Les actifs sans risque sont-ils toujours aussi sûrs?

Philippe Ferreira, Kepler Cheuvreux Solutions

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La correction obligataire sans précédent remet en question le statut historique des obligations souveraines. Il y a toutefois peu de candidats pour les remplacer.

Le mois de septembre 2023 a encore donné des sueurs froides aux investisseurs obligataires. L’indice de référence Bloomberg Euro Aggregate Treasuries a chuté de 2,7% en rendement total, après avoir enregistré des baisses sévères au cours des deux dernières années. Le repli cumulé depuis le plus haut de fin 2020 s’élève désormais à plus de 20%. Un indice équivalent sur la dette souveraine américaine est en baisse de 17,5% depuis son point haut. Il s’agirait selon certains calculs relayés par Bloomberg de la pire correction obligataire enregistrée aux Etats-Unis depuis… 1787.

Un actif qui subit de tels mouvements peut-il être considéré comme étant sans risque? D’autant plus que l’emballement sur les taux exacerbe les inquiétudes sur la soutenabilité des dettes publiques. Les déficits budgétaires sont difficiles à réduire sans remettre en question l’état providence, et la transition énergétique requiert des investissements pharamineux au cours des prochaines décennies. Beaucoup de questions surgissent de la part des investisseurs: si les banques centrales et certains pays comme la Chine n’achètent plus la dette souveraine des pays développés, qui va pouvoir mettre un frein à la hausse des taux?

Ces questions sont cruciales pour les marchés financiers. La crise de la dette souveraine en zone euro il y a un peu plus d’une dizaine d’années illustre la façon dont un actif sans risque peut perdre son statut rapidement. La hausse des taux récente a de nouveau soulevé des inquiétudes sur la soutenabilité de la dette publique Italienne.

Les développements les plus récents suggèrent que les obligations souveraines restent des valeurs refuge.

Il va donc sans dire que les actifs dits «sans risque» sont plus risqués dans le monde actuel. Les dettes publiques ont fortement augmenté dans le sillage de la crise Covid. Et suite à la normalisation des taux d’intérêts, le service de la dette va fortement augmenter si les taux restent élevés pour longtemps, comme l’annoncent les banques centrales.

Toutefois, les développements les plus récents suggèrent que les obligations souveraines restent des valeurs refuge. La montée des tensions géopolitiques au Moyen-Orient début octobre a ainsi freiné la correction obligataire. Les taux 10 ans américains et allemands ont reculé de près de 30 points de base en quelques jours, alors que la carte du Moyen-Orient est en train de se redessiner.

Aussi, il y a peu de candidats pour remplacer les obligations souveraines comme valeur refuge. L’or pourrait être un candidat mais il fonctionne de façon aléatoire. L’or n’a pas protégé les portefeuilles en 2022, lorsque l’invasion de l’Ukraine et l’inflation ont soudainement provoqué une hausse de l’incertitude. L’or physique pose d’énormes défis logistiques, alors que les produits financiers indexés sur l’or peuvent présenter un risque de contrepartie. Les banques centrales de certains pays émergents sont néanmoins en train de diversifier leurs réserves de change, i.e. elles vendent du dollar, et donc implicitement des obligations souveraines, pour acheter de l’or physique. Pour certains, les cryptodevises pourraient jouer le rôle de valeurs refuge, mais le risque de contrepartie et le manque de transparence sur le collatéral des stable coins limitent fortement leur attrait.

Il n’existe donc pas d’alternative simple aux obligations souveraines concernant les actifs sans risque. Certaines obligations d’entreprises présentent un risque de crédit plus faible que les états. Par exemple, Apple présentent une dette nette négative. Cela signifie que sa dette est plus que compensée par sa trésorerie. Mais sur un horizon 20 ou 30 ans, cela sera-t-il toujours le cas? Un accident industriel peut arriver, un concurrent majeur peut émerger, qui dégraderait la qualité de crédit de cet émetteur. En revanche, on a davantage de certitudes que dans 50 ans l’état allemand, français ou suisse continuera d’exister et que son pouvoir législatif restera intact afin d’imposer des hausses d’impôts pour équilibrer les finances publiques. Le vieillissement de la population et les engagements sociaux dégraderont probablement la qualité des émetteurs souverains. Mais c’est une source de risque avec laquelle les investisseurs vont probablement devoir vivre.

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