Le prix du pétrole, une variable clé pour les marchés en 2024

Philippe Ferreira, Kepler Cheuvreux Solutions

2 minutes de lecture

La capacité de nos économies à vivre avec l’inflation et les taux élevés a surpris favorablement ces deux dernières années. Mais cette capacité bute sur une limite temporelle.

© Keystone

Le prix du pétrole est un élément clé pour les perspectives d’investissement. A $80/b, notre hypothèse centrale pour 2024, nous estimons que les producteurs et les consommateurs trouvent un équilibre non inflationniste. Dans le scénario adverse où les tensions géopolitiques poussent le prix du brut au-delà de $100/b, le risque de stagflation devient majeur et les marchés seraient fortement perturbés.

En 2023, à l’ère du changement climatique et des engagements de décarbonation de la part des Etats, le prix des énergies fossiles continue paradoxalement d’exercer une influence majeure sur les marchés financiers. Il est fort probable que cela va perdurer en 2024.

Bientôt 10 ans après l’accord de Paris sur le climat, un premier constat s’impose. Non seulement les engagements des Etats ne sont pas suffisants pour atteindre la neutralité carbone en 2050; mais le respect de ces engagements est insuffisant. Aux Etats-Unis, l’inflation des coûts a donné lieu à l’abandon de certains projets d’énergies renouvelables. Du côté des consommateurs, la transition vers les véhicules propres sera plus lente que prévu; la perte de pouvoir d’achat des ménages n’aidant pas au renouveau du parc automobile. Enfin, les élections présidentielles aux Etats-Unis fin 2024 pourraient voir le retour de Donald Trump, qui avait quitté l’accord de Paris peu de temps après son arrivée à la Maison Blanche. Joe Biden y était revenu mais Trump annonce qu’il le quittera à nouveau s’il est réélu…

D’ici fin 2024, les instruments de marché anticipent 3 baisses de taux de la part de la Réserve Fédérale et de la BCE, ce qui permettrait de réduire le coût de financement des entreprises et des ménages et de soutenir la croissance.

Pour ces différentes raisons, le pétrole continue d’avoir une influence majeure sur les marchés financiers, à travers son impact sur l’inflation et sur les politiques monétaires des banques centrales. Au cours de l’été, la forte progression des prix du brut après l’extension des coupes de production par l’OPEC+ a coïncidé avec un rebond de l’inflation et une hausse marquée des taux aux Etats-Unis. Cela a perturbé l’ensemble des marchés financiers.

A plus de $80 /b actuellement, le prix du Brent reflète plus l’étroitesse de l’offre que la perte de vitesse de la demande, notamment en Chine. La réunion de l’OPEC+ du 26 novembre sera donc une étape importante et il y a de fortes chances que les coupes de production seront reconduites. Nous estimons toutefois que le prix actuel devrait prévaloir en moyenne en 2024. Le niveau de $80/b ne serait pas une source d’inflation additionnelle pour les consommateurs (il était à ces niveaux au cours des douze derniers mois en moyenne). Côté producteur, c’est aussi un niveau suffisant pour équilibrer les finances publiques des grands pays producteurs come l’Arabie Saoudite. C’est un équilibre précaire, avec un prix suffisamment élevé pour inciter les consommateurs à réduire leur empreinte carbone sans être inflationniste.

En revanche, si les tensions géopolitiques venaient à contraindre davantage l’offre, nos économies feraient face à un vrai dilemme. A $100/b, la contribution de l’énergie à l’inflation dans les pays développés en 2024 redeviendrait significative, ce qui limiterait très fortement la capacité des banques centrales à baisser les taux. Le risque de stagflation (inflation forte, croissance faible) deviendrait majeur et il va sans dire que les marchés actions et obligations feraient face à une pression baissière en raison de la révision des attentes de taux.

D’ici fin 2024, les instruments de marché anticipent 3 baisses de taux de la part de la Réserve Fédérale et de la BCE, ce qui permettrait de réduire le coût de financement des entreprises et des ménages et de soutenir la croissance. Mais si les attentes de taux venaient au contraire à être revues à la hausse par rapport aux niveaux actuels, non seulement la question de la soutenabilité des finances publiques se posera rapidement; mais le pouvoir d’achat des consommateurs serait davantage pénalisé, ce qui entraînerait probablement une récession sévère.

En conclusion, la capacité de nos économies à vivre avec l’inflation et les taux élevés a surpris favorablement ces deux dernières années. Mais cette capacité bute sur une limite temporelle. Les entreprises et les ménages ont disposé de liquidités abondantes dans le sillage de la crise sanitaire pour faire face à ces chocs. Mais l’excès d’épargne a été en grande partie consommé et les besoins de refinancement des entreprises européennes sont élevés en 2024 et 2025. Si les banques centrales font face à un redémarrage de l’inflation en raison des prix de l’énergie, elles seront forcées d’intervenir et de casser la résilience des économies développées. C’est un scénario de risque, mais qu’il ne faut pas négliger à l’heure de formuler les perspectives 2024.

A lire aussi...