La charge fiscale se multiplie en France, en Suisse et ailleurs. Si l’Hexagone est coutumier de ce genre d’initiatives, même la Suisse entend augmenter ses impôts. Le Conseil fédéral n’hésite pas à plancher sur un projet qui pénaliserait l’épargne à long terme des Suisses à travers une hausse de l’imposition des retraits de capitaux de prévoyance. Pourtant les hausses d’impôts se traduisent rarement par une prospérité accrue. Comme le répétait Albert Einstein, «la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent».
Les hausses d’impôts pénalisent l’investissement et l’emploi puisqu’elles réduisent l’incitation à entreprendre et à innover. Ce grignotage de la propriété individuelle par un impôt de plus en plus confiscatoire est une «nouvelle forme de servitude», analyse l’essayiste Philippe Nemo, dans «Philosophie de l’impôt». Les gouvernements continuent pourtant d’augmenter la part des contributions obligatoires et des dépenses publiques dans le PIB et d’accroître le nombre de fonctionnaires. La réalité économique suggère d’autres pistes. C’est la liberté économique qui permet aux économies de prospérer. Dans un environnement économique et politique toujours plus incertain, quels sont les pays industrialisés qui disposent de la fiscalité la plus attractive? Est-ce que leur réussite économique sort de la moyenne? Le Center for Global Tax Policy a publié la semaine dernière son indice 2024 de compétitivité internationale, lequel intègre tous les principaux domaines de la fiscalité, celle des entreprises, des individus, de l’immobilier et des échanges transfrontaliers.
Les pays fiscalement les plus compétitifs
Il en ressort que, sur les 38 pays considérés, l’Estonie occupe le premier rang des pays de l’OCDE devant la Lettonie, la Nouvelle-Zélande et la Suisse. Les derniers rangs sont occupés par la France (36e), l’Italie (37e) et la Colombie (38e).
«Le laboratoire d’idées apprécie le système suisse pour son taux d’imposition des entreprises relativement bas (19,7%).»
Intéressons-nous d’abord au premier de la classe. L’Estonie occupe le premier rang pour la 11e année consécutive. Les investisseurs apprécient son cadre fiscal: la société allemande de logiciels Axinom a par exemple décidé de s’y implanter du fait de sa compétitivité fiscale générale et en particulier en raison d’un taux d’imposition nul sur les bénéfices réinvestis et retenus.
Ses principaux atouts sont au nombre de quatre. L’Estonie offre un taux de 20% sur les entreprises qui ne s’applique qu’aux bénéfices distribués. Elle dispose d’une «flat tax» de 20% sur les revenus qui exclut les revenus des dividendes. Son imposition des immeubles ne concerne que la valeur des terrains mais ni celle des bâtiments ni celle du capital. Enfin son système d’imposition exempte, à quelques exceptions près, 100% des profits réalisés à l’étranger par les entreprises locales.
En détail, le classement place l’Estonie première dans l’imposition immobilière, deuxième dans l’imposition des entreprises et dans l’imposition individuelle, neuvième à propos des taxes sur les échanges transfrontaliers et 36e dans la fiscalité de la consommation.
Difficultés économiques?
Si le système fiscal estonien est le meilleur des pays de l’OCDE, selon la Tax Foundation, sa performance économique ne paraît pas aussi brillante qu’on pourrait le penser. Quelles en sont les raisons?
Selon le dernier rapport du FMI, le pays devrait être en récession en 2024 (-0,5%), comme il l’a été l’an dernier et en 2022. Les difficultés sont récentes. Le PIB est encore de 6% inférieur à celui de 2021. Le FMI pointe du doigt plusieurs handicaps majeurs: le pays souffre d’une faible croissance de la productivité, d’une hausse du taux de change (euro) et des retards dans sa transition énergétique. Son déficit courant représente 2,1% du PIB et le déficit budgétaire 3,8% du PIB.
Pourtant, l’Estonie, qui n’est indépendante que depuis 1991, fait partie des plus grandes réussites des anciens pays communistes et sa compétitivité fiscale n’y est pas étrangère.
La population profite d’une nette amélioration de son niveau de vie. Son PIB par habitant (en parité du pouvoir d’achat) est passé de 16 635 dollars en 2005 à 48 992 dollars en 2023. Et en dollars courants, il est passé de 10 429 dollars en 2005 à 30 138 dollars en 2023. L’Estonie a dépassé la Pologne et la Hongrie et se rapproche du Portugal et de l’Espagne (PIB/hab. en termes de standard de pouvoir d’achat).
Si l’Estonie souffre de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique qui en est résultée, son taux d’endettement reste extrêmement sain (moins de 20% du PIB) et sa quote-part fiscale également (19%). Elle le doit avant tout aux politiques économiques de Mart Laar, Premier ministre en 1992-94 et 1999-2002, qui s’est nourri de la pensée de Milton Friedman pour donner une inspiration libérale à ses décisions.
«S’il est un pays dont le classement de la Tax Foundation surprend, c’est l’Irlande, avec un 32e rang.»
La Suisse au quatrième rang
Le quatrième rang suisse, comme en 2023, est le résultat d’une modeste 36e place en termes de fiscalité immobilière, d’une dixième position dans la fiscalité des entreprises, d’une huitième place dans la fiscalité des individus, d’une troisième dans les impôts de consommation et de la première dans les échanges transfrontaliers.
Dans son commentaire, le laboratoire d’idées apprécie le système suisse pour son taux d’imposition des entreprises relativement bas (19,7%), une TVA de 8,1% qui frappe une grande partie de la consommation (69%), une imposition des revenus qui ne prend généralement pas en compte les gains de capital et un vaste réseau d’accords fiscaux avec 109 pays.
Si la Suisse souffre d’un 32e rang en termes de complexité de l’imposition des entreprises, elle est considérée comme la moins compliquée dans l’imposition individuelle. Le portrait est contrasté. Elle est la meilleure dans l’imposition transfrontalière, mais elle souffre d’un faible 28e rang selon le critère de l’imposition à la source.
La compétitivité fiscale de la Suisse reste un point fort et cet atout accroît la prospérité de ses habitants.
L’étonnante situation de l’Irlande
S’il est un pays dont le classement de la Tax Foundation surprend, c’est l’Irlande, avec un 32e rang qui la place derrière la Pologne (31e) et le Royaume Uni (30e).
L’Irlande est de plus en plus souvent l’objet de portraits louangeurs dans la presse. La NZZ de mardi s’est penchée sur ce pays autrefois peuplé de pauvres gens et qui «nage dans l’argent» . Le pays profite d’innombrables investissements de groupes technologiques internationaux. Son PIB par habitant est l’un des plus élevés d’Europe. Mais Dublin ne brille pas pour sa compétitivité fiscale, sauf sur un point important, la fiscalité des entreprises (5e selon la Tax Foundation). Mais Dublin frappe durement les individus (37e sur 38) et en particulier la consommation (35e).
Cette croissance a un coût. Les infrastructures irlandaises peinent à répondre à l’augmentation des besoins et le marché du logement y est très tendu.