nombreux indicateurs suggèrent l'existence d'une bulle sur les emprunts d'Etat, même s'il est peu probable que cette dernière éclate car elle est justement entretenue par les responsables politiques. Et, alors qu'un nouvel effort de relance budgétaire vient s'ajouter à une politique monétaire déjà accommodante, l'activité économique et les bénéfices semblent bien partis pour rebondir.
  • Deuxièmement, de vastes pans du marché ne sont pas surévalués d'un point de vue historique. Par exemple, abstraction faite des titres FAAMNG (Facebook, Amazon, Apple, Microsoft, Netflix et Google), l'indice S&P 500 n'a progressé que de 6% l'an dernier. Corrigés des valeurs cycliques, les PER (ratio cours sur bénéfices) sont proches ou inférieurs à leur moyenne de long terme dans tous les grands marchés, hormis aux Etats-Unis, où les valorisations sont artificiellement élevées à cause des géants technologiques.
  • Troisièmement, l'effet de levier reste mesuré pour le moment. Par exemple, la dette des traders sur marge rapportée à la capitalisation boursière du S&P 500 est inférieure à la normale observée pendant une bonne partie de la dernière décennie.
En cas d'éclatement de bulles isolées, cela devrait limiter
les répercussions économiques et l'impact sur les bénéfices des entreprises.

Par expérience, on sait aussi que les rebonds des marchés ne durent pas éternellement. En conséquence, dans les mois à venir, il faudra notamment prêter attention aux risques de virage dans la politique monétaire et de hausse des valorisations boursières, ainsi qu'au rythme de la reprise économique une fois tournée la page de la pandémie. L'éclatement des bulles peut, lorsque les circonstances s'y prêtent, engendrer une dégradation de la conjoncture économique et avoir un impact sur le marché des actions quand bien même ce dernier n'est pas dans une situation de bulle.

Toutefois, les pans du marché qui sont peut-être aujourd'hui dans cette situation (par exemple, les cryptomonnaies) ne semblent pas étroitement liés au système financier et ne sont pas particulièrement dépendants des capitaux ou de la main d'œuvre. En cas d'éclatement de bulles isolées, cela devrait limiter les répercussions économiques et l'impact sur les bénéfices des entreprises.

La diversification est de mise

Dans ce contexte, la Recherche d’UBS reste encline à prendre des risques. Mais il est recommandé de diversifier l’exposition aux actions tout en évitant certaines des grandes gagnantes de 2020 (en particulier les mégacapitalisations américaines) et au profit de certaines actions émergentes à la valorisation plus raisonnable que les actions mondiales.

En Asie, la préférence va aux actions chinoises qui sont portées par une forte croissance des bénéfices, par la dissipation de l'incertitude politique au plan intérieur et international, ainsi que par une politique monétaire accommodante. Par ailleurs, il est également conseillé de ramener l’exposition aux actions britanniques en terrain neutre après leur belle performance ces derniers temps.

Sur les marchés obligataires, compte tenu de la faiblesse persistante des rendements, la Recherche d’UBS apprécie les obligations souveraines émergentes en devise forte et les obligations à haut rendement asiatiques. Pour accroître la valeur d'un portefeuille à long terme, une exposition diversifiée à des entreprises spécialisées dans la 5G ou les technologies financières («fintech»), vertes («greentech») et médicales («healthtech»), ainsi qu'aux actifs non cotés est recommandée.

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