Les conséquences économiques après deux mois de guerre

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

3 minutes de lecture

Aucun prévisionniste ne saurait prétendre avoir identifié tous les effets induits du conflit en Ukraine.

En ce début de printemps 2022, l’économie américaine continue d’accumuler les signes de surchauffe. L’économie chinoise est en large partie à l’arrêt en raison des confinements locaux destinés à stopper la propagation du virus. L’économie européenne, qui abordait 2022 avec le vent dans le dos, est maintenant poussée vers un net ralentissement en réaction à la guerre en Ukraine, qui attise les tensions de prix et prolonge les perturbations logistiques. Quant les trois grandes régions du monde suivent des trajectoires aussi différentes, il est pratiquement certain que la politique économique sera mal calibrée quelque part ou, du moins, qu’elle aura des effets de bord négatifs d’une zone à l’autre.

Divergences et contradictions

Les Etats-Unis sont dans la nécessité de freiner leur demande intérieure, la Chine de soutenir la sienne. L’Europe, elle, se débat au milieu de nombreuses contradictions. Il lui faut réduire sa dépendance énergétique à la Russie mais cela implique des sacrifices. Se passer du gaz russe signifie risquer une nouvelle tension de prix alors même que les ménages européens voient déjà leur revenu perdre de son pouvoir d’achat. La BCE se trouve à l’épicentre de ces contradictions. Cette dernière se doit de répondre au choc d’inflation mais est impuissante face au déséquilibre des marchés de l’énergie. Elle veut éviter que les conditions financières se fragmentent dans la zone euro mais prépare la fin de ses achats d’actifs. Dans le même temps, elle conseille aux états de ne pas trop creuser leurs déficits, au risque de raviver l’anxiété quant à la soutenabilité de l’endettement public.

Il ne peut y avoir aucun apaisement dans les sanctions occidentales contre la Russie, au contraire.

Dans les jours ayant suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et une fois passée la sidération devant un tel évènement, il y avait l’espoir que des négociations de cessez-le-feu aboutiraient, réduisant ainsi le degré d’incertitude. Cet espoir a désormais disparu. Vladimir Poutine a échoué dans sa guerre éclair mais il poursuit son offensive dans certaines parties du territoire ukrainien. Par suite, il ne peut y avoir aucun apaisement dans les sanctions occidentales contre la Russie, au contraire. Ces sanctions imposent un lourd tribut au pays, le FMI envisageant une baisse de près de 10% du PIB réel russe en 2022, mais ce dernier est insuffisant pour étouffer totalement l’économie et entraîner un arrêt aux hostilités. La condamnation des actions russes est d’ailleurs loin d’être universelle. L’Inde voit dans cette guerre l’occasion d’obtenir des produits russes à prix bradés, l’Opep peut se réjouir des effets induits positifs sur ses propres exportations et la Chine ne voit pas d’un mauvais œil l’Occident mobiliser autant de ressources dans cette crise.

Un choc d’incertitude désormais bien installé en Europe

L’hypothèse de base est désormais que le choc d’incertitude est là pour durer. L’implication directe concerne les marchés de l’énergie. Les prix du pétrole et du gaz ont de nouveau baissé depuis leurs records atteints début mars mais restent plus élevés qu’avant la guerre. Il ne faut pas escompter là un apaisement imminent. A l’opposé, une rupture d’approvisionnement reste une éventualité. Pour des raisons évidentes liées à sa proximité géographique et sa dépendance commerciale, l’Europe est la zone la plus exposée. La balance des risques y est encore plus déséquilibrée qu’il y a un mois, l’inflation s’annonçant plus élevée et la croissance plus faible.

En trois mois, le consensus a abaissé sa prévision de croissance du PIB réel de 1,2 points en zone euro à 2,8% en 2022. Une révision aussi forte, en si peu de temps, ne s’était jamais vue en dehors d’un choc récessif. La spécificité du choc actuel réside dans le fait qu’il a frappé une économie européenne en pleine reprise post-COVID. Cela amortit l’impact négatif, sans pour autant l’annuler. Du côté de l’inflation, les révisions sont encore plus spectaculaires. Depuis le début de l’année, le consensus a relevé sa prévision moyenne d’inflation de 3,1% à 6,5% pour 2022 en zone euro.

Peu d’informations sont disponibles sur les comportements réels de production et de dépenses.

Les statistiques parues depuis le début de la guerre ne rendent pas encore pleinement compte de l’impact sur l’économie. Ces dernières restent, tout d’abord, incomplètes. On dispose surtout de données sur les prix et la confiance, mais peu d’informations sont disponibles sur les comportements réels de production et de dépenses. En mars 2022, les ménages européens ont brutalement basculé dans un état de morosité inégalé depuis le Grand Confinement de mars 2020, mais il est encore impossible de savoir si leur consommation en sera aussi profondément affectée.

Ensuite, le choc de la guerre vient contrecarrer des évolutions qui s’annonçaient bénéfiques, en particulier sur le front sanitaire. Le climat des affaires est donc influencé par des forces contraires. A ce jour, les conditions courantes ont mieux résisté au choc que les conditions futures. Les services ont bénéficié de la levée des restrictions anti-COVID alors que des secteurs exposés aux perturbations de la chaîne logistique, tels l’industrie ou la construction, sont plus inquiets pour leur production. Au plan géographique, le climat des affaires a davantage reculé en Allemagne qu’en France. Les standards de prêt ont commencé à se durcir au premier trimestre. On ne voit guère, pour l’instant, de répercussion notable de ce choc d’incertitude dans le reste du monde.

états-Unis et Chine, de la surchauffe à l’arrêt

Aux Etats-Unis, le marché du travail est chauffé à blanc à cause d’un manque persistant de main-d’œuvre. Le boom de l’immobilier résidentiel est sans précédent, plus fort même que durant la bulle des années 2000, mais sans endettement excessif des ménages. Ce sont les fondamentaux qui sont à l’œuvre plutôt que la spéculation. Pour autant, la tendance n’est pas extrapolable à ce rythme. Les conditions d’accès à la propriété se sont durcies sous le triple effet du freinage des revenus réels, de la hausse du prix des logements et de la hausse des taux d’emprunt.

Après un début timide, la remontée des taux de la Fed devrait s’accélérer à court terme. Les membres les plus prudents du FOMC visent 200 pb de hausse des taux cette année, les plus agressifs 350 pb, ce à quoi s’ajoutera d’ici peu la réduction du portefeuille d’actifs de la banque centrale. Le resserrement monétaire est le plus fort jamais envisagé depuis 1994. A l’époque, l’économie avait freiné sans rechuter en récession. Cette fois, les tensions de prix sont plus fortes et plus diffuses. Des premiers signes de modération de l’inflation sous-jacente sont apparus mais demandent à être confirmés pour donner à la Fed les moyens de piloter un atterrissage en douceur.

L’autre mastodonte qu’est la Chine est, en revanche, presque à l’arrêt. Les confinements se multiplient pour endiguer une nouvelle vague de contaminations, avec deux effets néfastes sur le plan économique: une chute de la demande des ménages et de nouvelles perturbations logistiques. Il est à craindre, comme l’an passé, que le reste du monde n’en prenne la pleine mesure avec quelques mois de décalage. Dans cette année cruciale au plan politique, avec la possible extension du mandat du président Xi Jinping, les autorités veulent éviter toute forme d’instabilité. Le dégonflement de la bulle immobilière, elle, reste une priorité mais doit se poursuivre sans surréaction. A petit pas, la banque centrale assouplit sa politique monétaire. Il ne faudra pas compter sur une forte relance de l’économie chinoise.

A lire aussi...