Les sociétés de private equity boudent les actifs réels

Aza Teeuwen, TwentyFour Asset Management

3 minutes de lecture

Les sociétés de private equity multiplient les achats de tranches de dette d’obligations adossées à des prêts.

© Keystone

Les sociétés de private equity qui achètent les tranches de dette d’obligations adossées à des prêts garantis (Collateralised Loan Obligations ou CLO) font surgir une question intéressante: pourquoi préfèrent-elles détenir des obligations plutôt que des actifs physiques dans l’environnement macroéconomique actuel?

Avec la chute des marges et des ratios EBITDA dans les entreprises, on peut aisément concevoir que les investisseurs private equity préfèrent acheter des obligations CLO notées BB avec un rendement de 15% en euros (pour un prix au comptant de 75-80) que de détenir les entreprises réelles financées par les prêts sous-jacents à ces CLO.   

Potentiel de rendement à deux chiffres

La stratégie consistant à investir dans des obligations peut sembler inhabituelle pour un secteur axé sur la vente d’entreprises et d’autres actifs pour des prix supérieurs à ceux payés (l’un des «inconvénients» des obligations étant que le remboursement ne dépasse jamais le pair), mais aux niveaux d’escompte actuels, les CLO offrent un potentiel de gain important. Au vu des rendements actuels, même les investisseurs qui montent dans la structure du capital avec des CLO investment grade (les AA dégagent actuellement 6,5% en euros) peuvent raisonnablement espérer des rendements à deux chiffres avec un faible degré de levier (et de capital immobilisé); dans ce contexte, la stratégie adoptée nous semble parfaitement judicieuse.

Les rendements locatifs pour les surfaces de bureaux de premier ordre atteignent 4,5% tandis que les rendements sur les obligations CMBS notées AAA se situent à 6,5-7%.

Mais c’est dans le secteur de l’immobilier commercial que les perspectives deviennent encore plus intéressantes. Avec la hausse des rendements, la baisse des taux d’occupation et la menace d’une récession, on peut se demander si l’investissement dans «la brique et le mortier» l’emporte sur la détention de dette adossée à l’immobilier dans un contexte d’inflation élevée et d’augmentation des taux d’intérêt. Il y a quelques semaines, le géant de l’immobilier commercial CBRE Group a actualisé ses prévisions concernant les évaluations et les rendements locatifs sur le marché britannique (ce qui s’applique facilement à tous des marchés européens) et constaté que les propriétaires cherchaient désormais à augmenter leurs revenus provenant des loyers, ce qui n’a rien de surprenant compte tenu de l’augmentation significative de leurs coûts de financement. Or, vouloir augmenter ses revenus locatifs ne signifie pas que les locataires (prospectifs) seront prêts à payer des loyers plus élevés, d’autant que si un loyer a été défini pour 5 ou 10 ans, il est extrêmement difficile de le réviser. Pour les surfaces de bureaux de premier ordre, CBRE table aujourd’hui sur des rendements locatifs de 3,5 à 4,5% à Londres et d’environ 5,5% dans les villes moyennes. Les entrepôts et autres bâtiments logistiques sont toujours très recherchés, de sorte que les rendements locatifs dans ce secteur avoisinent 4% pour les surfaces de premier ordre et 6,25% pour celles de second ordre. Sans surprise, c’est dans le commerce de détail que se trouvent les rendements locatifs les plus élevés: les supermarchés dégagent 4,5%, la grande distribution se situe à 6,75% pour les emplacements de premier ordre et 8% pour les centres commerciaux.

Rendements négatifs pour l’immobilier commercial

On notera que ces prévisions de rendements locatifs datent de quelques semaines; depuis, nous avons assisté à une reprise des rendements des gilts après les démissions de Kwasi Kwarteng puis de Liz Truss, de sorte que les rendements réels pourraient être légèrement plus bas. CBRE a indiqué une baisse des évaluations de l’immobilier commercial britannique de  5,1% au troisième trimestre, dans une fourchette allant de -2,3% pour les bureaux et -9.5% pour les installations industrielles, et ce malgré de faibles hausses de loyer (1,1%). Cela signifie que les rendements totaux de l’immobilier commercial ont été négatifs pour le troisième trimestre, comme c’est d’ailleurs le cas de presque toutes les classes d’actifs au T3; mais surtout, les rendements de l’immobilier commercial ne sont tout simplement pas à la hauteur de ce que nous voyons sur le marché obligataire.

En effet, les rendements locatifs pour les surfaces de bureaux de premier ordre atteignent 4,5% (en prenant le niveau le plus haut) tandis que les rendements sur les obligations CMBS notées AAA se situent à 6,5-7% (ce sont ces mêmes obligations qui financent la part la plus senior des hypothèques sur ces biens immobiliers, avec un ratio prêt-valeur d’environ 30%). Certes, les CMBS AAA peuvent se négocier à un prix au comptant autour de 90 et n’offrent pas plus que le remboursement au pair, mais pour que les surfaces de bureaux haut de gamme puissent être considérés comme une alternative judicieuse, il faudrait une augmentation significative de la valeur de l’immobilier commercial ou une renégociation réussie des loyers. Avec le spectre de la récession et les banques centrales contraintes de relever les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation, nous doutons que ces conditions se réalisent dans les prochaines années.

Les meilleures offres viennent du private equity

Ces derniers temps, nous ne sommes donc pas surpris de voir que l’offre la plus forte pour des CMBS européens et britanniques soit de nouveau venue de sociétés de private equity qui optent généralement pour la détention directe. Alors que les spreads des CMBS sont larges en raison de la crise de liquidité la plus grave que les fonds de pension britanniques aient subie depuis très longtemps, les évaluations de l’immobilier commercial semblent très fragiles.

A lire aussi...