Les risques d’un remake de la stagflation des années 1970

Guy Ertz, BNP Paribas Wealth Management

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Il y a un demi-siècle, sévissaient une inflation très élevée et une croissance réelle faible. L’environnement actuel se distingue néanmoins sur plusieurs dimensions clés.

Commençons par les facteurs communs. Ceci est important car les années 1970 ont été marquées par une période de stagflation qui a été caractérisée par une inflation très élevée et une croissance réelle (corrigée de l’inflation) faible. Dans les deux cas, la forte hausse de l’inflation a été liée à une crise énergétique. En 1973, les pays arabes exportateurs de pétrole ont imposé un embargo à plusieurs pays, notamment suite à la guerre de Yom Kippour affrontant Israël et certains pays arabes. La forte hausse de l’inflation depuis fin 2021 a été également alimentée par une crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et une hausse des prix du pétrole et surtout du gaz naturel.

Un deuxième facteur est lié à des pressions haussières sur les prix des biens alimentaires. Les phénomènes climatiques comme El Niño peuvent avoir un impact non négligeable sur les prix des matières premières agricoles. Au début des années 1970, ce phénomène a été plus important qu’en moyenne et a été une source d’inflation hors du commun. La guerre en Ukraine a également poussé les prix des matières premières agricoles à la hausse. On note toutefois une certaine détente ces derniers mois. Notons également que, durant les années 1970, les prévisions de normalisation de l’inflation se sont avérées trop optimistes et ont été revues fréquemment. Ceci a été également le cas dans la première phase de l’accélération de l’inflation en 2021-2022.

La normalisation des chaînes d’approvisionnement est devenue une source de désinflation.

Nous restons toutefois convaincus que l’environnement actuel se distingue sur plusieurs dimensions clés. L’origine de la hausse récente de l’inflation a été la rupture des chaînes d’approvisionnement dans la période post Covid. Ces derniers mois, la normalisation de ces chaînes est devenue une source de désinflation, comme on peut l’observer dans le domaine de l’inflation des prix à production qui est en forte baisse. A noter aussi qu’avant 1973, l’inflation était déjà élevée et la hausse du prix du pétrole a été beaucoup plus extrême et durable que celle du contexte de la guerre en Ukraine.

Le prix du gaz a également été une source d’inflation début 2022 mais, comme pour le pétrole, les prix ont rapidement retrouvé le niveau d’avant-guerre en Ukraine. Aujourd’hui, l’incertitude quant à l’évolution du prix du pétrole reste encore très élevée. Par ailleurs, l’intensité énergétique étant beaucoup plus faible aujourd’hui, une même hausse de prix a moins d’impact sur l’inflation. De plus, les sources d’énergies sont beaucoup plus diversifiées, en particulier avec la forte augmentation de l’extraction de pétrole et de gaz aux Etats-Unis et le développement des énergies renouvelables.

Qu’en est-il des anticipations d’inflation, des salaires et du rôle des banques centrales? Les années 1970 ont été marquées par des anticipations d’inflation très instables et un manque de réactivité des banques centrales. Cet environnement a mené les syndicats à négocier des hausses de salaires très fortes. Ce n’est qu’avec l’arrivée de Paul Volcker à la tête de la banque centrale américaine et la forte hausse des taux intérêt que cette tendance a été interrompue. En effet, il est apparu clairement que la stabilité de l’inflation est une clé pour une croissance économique stable et qu’une baisse de l’activité temporaire est un mal nécessaire pour mener à cette stabilité. Les banques centrales ont, depuis cette époque, décidé de fixer un critère d’inflation explicite dans leurs objectifs.

Le contexte récent a clairement montré que les banques centrales ont en mémoire les leçons de cette époque. En effet, la banque centrale américaine a rapidement décidé d’augmenter fortement son taux directeur en 2022 et l’ampleur des hausses est unique dans l’histoire. D’autres banques ont suivi. Ceci a permis aux autorités monétaires de maintenir leur crédibilité comme en témoigne l’évolution relativement stable des anticipations d’inflation. Le risque de spirale salaires-prix reste limité: d’une part au vu de la stabilité des anticipations d’inflation de moyen-terme et, d’autre part, du fait que le pouvoir de négociation des syndicats est plus réduit à la suite d’une baisse quasi continue du taux de syndicalisation dans beaucoup de pays industrialisés au cours des dernières décennies.

La baisse attendue des taux d’intérêt et l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages devrait progressivement stimuler la croissance l’année prochaine.

Nous estimons qu’il est peu probable d’assister à une phase prolongée de stagflation comparable aux années 1970. L’inflation devrait maintenir une tendance baissière même si la période de convergence vers l’objectif de 2% peut s’avérer plus longue. Il est donc probable que les banques centrales seront en mesure de baisser les taux d’intérêt à partir de l’été 2024. Le ralentissement de la croissance économique est en cours et sera le mal nécessaire pour ramener l’inflation à l’objectif de 2% de manière durable. La baisse attendue des taux d’intérêt et l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages devrait progressivement stimuler la croissance l’année prochaine. Les projets d’investissements publics et privés liés à la réduction des émissions de carbone offrent un potentiel de croissance important pour les prochaines années. Le principal risque à court terme est lié à l’évolution de l’inflation notamment via les prix de l’énergie.  

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