Les dynamiques à surveiller après le «merge»

Alexandre Stachtchenko & Stanislas Barthélémi, Blockchain Partner by KPMG

3 minutes de lecture

Chronique blockchain. Sitôt le «merge» réussi, de grandes questions vont se poser sur les dynamiques à l’oeuvre sur la décentralisation du réseau à l’aune des décisions de l’OFAC.

Les narratives et conséquences positives accompagnant le «merge» ont été maintes et maintes fois détaillées dans de nombreux articles sur AllNews. La transition vers un système à preuve d’enjeu n’est pas sans conséquence sur le moyen et long terme sur les fondamentaux du réseau Ethereum. Des débats existent au sein de la communauté notamment autour de deux axes étroitement liés:

  • La centralisation des validateurs par les intermédiaires
  • Les décisions de l’OFAC et le sujet induit de la censurabilité des applicatifs et éventuelle au niveau du protocole

La transition modifie les principes fondamentaux de la sécurité de l’infrastructure, passant d’une énergie physique qui se transforme en valeur numérique à un mécanisme d’incitation économique.

Fort d’un jeton distribué en de nombreuses mains après plusieurs années de circulation, il convient d’analyser avec attention les évolutions à venir sur cette question de la sécurité et par conséquent de la décentralisation effective du réseau.

Afin de devenir validateur sur Ethereum, il est nécessaire de mettre en jeu 32 ethers et de disposer d’un nœud connecté au réseau constamment. Pour un particulier, devenir validateur semble accessible à première vue. Cependant, 32 ethers représentent une somme conséquente (50'000 euros à l’heure actuelle). De plus, la capacité à faire fonctionner un nœud n’est pas si évidente considérant les risques de punitions sur les 32 ethers si le nœud n’était pas connecté au réseau.

Les intermédiaires que sont les plateformes d’échanges sécurisant déjà pour le compte de tiers des cryptos peuvent proposer ce service additionnel aux clients entreprises et particuliers.

L’intermédiaire se rémunère sur une partie des récompenses générées et le client voit sa détention générer du rendement. De plus, les intermédiaires peuvent regrouper plusieurs clients qui n’ont pas 32 ethers pour former un validateur et en démocratiser ainsi l’accès.

Ces dynamiques sont à suivre de près puisque la concentration du marché de la validation aux mains de quelques acteurs fragiliserait la promesse de décentralisation effective de la preuve d’enjeu. Une industrie du «staking» et de la validation se met en place. Goldman Sachs souligne l’attrait de cette proposition de valeur avec un revenu additionnel par an pour Coinbase estimé entre 250 et 600 millions de dollars.

Des solutions sont en discussion avec pour objectif de réduire cet éventuel risque sont en cours avec des discussions autour de seuils en % à ne pas dépasser comme autorégulation ou d’inclure un mécanisme directement dans le code pour sanctionner des validateurs.
En parallèle, la décision du 8 août de l’OFAC de sanctionner l’utilisation de Tornado Cash questionne chaque couche qui compose l’écosystème crypto et notamment les notions d’incensurabilité ou de décentralisation.

En effet, L’OFAC (Office of Foreign Assets Control) a sanctionné le mixeur Tornado Cash le 8 août dernier après un premier coup de semonce avec celui plus confidentiel de Blender en avril dernier. Le mixeur est un applicatif permettant d’ajouter de la confidentialité dans les transactions afin de limiter la transparence induite par le fonctionnement de blockchains comme Ethereum ou Bitcoin et ainsi préserver la vie privée. Il est ainsi possible d’effectuer des transactions sans lien direct entre deux adresses pour déplacer les fonds d’une à l’autre adresse. Tornado Cash est à ce titre le mixeur le plus utilisé, y compris par un certain Vitalik Buteri, fondateur d’Ethereum, qui a révélé a posteriori avoir utilisé ce service pour financer la cause ukrainienne.. Cette velléité de la part de l’OFAC s’explique notamment par l’utilisation de groupes de hackers comme Lazarus émanant de la Corée du Nord, responsables du retentissant hack d’Axie Infinity.

Comme chaque fois avec les sujets de confidentialité, le sujet est complexe et loin d’être manichéen. Il est possible d’utiliser un mixeur pour mille bonnes raisons comme la tentative de préserver sa vie privée dans un régime dictatorial ou financer des causes associatives nobles avec confidentialité entre autres. Le revers de la médaille est la capacité à utiliser ce service pour masquer les traces d’activités potentiellement illicites.

Sur le plan philosophique condamner leur utilisation au motif que l’on n’a rien à cacher si l’on est innocent est pernicieux, et souligne une paresse intellectuelle bien confortable dans nos démocraties occidentales. A ce propos, lire l’éloge de l’anonymat.

Sur le plan technique et économique, condamner l’utilisation d’un projet open-source de manière aussi brutale alors que l’usage visé est minoritaire n’est pas proportionné.

Au niveau de la production des blocs, une injonction de l’OFAC de ne pas inclure certaines adresses ou applicatifs auprès des validateurs pourrait théoriquement remettre en cause l’incensurabilité de la blockchain si ces acteurs devaient s’y soumettre. Il s’agit d’une question un peu ouverte mais à avoir en tête afin d’aboutir à une position plus mesurée de la part des régulateurs. Cette intervention de l’OFAC met en exergue l’attention avec laquelle il faut suivre les indicateurs clés d’Ethereum post-merge.

A ce titre Ethereum sous sa forme dite «POW» (pré merge) voyait déjà certains de ses groupes de mineurs comme Ethermine ne plus ajouter de transactions vers Tornado Cash. Le sujet n’est donc pas directement lié à la preuve d’enjeu, mais semble sujet à une censure potentielle accrue si une dynamique de centralisation excessive s'opérait dans les mois qui viennent avec des entreprises directement aux Etats-Unis. A ce jour, a minima, ⅓ des validateurs sont aux US.

L’entreprise Coinbase, questionnée par la communauté, a notamment indiqué préférer débrancher les validateurs plutôt que de censurer à la couche protocolaire1. Coinbase représente environ 14,6% du montant total mis en jeu pour sécuriser le réseau. A ce titre, bien que proposant un service analogue à celui de Coinbase, la plateforme Kraken recommande avec insistance de sortir ses cryptos pour en recouvrer la pleine propriété.

The Merge n’était qu’une étape avant les autres concernant les sujets de scalabilité avec The Surge, The Verge, The Purge et The Splurge au cours des années à venir. De l’aveu de Vitalik Buterin, Ethereum n’est qu’à 40% de sa version finale. Le plus dur commence…

 

1 https://thedefiant.io/coinbase-staking-censorship

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