Miraculeuse, la pièce de 1000 milliards de dollars?

Michel Girardin, Université de Genève

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Émettre une pièce en platine d’une valeur de 1000 milliards pour se débarrasser du plafonnement de la dette? Une pratique qui était monnaie courante... au Moyen-Âge.

Le plafond de la dette est ce que les journalistes appellent un «marronnier». L’ennui guette avec ces sujets qui reviennent tous les ans, comme les fournitures scolaires à la rentrée des classes, les embouteillages des départs en vacances ou le fameux marché de Noël...1

Mais lorsque les autorités américaines évoquent la possibilité de frapper une pièce en platine d’une valeur de... 1000 milliards de dollars (excusez du peu) pour régler d’un tour de passe-passe le plafond de la dette, la question retrouve du mordant pour celles et ceux qui en débattent.

Le plafond de la dette est une limite légale au montant de la dette que le gouvernement américain peut contracter. Instauré par le Congrès en 1917, il fixe une limite au montant que le gouvernement peut emprunter pour financer ses opérations, y compris des programmes tels que la sécurité sociale, Medicare et la défense. Si le gouvernement doit emprunter plus d’argent que le plafond de la dette ne le permet, il doit soit relever le plafond, soit trouver d’autres moyens de financer ses activités.

Lorsque le plafond de la dette est atteint, le département du Trésor américain ne peut plus émettre de nouveaux emprunts pour payer les dépenses de l’État. Cela signifie que le gouvernement pourrait potentiellement manquer à ses obligations, ce qui ne manquerait pas d’avoir de graves conséquences pour l’économie américaine et mondiale. 

Marronnier oblige, nous avons déjà évoqué les répercussions dramatiques que pourraient avoir une mise en demeure de l’État américain pour manque de moyens financiers (chronique-27-09-2021). Nous n’y reviendrons pas si ce n’est pour dire qu’il vaut assurément mieux relever le plafond de la dette que décréter la faillite de l’État américain.

Le relèvement du plafond de la dette nécessite une loi du Congrès, ce qui signifie qu’il peut s’agir d’une question politiquement controversée. Ces dernières années, le débat sur le relèvement du plafond de la dette a souvent été lié à des débats plus larges sur les dépenses publiques, les impôts et la politique économique. Mais la conclusion à ces débats a, elle aussi, tout du marronnier: immanquablement, le plafond de la dette est relevé. Il l’a été à 79 reprises depuis son instauration, et il le sera certainement cette année aussi. A moins que... le Congrès lui préfère le tour de passe-passe comptable que proposent les adeptes de la pièce en platine à 1000 milliards?

L’hypothétique «pièce de mille milliards de dollars» a été proposée comme moyen de résoudre le problème du plafond de la dette américaine. 

L’idée est que le département du Trésor pourrait créer une pièce en platine d’une valeur nominale de mille milliards de dollars et la déposer auprès de la Réserve fédérale, créant ainsi un nouvel actif qui saurait être utilisé pour rembourser la dette américaine.

La base juridique de la création d’une telle pièce repose sur une disposition de la loi qui autorise le secrétaire au Trésor à frapper des pièces de platine, sans limite sur leur valeur nominale. Si la loi visait à l’origine à permettre la frappe de pièces commémoratives, certains experts juridiques affirment qu’elle pourrait également être utilisée pour créer une pièce d’une valeur nominale de mille milliards de dollars.

Cette pièce pourrait donc être émise par le Trésor américain et transférée à la Banque centrale américaine, en guise de collatéral pour la somme de 1000 milliards de dollars en espèces sonnantes et trébuchantes. Le Trésor s’accommoderait sans doute d’une écriture comptable à son bilan pour la même somme.

