Les indicateurs n’annoncent pas de récession à venir

Felipe Villarroel, TwentyFour Asset Management

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La correction actuelle des actifs risqués est un creux intra-cycle.

© Keystone

La Russie a envahi l’Ukraine il y a près d’un mois. Bien que les participants au marché ne sachent toujours pas comment et quand cette guerre prendra fin, les rumeurs enflent sur la perspective d’une récession qui toucherait tout ou partie de l’économie mondiale. Partant du principe que ce conflit ne dégénère pas en une confrontation directe entre la Russie et l’OTAN, et que des accords de paix finiront par être conclus (avec un retour à la normale pour les prix des matières premières, même si les niveaux restent plus élevés qu’avant la guerre), nous ne pensons pas que le monde s’apprête à basculer dans la récession. Par conséquent, nous interprétons la correction actuelle des actifs risqués comme un creux intra-cycle. La probabilité d’une récession a certes augmenté, mais les indicateurs dont nous disposons indiquent clairement qu’elle ne devrait pas être le premier scénario retenu.

La croissance faiblit, mais se maintient

Premièrement, la croissance en 2022 devrait dépasser sa moyenne historique dans la plupart des économies développées, même après ajustement des prévisions suite à l’offensive russe. Aux Etats-Unis, la Fed anticipe une croissance de 2,8% cette année (avec plusieurs hausses de taux) tandis que la BCE table de manière plutôt optimiste sur une croissance de 3,7% pour la zone euro. Les banques d’investissement et les analystes «sell-side» ont également revu leurs estimations à la baisse: ils tendent à s’aligner sur les projections de la Fed pour les USA mais sont moins confiants que la BCE pour la zone euro avec une fourchette d’estimations entre 2,0% et 3,0%. La probabilité d’une croissance égale ou supérieure à ses niveaux tendanciels est directement liée au fait que l’économie se trouve dans sa phase de transition entre le début et le milieu du cycle, et non entre le milieu et la fin du cycle. La croissance de fin de cycle est généralement inférieure à son évolution tendancielle, ce qui signifie qu’un choc exogène comme une guerre qui fait plonger les prévisions de 100 à 200 pb risque fortement de déclencher une récession. Avant l’invasion, une croissance de près de 4% était attendue dans la zone euro en 2022, un taux nettement supérieur à la moyenne historique pour la région. Un choc significatif sur la croissance n’entraîne pas nécessairement une récession.

Il est difficile d’imaginer un retournement soudain qui déclencherait une récession dans un avenir proche.

Deuxièmement, les banques centrales commencent tout juste à resserrer leur politique monétaire sur les marchés développés. Cela signifie donc que les conditions actuelles de politique monétaire sont accommodantes au vu de l’environnement macroéconomique. Dans ce contexte, la survenue d’une récession serait un phénomène aberrant d’un point de vue statistique. Les récessions se déclenchent généralement après que les banques centrales ont procédé à plusieurs hausses de taux ou retiré leurs mesures de soutien dans le but de ralentir l’économie; or, ce processus s’amorce à peine.

Plus de hausses que de baisses des notations

Troisièmement, la qualité de crédit des entreprises s’améliore. Lorsqu’une économie sort d’une récession, les indicateurs de crédit commencent généralement à se redresser dans la phase de début du cycle. Des ratios comme le dette nette/EBITDA déclinent à mesure que l’EBITDA remonte et que certaines entreprises exposées à de sérieuses difficultés durant la récession prennent des mesures pour se désendetter. Lorsque l’économie entre dans le milieu du cycle, la croissance tend vers son potentiel et les indicateurs de crédit se stabilisent progressivement. En fin de cycle, la croissance retombe sous ses niveaux tendanciels et les entreprises ont donc moins d’opportunités pour maintenir ou accroître le rendement des fonds propres de manière organique. Par conséquent, des indicateurs de fin de cycle tels que les F&A, les dividendes spéciaux et un endettement excessif (tous négatifs pour le profil de crédit d’une entreprise moyenne) deviennent plus fréquents. En général, il en découle un plus grand nombre de baisses que de hausses des notes de crédit. Depuis le début de l’année, Moody’s a enregistré 1,95 hausse pour une baisse dans le haut rendement américain, et surtout 6,7 hausses pour une baisse dans le segment des obligations américaines investment grade.  Ce sont-là les signaux d’une nette amélioration des paramètres de crédit. En Europe, les chiffres étaient également très positifs avant l’offensive russe (2,1 pour le haut rendement européen en 2021), et même s’ils ont notablement décliné depuis, un coup d'œil sur les baisses de notations permet de voir qu’un grand nombre d’entre elles concernent des entreprises russes ou leur succursales européennes – Evraz, Rosneft, RusHydro et les succursales de Gazprom en Europe de l’Ouest ont ainsi toutes vu leurs notes révisées à la baisse.

Surveillance étroite nécessaire

Enfin, le marché du travail reste extrêmement tendu, en particulier aux Etats-Unis. Avec des chiffres qui ont atteint des plus hauts records pour les offres d’emplois comme pour les démissions, ainsi qu’une très forte croissance des salaires, il est difficile d’imaginer un retournement soudain qui déclencherait une récession dans un avenir proche. D’après les sondages ISM sur le secteur manufacturier et les services, les dirigeants craignent moins la dégradation des perspectives économiques que de ne pas réussir à pourvoir les postes nécessaires pour répondre à la demande.   

En conclusion, même si nous admettons que la situation puisse évoluer rapidement et que certains signaux préoccupants justifient une surveillance étroite (comme l’aplatissement de la courbe des bons du Trésor US), nous ne pensons pas être à l’aube d’une récession sur les marchés développés. L’économie, les entreprises et les consommateurs ont tous abordé 2022 en bonne forme et sont donc tout à fait capables de résister à un choc négatif. La croissance sera inférieure aux prévisions initiales, mais si le scénario d’une évolution égale ou supérieure au potentiel se concrétise, les spreads intègrent déjà une quantité significative de mauvaises nouvelles et paraissent raisonnablement attrayants à moyen terme.

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