«Every breath you take, every move you make...»

Julien Serbit, Prime Partners

3 minutes de lecture

Les banquiers centraux, à travers les instruments de politique monétaire ont pris une importance prépondérante dans les résultats de la gestion d’actifs.

Comme le chantait magnifiquement Sting et son groupe The Police au début des années 80, l’âme humaine se retrouve parfois suspendue aux moindres faits et gestes d’autrui. Il n’est pas ici question d’amour (encore que le sentiment de marché soit un concept souvent discuté) mais bien de l’ultra dépendance des marchés financiers aux banquiers centraux et à chacune de leur parole. Il parait bien compliqué pour les investisseurs de ne pas s’intéresser à la politique monétaire et à son évolution, qu’elle se montre accommodante comme après 2008 ou restrictive comme récemment afin de lutter contre l’inflation. Ne dit-on pas fréquemment dans le petit monde des financiers «don’t fight the Fed»? Autrement dit et sans jargon, ne prenez pas de paris qui iraient trop à l’encontre de la politique monétaire en vigueur ou des anticipations qu’une majorité d’acteurs en font pour les mois à venir.

Mais alors on nous aurait menti? Les brillants analystes de marché et autres gérants stars de hedge funds ne seraient-ils finalement que des marionnettes de Jérôme Powell qui serait en fait le chef suprême des bourses mondiales? Heureusement pour l’industrie de la gestion d’actifs il n’en est rien mais attention…il y a un gros «mais».

Il va sans dire qu’il serait réducteur de considérer que finalement peu importe le talent ou non d’un gestionnaire d’actifs, les performances boursières sont une fonction de la direction de la politique monétaire, Fed en tête. Dans cette optique, une stratégie basique consisterait à rester investi passivement en actions diversifiées à travers un ETF sur le S&P 500 par exemple dans les phases de politique monétaire accommodante (taux d’intérêts bas, voir injection de liquidités directe ou indirecte) puis à se désinvestir progressivement dès l’entame d’un changement de direction de la Fed et profiter alors de probables rendements du cash attrayants grâce à la hausse des taux d’intérêts.

Là où les stratégistes et autres gestionnaires d’actifs se battent noblement à l’épée ou à l’arbalète pour tenter de faire mieux que le marché, la Fed, elle, sort le bazooka.

A peu près tous les investisseurs expérimentés savent qu’entre une théorie comme celle-ci et la réalité quotidienne d’un portefeuille géré il y a souvent un monde d’écart. C’est justement en cela qu’une stratégie d’investissement doit apporter de la valeur au fil des années et faire le lien entre théorie et pratique de l’investissement avec au passage la prise en compte des émotions qui traversent la tête des investisseurs au fil des phases de marchés.

Comme mentionné plus haut il y a cependant une nuance à apporter car depuis la grande crise financière de 2008 les banquiers centraux, Fed en tête, sont devenus des acteurs incontournables de l’investissement boursier et ce pour plusieurs raisons. La première d’entre elles est leur capacité à injecter ou à retirer de la liquidité dans le système. Cela correspond en quelque sort à rendre le terrain de jeu des marchés financiers plus ou moins favorable. La seconde est de nature plus psychologique et s’articule autour du fait qu’un grand nombre d’investisseurs adhèrent à l’idée que la réserve fédérale américaine ne laisse pas les marchés financiers partir en déroute et revêt dès qu’il le faut son costume de pompier pour garantir une certaine stabilité.

Les dernières années le confirment totalement. Il est souvent contre intuitif pour des personnes qui ne connaissent pas les marchés financiers de comprendre comment il a été possible de s’enrichir grâce à la bourse en 2020 en investissant dans les actions alors que le monde était à l’arrêt. Bien évidemment de nombreuses compagnies technologiques offrant des services et des produits pour parer aux différents confinements ont vu leur valorisation augmentée en parallèle de leur volume de ventes. Il est par contre plus compliqué d’expliquer que la valeur des actions de certaines sociétés ait pu doubler entre fin mars (post annonce des premiers confinements) et fin décembre 2020 alors que leur activité était régulièrement mise à l’arrêt durant cette période.

L’explication est pourtant simple: les banquiers centraux, de part leur politique extrêmement accommodante, ont créé un environnement financier ultra favorable où l’argent a coulé à flot et avec des niveaux de taux d’intérêts très bas. Cette période «bénie» a propulsé le S&P500 d’un niveau d’environ 2'250 points à près de 4'800 points en moins de deux ans! L’inverse s’est ensuite produit car l’argent facile finit par avoir un prix dans le temps et la poussée inflationniste qui s’en est suivie a forcé ces mêmes banquiers centraux à orchestrer un puissant resserrement monétaire avec pour conséquence en 2022 l’une des pires années boursières de l’histoire pour les portefeuilles balancés.

Dans les deux cas on comprend bien l’adage éclairé «don’t fight the Fed» car là où les stratégistes et autres gestionnaires d’actifs se battent noblement à l’épée ou à l’arbalète pour tenter de faire mieux que le marché, la Fed elle sort le bazooka. Cette année encore, on mesure aisément à quel point les tant attendues baisses de taux enfin évoquées par les banquiers centraux vont influencer les marchés financiers. Après une excellente année 2023 portée par les espoirs de futures baisses de taux et donc d’assouplissement des conditions financières, 2024 est celle de la concrétisation de ces attentes. Là encore pas de place pour la déception sous peine de potentielles désillusions boursières.

Jerome Powell et son équipe, très habillement aidé par Janet Yellen et l’administration Biden ont su naviguer jusqu’à présent vers le fameux atterrissage en douceur de l’économie américaine, réduisant nettement l’inflation sans pour autant casser la croissance. Ce ballet a été salué en 2023 par la bourse et il n’est donc pas complètement erroné de dire que cette dernière monte ou descend au gré des politiques monétaires et de leurs anticipations.

Il est donc définitivement plus facile de naviguer dans le sens du courant mais cela n’exclut pas d’avoir un bon capitaine. Comme le disait Sting dans sa chanson et comme nous pourrions le dire à nos banquiers centraux: «Every step you take, I’ll be watching you»…

A lire aussi...