MiCA et l’Executive Order américain: deux salles, deux ambiances

Alexandre Stachtchenko & Stanislas Barthélémi, Blockchain Partner by KPMG

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Chronique blockchain. Alors que Biden signait un décret pragmatique, l’UE votait un compromis sur le projet de règlement européen MiCA en demi-teinte.

MiCA (pour Market in Crypto-Assets) est un projet de règlement européen dont la Commission européenne était à l’initiative en septembre 2020. Le Parlement européen via sa commission des affaires économiques et européennes (ECON) a voté début mars un compromis qui servira de base pour la législation à venir.

L’objectif, comme à l’habitude, était louable: harmoniser les cadres légaux en Europe pour permettre aux entreprises crypto de bénéficier d’un marché harmonisé, et protéger les citoyens des fraudes et arnaques.

Mais, comme à l’habitude également, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Et il y a de nombreuses choses à dire sur ce texte qui, bien que voté au parlement, doit encore faire l’objet d’un trilogue avec la Commission et le Conseil de l’Europe, avant d’entrer en vigueur.

Tout d’abord, on peut déplorer l’absence de proportionnalité dans ce texte. Les obligations qui devraient s’appliquer aux porteurs de projets et entrepreneurs se rapprochent de plus en plus de celles des acteurs financiers installés, disposant d’équipes entières dédiées à la conformité. On peut légitimement questionner la nécessité pour une entreprise de quelques personnes, gérant des flux peu significatifs, d’être soumis aux mêmes exigences qu’une banque gérant des millions de clients et des milliards d’euros d’actifs.

Depuis l’annonce de Libra par Facebook, les instances européennes ont eu tendance à mettre toutes les cryptos dans le même sac.

Ce raisonnement s’applique aussi aux stablecoins. Faustine Fleuret, présidente de l’ADAN, l’association des professionnels du secteur crypto en France, évoque à juste titre «l’instauration d’exigences prohibitives pour l’émission des stablecoins euro, calquées sur la réglementation bancaire, qui conforteront l’hégémonie des stablecoins dollar (aujourd’hui 99% du marché).» Marché passé de 0 à près de 200 milliards de dollars de capitalisation, et représentant pour les entreprises le meilleur pont entre le monde crypto et la finance traditionnelle. Il est absolument désolant de voir l’Europe encore sortir volontairement du jeu.

Sur ce sujet de stablecoins, il semble clair qu’il s’agit d’une réaction épidermique d’une Europe qui n’a pas vraiment compris de quoi il s’agissait. Depuis l’annonce de Libra par Facebook, les instances européennes ont eu tendance à mettre toutes les cryptos dans le même sac. Dans la bouche de la BCE, Libra, Bitcoin, Stablecoin, ou le dernier jeton d’ICO, ce sont la même chose: des monnaies privées qui menacent l’euro. Cette confusion, faisant office de péché originel dans le raisonnement européen, conduit à un réflexe défensif et à un encadrement maximal, disproportionné de ce qui devrait malheureusement être encouragé, au risque de liquider notre souveraineté numérique, monétaire et financière future.

Autre sujet inquiétant: l’approche qui a été retenue pour les NFT, ces actifs numériques non fongibles, permettant de représenter la rareté, l’unicité d’objets aussi différents que des oeuvres d’art, des items de jeu vidéo, mais aussi des parcelles immobilières dans des métaverses, des actions d’entreprises, des produits financiers etc. Si le texte voté entre en vigueur, alors les NFT devraient être considérés comme des actifs financiers. Tous les NFT sont concernés, à partir du moment où ils sont listés sur une plateforme d’échange. En réalité, quand on connaît le principe même de la technologie en question, on comprend que cette condition n’en est pas une. Les NFT étant des objets que l’on peut détenir en propre, chacun est libre de les revendre dès la seconde où ils sont créés. Par définition, cela amène tous les NFT à être échangés sur des plateformes d’échange…  

