Les autorités de surveillance entrent dans la danse

Antoine Mach, Covalence SA

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Greenwashing et finance – Partie 1: en forte croissance, la gestion durable fait l’objet d’accusations d’écoblanchiment.

Tapez «finance durable» dans Google Images et vous verrez d’abord des plantes vertes qui poussent sur des pièces de monnaie. Puis viendront les panneaux solaires et les éoliennes. Derrière ces images promettant un avenir harmonieux, le monde de la finance durable est aujourd’hui secoué par une polémique qui suscite la publication de rapports accusateurs, des vocations de repentis lanceurs d’alertes, l’activation d’enquêtes officielles et des critiques entre confrères: le greenwashing.

Le terme de greenwashing, ou écoblanchiment en français, a été forgé en 1986 par Jay Westerveld, un chercheur et environnementaliste américain. Sortant d’un motel où un écriteau l’incitait à réutiliser les serviettes de bain pour protéger l’environnement, il avait estimé que cette initiative n’était pas motivée par une préoccupation écologique authentique mais par un souci de réduction des coûts1. Depuis, on a défini le greenwashing comme une forme de marketing trompeur présentant de façon abusive une entreprise ou un produit comme «vert»2, ou comme une situation dans laquelle une entreprise dépense davantage de moyens pour communiquer sur ses actions vertes plutôt que pour les mettre en œuvre3. En finance, les autorités de surveillance des marchés financiers définissent le greenwashing comme une fausse représentation, par un gérant d’actifs, du profil de durabilité de son organisation ou de ses produits d’investissement4.

Ces dernières années, le greenwashing en finance a fait l’objet de plusieurs études académiques et rapports d’organisations non gouvernementales.

En février 2021, l’allemande DekaBank a été menacée d’action en justice par une agence de protection des consommateurs du Bade-Wurtemberg en raison d’un calculateur d’impact adossé à ses fonds de placement5. Cet outil indiquait par exemple qu’un investissement de € 10'000 correspond à une réduction de 575 kg de CO2 équivalente à un trajet de 3,5 km en voiture diesel. Pour l’agence, il y a abus, car la précision qu’il s’agit d’effets indirects basés sur des estimations n’apparaît qu’en petites lettres en note de bas de page. Tout en rejetant ces accusations et en défendant le bien-fondé de cet outil, DekaBank a accepté de retirer son calculateur d’impact afin de ne pas s’embarquer dans une procédure judiciaire6.

Ces dernières années, le greenwashing en finance a fait l’objet de plusieurs études académiques et rapports d’organisations non gouvernementales. Ce thème représentait jusque-là un risque de réputation, en enjeu en termes d’image, plutôt qu’un risque légal. Mais les choses sont en train de changer:  les autorités de surveillance des marchés financiers commencent en effet à mettre leur nez dans les pratiques de marketing entourant les produits d’investissement durable. La SEC (USA) et la BaFin (Allemagne) enquêtent actuellement auprès de DWS, gérant d’actifs appartenant en majorité à Deutsche Bank, en raison de soupçons de greenwashing. Cette enquête a été déclenchée suite à la publication d’un article du Wall Street Journal (WSJ) le 1er août dernier. Celui-ci donne la parole à Désirée Fixler, responsable de la durabilité chez DWS de juin 2020 jusqu’à son licenciement en avril 20217.

Selon Mme Fixler, DWS affirme dans son rapport annuel 2020 que la durabilité est au cœur de ses préoccupations et qu’un processus d’intégration des facteurs Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) est appliqué à plus de la moitié de ses actifs sous gestion, alors qu’en réalité seule une petite minorité des actifs sont concernés. Pour la lanceuse d’alerte, DWS n’a pas défini de stratégie claire en matière d’intégration ESG et c’est pour avoir soulevé ce problème en interne qu’elle a été licenciée. Se considérant victime d’un licenciement abusif, elle a porté le cas devant la justice. De son côté, DWS rejette les accusations de greenwashing, assume le contenu de son rapport annuel 20208 et indique s’être séparé de Mme Fixler parce que dans sa fonction de responsable de la durabilité elle n’a pas réussi à susciter la «traction attendue».

Dans la foulée de la publication de l’article du WSJ le 1er août, le cours boursier de DWS a perdu plus de 10% et il stagne depuis lors9. Sachant que 3 milliards de dollars sont chaque jour canalisés vers des produits d’investissement durable10, on peut comprendre l’inquiétude des investisseurs face à ces accusations de greenwashing. Pourtant, la réaction négative du marché à l’égard de DWS est excessive, selon des analystes de Citigroup, car les régulateurs auront du mal à prouver des agissements illicites étant donné le caractère subjectif de la notion de durabilité11.

Cette affaire DWS fait couler beaucoup d’encre et suscite des inquiétudes chez les gérants d’actifs et, plus largement, au sein des places financières se disputant le leadership international en matière de finance durable. La Suisse est dans la course. Pour le Conseil fédéral, «la place financière suisse doit renforcer son rôle de référence mondiale en matière de services financiers durables12.»  D’ailleurs, nos autorités verraient bien Genève accueillir le futur International Sustainability Standards Board13. Dans ce contexte, la peur du greenwashing règne («Greenwashing Angst»), d’après finews.com, et l’on attend avec anxiété les premiers résultats des enquêtes initiées dans notre pays par la FINMA, laquelle a lancé des «inspections de durabilité sur site» faisant suite à des contrôles préalables ciblant la gestion d’actifs14. Nous y reviendrons.

 

4 Recommendations on Sustainability-Related Practices, Policies, Procedures and Disclosure in Asset Management, Report of the Board of the International Organization of Securities Commissions (IOSCO), 30 juin 2021; https://www.iosco.org/library/pubdocs/pdf/IOSCOPD679.pdf
10 D’après Morningstar cité par le Wall Street Journal

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