Greenwashing et finance – Partie 2: chercheurs et militants se penchent sur la gestion indicielle, les Etats-Unis et la Suisse.
Depuis quelques mois, les autorités de surveillance des marchés boursiers enquêtent sur des allégations de greenwashing dans la gestion d’actifs (voir partie 1 de cette série d’articles)1. Ce thème a aussi fait l’objet d’études conduites récemment par des organisations internationales, des universités et des ONG.
Dans un rapport publié début octobre et portant sur «l’investissement ESG et la transition climatique», l’OCDE note ainsi que plusieurs éléments limitent l’efficacité de l’investissement ESG en matière climatique, notamment une «clarté inadéquate quant à la manière dont l’intégration ESG influence l’allocation d’actifs».2 Formulés en termes certes plus diplomatiques, ces propos font clairement écho à la notion de greenwashing. Celle-ci est abordée frontalement dans une étude de l’EDHEC Business School largement commentée depuis sa publication le 21 septembre dernier3. Elle analyse des portefeuilles commercialisés sur le thème de la lutte contre le changement climatique et de l’alignement vers des stratégies «net-zéro».
Le périmètre de cette étude se limite aux stratégies d’investissement passives, ou indicielles, qui répliquent la composition d’un indice, par opposition à la gestion active, qui permet de choisir librement les composants d’un portefeuille. Les chercheurs de l’EDHEC évaluent à 12% seulement le poids des donnés climatiques utilisées dans la construction de ces portefeuilles, contre 88% pour les données purement financières telle que la capitalisation boursière. Ils en déduisent que l’argument vert est utilisé abusivement par les promoteurs de ces produits.
Les reproches adressés à la gestion indicielle «climatique» rejoignent les critiques portant plus largement sur la gestion indicielle «durable». Ces critiques estiment qu’une gestion vraiment durable devrait être active, de conviction, reposer sur des allocations sélectives et ne pas se contenter de coller à des indices principalement basés sur la capitalisation boursière avec quelques critères d’exclusion et une touche de sur- ou sous-pondération selon le score ESG des sociétés. Les promoteurs de la gestion indicielle, eux, admettent que leur marge de manœuvre, au stade de la sélection des titres, est réduite. Ils soulignent en revanche l’importance de la phase post-investissement, celle de l’engagement actionnarial et du dialogue avec les sociétés investies, comme moyen de générer un impact environnemental positif.
On le voit, la crédibilité des stratégies de gestion passive à vocation durable est mise en question. La gestion active n’échappe pas aux reproches d’écoblanchiment, mais ceux-ci sont plus nuancés. En 2020, des chercheurs du Georgia Institute of Technology et de Northwestern University4 ont analysé les gestionnaires américains ayant signé les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI), qui est la principale organisation formalisant la finance durable au plan international. Leur conclusion: seule une minorité des signataires ont amélioré le profil ESG de leurs investissements, les autres n’utilisant le label PRI qu’à des fins de marketing.
Les auteurs d’une publication récente du Swiss Finance Institute parviennent à une conclusion similaire: aux Etats-Unis, les gestionnaires d’actifs ayant signé les PRI n’affichent pas de meilleurs profils ESG que les non-signataires. En revanche, d’après ces chercheurs, la situation est meilleure dans les autres régions du monde, où les gestionnaires joignent davantage le geste à la parole et où les manifestations de greenwashing sont moins répandues.5
Qu’en disent les organisations non gouvernementales (ONG)? ShareAction, qui promeut l’investissement responsable, rejoint en partie les conclusions des universitaires cités plus haut, estimant que les Etats-Unis sont en retard, par rapport à l’Europe, en gestion des risques ESG. Cela dit, son appréciation globale est sévère: plus de 50% des asset managers démontreraient en effet une approche de gestion des risques ESG «très limitée».6
Le WWF s’est focalisé sur le comportement de 22 gestionnaires d’actifs leaders en ESG (rating PRI A+), dans une étude parue début 2021.7 Si elle salue d’importantes premières étapes accomplies dans la prise en compte des risques liés au changement climatique, l’organisation environnementale souligne aussi des carences dans la divulgation des politiques liées aux énergies fossiles et des stratégies de décarbonation des portefeuilles.
Enfin, Greenpeace s’est intéressée récemment à la situation prévalant en Suisse et au Luxembourg.8 D’après l’ONG, les fonds d’investissement dits durables «ne soutiennent pas suffisamment la réorientation des capitaux vers des activités durables» et le risque de greenwashing «reste conséquent». Des militants de Greenpeace Suisse ont aussi joué les clients mystère auprès d’une vingtaine de banques dans le but d’évaluer la qualité du conseil et des produits d’investissement durable offerts par ces établissements.9 Résultats: la qualité des conseils en matière d’investissements durables serait médiocre et certains des produits d’investissement considérés comme respectueux du climat ne seraient en rien compatibles avec l’accord de Paris. En l’absence de travaux comparables menés parallèlement dans d’autres pays, il est difficile d’en tirer des conclusions sur le niveau réel de la Suisse et du Luxembourg en matière d’offre de solutions de placement durables.
Reste que le climat, c’est le cas de le dire, est tendu. Dans le monde de la gestion d’actifs, les accusations de greenwashing font réagir. Ce thème devient un enjeu compétitif entre sociétés et places financières. «Le greenwashing menace l’industrie entière» estime Mike Judith, du Norvégien DNB Asset Management. Et ce dernier d’enfoncer le clou: «Les données ESG et carbone doivent être intégrées dans le système de gestion des portefeuilles. Au sein des institutions progressistes, ces données ne sont pas seulement mises à disposition des professionnels de l’investissement, elles sont utilisées systématiquement. Ne pas le faire crée des risques financiers et menace la crédibilité, comme ce que l’on voit actuellement en Suisse.»10 Ambiance…
L’événement Building Bridges11, qui se tiendra à Genève du 30 novembre au 2 décembre, donnera l’occasion à la place financière suisse de défendre la qualité et la crédibilité de ses engagements en faveur de la durabilité.
2 https://www.oecd.org/finance/ESG-investing-and-climate-transition-market-practices-issues-and-policy-considerations.pdf
3 https://www.edhec.edu/sites/www.edhec-portail.pprod.net/files/210921-1_doing_good_or_feeling_good.pdf
4 https://papers.ssrn.com/sol3/Delivery.cfm/SSRN_ID3602346_code2099903.pdf?abstractid=3555984&mirid=1
5 https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3525530
6 https://shareaction.org/reports/point-of-no-returns-a-ranking-of-75-of-the-worlds-asset-managers-approaches-to-responsible-investment
7 https://www.resilientportfolios.org/storage/documents/2020-01-24%2009-44-23__5e2a4bf7a036e__WWF_Sustainable%20Finance%20Report%202020_RESPOND.pdf
8 https://www.greenpeace.ch/fr/publication/69237/fonds-investissements-durables/
9 https://www.greenpeace.ch/fr/story-fr/72973/des-militants-greenpeace-testent-les-banques/
10 https://www.finews.com/news/english-news/47946-dnb-asset-management-greenwashing-investing-esg-mike-judith?
11 https://www.buildingbridges.org