Le design de la pièce est même prêt : pour éviter de se perdre à compter les 12 zéros sur la pièce, il a suffi de rajouter un «T» pour «Trillion» (l’équivalent de 1 billion, soit 1000 milliards en français) juste après le sigle de 1 dollar. Faite attention à ne pas vous ruer sur la pièce identique en or, qui elle, est dépourvue du T. De toute façon, le platine est plus rare (il s’en extrait 160 tonnes par année, soit 10 fois moins que l’or) et donc, plus cher que le métal jaune. 

Sur ces pièces, le T a son importance
Presidential One Dollar Coin
Trillion Dollar Coin

Les partisans de la pièce de mille milliards de dollars affirment qu’il s’agirait d’un moyen d’éviter l’acrobatie politique et les dommages économiques potentiels associés aux débats sur le plafond de la dette.

Aux mauvaises langues qui oseraient s’imaginer que l’émission de cette pièce pourrait faire bien mieux que reléguer le plafond de la dette aux oubliettes, et éradiquer tout court la dette elle-même, les partisans du «Trillion dollar coin» rétorquent que sa valeur est bien inférieure au montant de la dette gouvernementale, qui pèse plus de trente mille milliards de dollars. Soit. Mais rien n’empêcherait le Ministre du Trésor d’émettre de nouvelles pièces, voire de rajouter un ou deux zéros... juste avant le «T»?  Ce qui est sûr, c’est qu’il y a actuellement de nombreux juristes aux Etats-Unis qui planchent sur comment le Trésor américain pourrait imposer à la Réserve fédérale d’accepter cette monnaie de singe. Pour l’instant, les dirigeants de la Banque centrale font preuve d’un enthousiasme réservé.

Parmi les partisans de ce tour-de-passe comptable, on trouve tout de même un prix Nobel d’économie, en la personne de Paul Krugman. Il s’était déjà fait le défenseur de cette pièce miraculeuse en 2021, au moment de la dernière crise liée au plafond de la dette. Véritable trublion inclassable, l’économiste américain est revenu à la charge la semaine dernière en arguant que ce jeu d’écritures entre le Trésor et la banque centrale ne serait pas inflationniste, attendu qu’il n’entrainerait pas d’augmentation de la masse monétaire.

Pour ma part, j’estime que l’utilisation de ce gadget comptable ne manquerait pas de détruire à jamais la crédibilité de la monnaie et du système monétaire américains.

Au Moyen-Âge, le recours aux dévaluations monétaires pour payer les dettes royales étaient fréquentes. On connaît la réputation de Philippe le Bel, «le roi faux-monnayeur» qui, pour faire baisser la dette royale n’hésitait pas à diminuer le poids de métal fin et augmenter par la même le nombre de pièces dévaluées. Un artifice budgétaire qui, s’il procure à l’État quelques bénéfices éphémères, entraîne un vif mécontentement de toute la population, rémunérée en monnaie dévaluée.

Soyons sérieux. S’il suffisait d’imprimer des billets de banques ou de frapper monnaie - aussi précieuse soit-elle - pour régler les problèmes budgétaires de l’État, nous aurions réglé les problèmes du chômage et de la pauvreté dans le monde depuis belle lurette. C’est vrai qu’il serait idéal d’avoir aujourd’hui des politiques budgétaires plus généreuses pour contre-carrer les tours de vis monétaires opérés par les banques centrales un peu partout dans le monde mais... l’Histoire regorge d’exemples où la mainmise de l’État sur la monnaie pour financer son train de vie se termine toujours dans les larmes et le sang.

 

1 L'utilisation du marronnier pour illustrer la récurrence annuelle d'un événement ne manque pas de piquant. Il faut remonter au 10 août 1792, lorsque des insurgés révolutionnaires prennent le Palais des Tuileries à Paris – lieu du pouvoir exécutif – marquant ainsi la fin de la monarchie constitutionnelle. Sur les 950 gardes suisses en charge de défendre le Palais, 300 sont tués. Ils sont enterrés sous un grand marronnier rose dans le jardin des Tuileries qui, chaque année autour du 10 août, fleurit au-dessus des sépultures...

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