En choisissant une approche technologique, l’Europe commet une double erreur. Premièrement celle de mettre dans le même sac des objets extrêmement différents. Une épée dans un jeu vidéo, selon le Parlement européen, représente donc une nature, un risque de blanchiment, d’évasion fiscale, de financement du terrorisme, mais aussi un usage qui sont exactement les mêmes qu’une action d’une entreprise du CAC 40, un immeuble à Paris, ou un Picasso. On imagine difficilement les éditeurs de jeux vidéos commencer à souscrire pour des licences bancaires pour vendre des bottes de chevalier dans leur monde virtuel…  

Deuxièmement, cette approche rompt le principe de neutralité technologique. Ce principe doit, en théorie, conduire à réglementer, légiférer, des objets en fonction de leurs usages, des droits et des devoirs qu’ils génèrent, et non de la technologie sous-jacente. Ici, avec ce texte, si vous possédez une oeuvre d’art via un titre de propriété papier, vous ne serez pas soumis aux mêmes règles que si vous possédez la même oeuvre par un titre de propriété numérique, un NFT. C’est une rupture d’égalité entre citoyens tout à fait questionnable et inquiétante.

Une source dont la seule fiabilité réside dans la constance à se tromper sert de Bible au Parlement européen.

Enfin, comment ne pas aborder le sujet qui a fait couler le plus d’encre début mars, à savoir l’introduction d’une interdiction masquée de Bitcoin, Ethereum, et de la quasi-totalité du marché des cryptomonnaies? On pourrait écrire un livre dessus tant le déroulé des faits est ubuesque.

Précisons d’abord les faits: le texte, dans sa dernière version, sous la pression de la gauche et des Verts européens, a réintroduit au dernier moment un amendement exigeant que les cryptos fournissent des feuilles de route de sortie des algorithmes non-durables, sous peine de se voir interdit à la vente en Europe. Autant préciser tout de suite que le terme «d’algorithme non durable» n’est absolument pas défini, ce qui laisse une latitude énorme dans l’interprétation.

Tout cela est d’autant plus inquiétant lorsque l’on constate la source servant d’inspiration aux députés européens pour écrire ce texte: Digiconomist.

Comme je l’ai déjà écrit par le passé, Digiconomist est largement reconnu parmi les experts crypto comme une source absolument non fiable. Il s’agit d’un blog personnel, d’une personne en conflit d’intérêts car travaillant dans l’industrie bancaire, présentée comme «chercheur» alors qu’elle n’a pas encore de doctorat, sans expertise ni énergétique ni environnementale. Les méthodologies utilisées depuis la création du blog ont prouvé maintes fois qu’elles n’avaient pas le début du commencement d’une crédibilité quelconque. Parmi le florilège des exploits de la méthode utilisée: prédire en 2017 que d’ici 2020, Bitcoin consommerait plus que la planète entière, ou encore «mesurer» qu’à la suite de l’interdiction du minage en Chine l’an dernier, la consommation d’énergie de Bitcoin progressait de 34% (alors même que la puissance de calcul disponible diminuait de 55% sur la même période).

Bref, une source dont la seule fiabilité réside dans la constance à se tromper sert de Bible au Parlement européen pour produire un amendement dont l’objectif masqué était de restreindre la liberté financière de 500 millions d’Européens en interdisant les trois quarts des cryptos, purement et simplement, sous couvert de bons sentiments écologistes.

Cette interdiction, loin de tuer Bitcoin (la Chine a interdit Bitcoin, et ce dernier est toujours là, plus sécurisé qu’avant), n’aurait fait que tuer l’Europe.

Devant le tollé suscité, et la mobilisation de la communauté crypto, mais aussi des citoyens (rappelons qu’en France par exemple, 8% des Français possèdent des cryptos), cet amendement fut fort heureusement rejeté. Mais le fait même qu’il fut possible qu’il passe est déjà en soi inquiétant.

Les événements récents en Ukraine devraient faire prendre conscience au législateur que le préalable pour être souverain est d’héberger une industrie crypto forte. Comment appliquer des sanctions par exemple si les acteurs sont à l’étranger?

Au lieu de cela, l’Europe se précipite, presse l’allure, réglemente, encadre, sans proportionnalité, et même sans source fiable… Nous mettons une énergie et une rigueur admirable à créer un cadre parfait pour que des acteurs étrangers puissent s’épanouir chez nous.

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