Le rôle de la finance dans la transition énergétique

Marc Briol, Pictet Asset Services

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L’engagement actionnarial, ou le dialogue, s’avère plus efficace que le désinvestissement pur et simple pour faire évoluer les comportements.

Nous n’avons pas d’autre choix que de renoncer progressivement aux ressources énergétiques les plus polluantes, une transition à laquelle tous les secteurs – financier y compris – doivent participer activement. Les investisseurs disposent de trois leviers pour favoriser la décarbonation de la filière des combustibles fossiles, qui est à l’origine de plus des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES): la redirection du capital au profit d’entités apportant des solutions, le dialogue (ou engagement actionnarial) ou le désinvestissement. Alors que ce dernier fait tout sauf encourager les entreprises concernées à changer de cap, il en va autrement du dialogue visant à les convaincre de fixer des objectifs de réduction de leurs émissions. D’après plusieurs études récentes, dont celle d’Enterprise 4 Society1, l’engagement actionnarial s’avère en effet plus efficace que le désinvestissement pur et simple pour faire évoluer les comportements.

Pour instaurer un dialogue constructif avec les entreprises, il faut acquérir une connaissance fine de leur profil d’émissions de GES, de leur (éventuelle) stratégie climatique et des objectifs scientifiques à moyen et long terme corrélatifs.  

Les données climatiques sont le point de départ de toute démarche d’engagement actionnarial. Les investisseurs en ont besoin pour évaluer le profil environnemental des sociétés dans le temps et par rapport à leurs homologues, mais aussi pour définir un niveau d’émissions de référence. Celles qui ne le faisaient pas encore doivent donc publier des chiffres précis.

Par ailleurs, la fixation d’objectifs intermédiaires est déterminante. Les investisseurs doivent en effet pouvoir distinguer les entreprises qui prennent des mesures tangibles pour mener une transition progressive et durable de celles qui pratiquent le greenwashing. Qu’ils visent à accroître les sources d’énergies renouvelables, à réduire les émissions ou à publier des données climatiques, les objectifs des acteurs du secteur doivent porter sur toutes les émissions générées par leurs activités («scope 1 et 2») et par leur chaîne de valeur («scope 3») –  ces dernières représentant la majeure partie de leur empreinte carbone. Et pour permettre aux investisseurs de mieux évaluer la volonté et le potentiel de transition des entreprises, ces objectifs doivent être fondés sur des données scientifiques validées.

Le dialogue fait partie de la boîte à outils de l’actionnariat actif, où on trouve aussi le vote par procuration, le dépôt de résolutions, la réélection des administrateurs et les arbitrages.

Bien que critiquées vu leur image écologique potentiellement trompeuse, les résolutions Say on Climate sont l’occasion pour les dirigeants et administrateurs de recueillir les avis et attentes de leurs actionnaires, mais elles doivent être renouvelées en vue de convaincre les entreprises concernées de la nécessité de discuter.

Les investisseurs doivent aussi veiller à ce que les objectifs climatiques des sociétés du secteur soient alignés sur leurs pratiques de gouvernance, en appelant p. ex. à indexer la rémunération des dirigeants sur les performances en matière de gouvernance climatique. Le but est d’inciter ces derniers à agir dans l’intérêt à long terme de leur société, avec les risques et opportunités qui en découlent. Les investisseurs peuvent aussi voter contre une résolution Say on Pay pour encourager les entreprises à adapter la rémunération à court terme de leurs dirigeants aux objectifs climatiques.

L’activisme réglementaire et politique peut aussi aider à faire progresser la législation, dans des domaines comme la publication des données climatiques, les subventions à visée incitative, ou encore l’obligation de transparence des entreprises sur leurs activités de lobbying et de financement politique. D’autres acteurs de la société civile (élus, créanciers, etc.) peuvent également être mobilisés pour insuffler le changement.

Malgré tout, par rapport à d’autres secteurs d’activité, rien ne permet de garantir que l’engagement actionnarial sera aussi efficace dans la filière des combustibles fossiles, qui fait face à des coûts supérieurs et à une plus grande incertitude pour faire évoluer son cœur de métier. En effet, même si une entreprise prend en compte les revendications climatiques de ses actionnaires, il faudra du temps et des efforts continus pour que le dialogue porte réellement ses fruits en termes de réduction des émissions et de respect de l’Accord de Paris. Mais il reste un autre moyen crucial pour favoriser la transition: restreindre la demande de combustibles fossiles. Le secteur financier a un rôle à jouer dans cette démarche, à condition que l’Etat et les consommateurs participent aussi.

1 Source: https://e4s.center/resources/reports/the-role-of-finance-in-the-energy-transition/

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