Parties prenantes en quête de valeurs

Antoine Mach, Covalence SA

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Collaborateurs, consommateurs et investisseurs préfèrent les entreprises dotées d’une raison d’être et exprimant des convictions.

Chaque mois, aux Etats-Unis, des millions de personnes donnent leur démission. Pour quelles raisons? Pour des questions de salaire, d’avantages sociaux, de flexibilité mais aussi, et avant tout, de sens: ces personnes veulent trouver un sentiment d’utilité et une identité partagée avec leur employeur, comme l’indique une étude de McKinsey1 publiée l’automne passé.

Ce mouvement récent (2021) a été qualifié de Grande Démission (Great Resignation), après la Grande Dépression de 1930 et la Grande Récession de 2008, par Anthony Klotz, professeur de psychologie organisationnelle. Les jeunes générations, en particulier, portent de nouvelles aspirations allant au-delà du salaire et de l’avancement et privilégiant la flexibilité et le sens de leur travail2. En France, les salariés comptent sur les entreprises pour défendre les valeurs républicaines, selon une enquête de l’IFOP pour Havas Paris publiée au printemps 2021. 

Plus qu’auparavant, les clients souhaitent que l’offre des marques soit en phase avec leurs propres convictions.

Les préférences des consommateurs sont aussi influencées par leurs valeurs, selon l’étude Global Trends Study 2021 publiée en novembre par IPSOS3. Plus qu’auparavant, les clients souhaitent que l’offre des marques soit en phase avec leurs propres convictions. Ils attendent des entreprises qu’elles réduisent les nuisances environnementales et prennent position sur les enjeux sociétaux. La moitié des répondants sondés en 2021 par Taluna estiment que les marques devraient être un moteur de changement social.4 


 

Comment réagissent les investisseurs? Si l’on suit Larry Fink, patron de BlackRock, gestionnaire d’actifs pour le compte d’investisseurs institutionnels comme les fonds de pension, cette question des valeurs est au cœur du succès futur des entreprises. Celles-ci doivent définir et exprimer leur raison d’être (purpose) afin d’attirer et de conserver les talents et de répondre aux attentes de leurs clients. C’est le cœur du message figurant dans sa dernière lettre annuelle aux CEO.5

Larry Fink se défend de suivre en cela un agenda idéologique. Il ne se situe pas dans le «wokisme» mais dans le capitalisme, un capitalisme des parties prenantes (stakeholder capitalism) reposant sur une vision à long terme où les intérêts de l’entreprise et de ses collaborateurs, clients et fournisseurs se rejoignent. 

Le discours gagnant-gagnant, l’idée d’un alignement des intérêts des entreprises et de ceux de leurs parties prenantes, n’est pas toujours bien perçu.

En France, on retrouve cette vision dans le statut d’entreprise à mission, formalisé par la loi Pacte de 2019. Mirova, filiale du groupe Natixis spécialisée dans l’investissement durable, recommande son adoption par les entreprises dans lesquelles elle investit. Récemment, c’est par lettre ouverte qu’elle a demandé au groupe Orpea de se doter du statut d’entreprise à mission, suite aux révélations de mauvais traitements infligés à des résidents de maisons de retraite gérées par le groupe; cette démarche devrait permettre à Orpea de définir une raison d’être en phase avec son activité d’intérêt public et d’améliorer sa gouvernance6.

Le discours gagnant-gagnant, l’idée d’un alignement des intérêts des entreprises et de ceux de leurs parties prenantes, n’est pas toujours bien perçu. Il suscite des réactions sceptiques et alimente les procès en greenwashing, voire les rejets de l’idée même d’économie durable. A court-terme, il est en effet contredit lorsque les marchés boursiers valorisent les licenciements et sanctionnent les investissements en faveur de la durabilité.

Cependant, si l’on considère l’importance des collaborateurs et des consommateurs dans le succès des entreprises, leurs aspirations croissantes en termes de valeurs et de raison d’être, et la perspective des investisseurs à long terme, alors le modèle gagnant-gagnant, le capitalisme des parties prenantes, devient plus consistant, crédible et réaliste.

 

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