Coût et crédibilité des engagements ESG

Antoine Mach, Covalence SA

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Suite à la parution d’un rapport évoquant les coûts des efforts de Nestlé pour la durabilité, l’action a perdu 2,7% en bourse. Réactions d’analystes financiers.

De retour de congé, reposé, encore imprégné de la semaine Building Bridges consacrée à la finance durable fin 2021, on se réjouit d’entamer 2022 dans un état d’esprit gagnant-gagnant lorsque l’on parcourt les récentes chroniques boursières. Et c’est la douche froide: le 5 janvier, le cours de l’action Nestlé a perdu 2,7% suite à la parution d’un rapport de Jefferies qui modifie son appréciation de «garder» à «sous-performance», car le coût des matières premières, et ceux des engagements pour la durabilité, «devraient peser sur les marges en 2022».

C’est le deuxième motif qui nous préoccupe particulièrement: ainsi, le marché aurait-il sanctionné le géant de Vevey en raison de ses efforts pour améliorer sa performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG)? Sur la plateforme Refinitiv, l’information est en rouge, signe qu’elle est jugée d’importance.

L’auteur principal de ce rapport, Martin Deboo, qualifie les engagements ESG de Nestlé d’«agressifs». Sont visés le plan d’investissement de 2 milliards de francs annoncé en 2020 pour financer l’économie circulaire du plastique, et les 3,2 milliards de francs dédiés à l’agriculture régénérative et à l’électricité issue d’énergies renouvelables. L’analyste estime que ces dépenses d’un milliard par an sur les 5 prochaines années pèseront sur les marges. Ceci-dit, le rapport de Jefferies donne plusieurs motifs à sa décision de revoir à la baisse sa recommandation concernant le titre: engagements ESG et inflation du coût des matières premières, mais aussi sensibilité des investisseurs à la hausse des taux d’intérêt et normalisation post-COVID qui devrait réduire les dépenses pour le café consommé à domicile et pour l’alimentation des animaux de compagnie.

La dimension durabilité n’est pas la principale cause de la baisse du cours de Nestlé le 5 janvier.

Qu’en pensent d’autres analystes financiers? Les trois que nous avons joints s’accordent pour estimer que la dimension durabilité n’est pas la principale cause de la baisse du cours de Nestlé le 5 janvier. Pour Bruno Monteyne, analyste senior chez Bernstein, tout comme pour Jon Cox, Head of Swiss Equities chez Kepler Cheuvreux, cette baisse est surtout due à un changement de sentiment du marché: dans un contexte de hausses attendues des taux d’intérêts, les investisseurs se tournent vers des valeurs moins coûteuses; et certains ont réalisé les profits générés par le titre l’an passé. Pour Pascal Boll, analyste actions chez Stifel Financial Corp., c’est surtout l’évolution potentielle des modes de consommation en 2022 (on consommera moins à la maison et plus à l’extérieur) qui a joué en défaveur de Nestlé, et ce sont des investisseurs à court-terme comme des hedge funds qui ont vendu le titre en début d’année.

Les trois analystes s’accordent à dire que les engagements ESG de Nestlé étaient bien connus depuis plusieurs mois et que leur coût a déjà été intégré par le marché. Ils convergent aussi sur leur pertinence. «La durabilité est un avantage compétitif: à terme les consommateurs des pays riches seront prêts à payer plus pour des biens produits de façon durable et se détourneront des produits non durables» estime ainsi Jon Cox. Le regard de Bruno Monteyne: «Les investisseurs favorisent rarement les coûts, mais ceux nécessités par une transition vers des chaînes d’approvisionnement plus responsables sont essentiels. A mon sens, peu d’investisseurs à long terme ont vendu le titre Nestlé depuis la publication du rapport de Jefferies. Nestlé fait les bonnes choses du point de vue moral et du point de vue compétitif, sachant que les réglementations deviennent plus strictes, particulièrement au sein de l’Union européenne.» Enfin, selon Pascal Boll, «les investissements liés à une approche durable sérieuse ne rapportent peut-être pas à court terme, mais en tout cas à long terme».

Le fait même de l’évocation d’enjeux ESG dans une chronique boursière révèle une prise en compte croissante de ces enjeux par le marché, à court terme et à long terme.

Alors qu’on a beaucoup parlé de greenwashing en 2021, cet épisode vient, a contrario, montrer que l’action authentique en faveur de la durabilité implique des investissements conséquents. On pourrait alors interpréter le rapport de Jefferies comme une indication de la crédibilité des efforts ESG de Nestlé. «Oui, ce rapport montre les vrais coûts de l’ESG, estime Bruno Monteyne. Mais encore une fois, ces coûts sont bien connus et ont été largement présentés aux investisseurs ces derniers mois.»

L’appréciation des analystes interrogés est plutôt rassurante: la récente baisse du cours de Nestlé n’est pas due principalement à ses engagements pour la durabilité, des investissements jugés nécessaires pour le succès futur de l’entreprise. Le fait même de l’évocation d’enjeux ESG dans une chronique boursière révèle une prise en compte croissante de ces enjeux par le marché, à court terme et à long terme. En attendant de prochaines manifestations de ce phénomène, on envisage, en fin de compte, la nouvelle année avec une dose raisonnable d’optimisme.

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