La dé-dollarisation au profit de l’or

Philippe Ferreira, Kepler Cheuvreux Solutions

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Depuis l’adoption de sanctions financières vis-à-vis de la Russie, certains pays émergents ont amorcé un processus de diversification de leurs réserves de change.

Un mouvement de dé-dollarisation s’est mis en place dans plusieurs pays émergents depuis le gel des avoirs de la banque centrale russe. L’or en est le principal bénéficiaire et cette tendance n’est pas sur le point de s’atténuer.

Depuis l’adoption de sanctions financières vis-à-vis de la Russie, notamment le gel de près de 300 milliards de dollars d’avoirs de la CBR (Central Bank of Russia), certains pays émergents ont amorcé un processus de diversification de leurs réserves de change. En référence à cette tendance, on parle de dé-dollarisation car la majorité des réserves de change sont libellées en dollar américain. Dans cette rubrique, nous expliquons ce que cela signifie, et quelles en sont les implications de marché.

Tour d’abord parler de dé-dollarisation est un grand mot. Selon le FMI, la part du dollar dans les réserves de change internationales début 2023 était proche de 60%, un niveau relativement inchangé par rapport aux années récentes. Mais certains pays comme la Chine sont en train de réduire significativement leur dépendance au dollar.

Cette dépendance est une source de vulnérabilité car les avoirs en dollar peuvent être gelés par l’administration américaine. Si la Chine venait à annexer Taiwan, le Trésor américain pourrait saisir une part significative des réserves de change de la Chine, qui s’élèvent à près de 3200 milliards de dollars mi-2023. Il s’agit du trésor de guerre qui a été accumulé depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001. En effet, pour préserver la compétitivité à l’exportation et les excédents commerciaux gigantesques avec le reste du monde, il fallait limiter l’appréciation du Renminbi. La banque centrale chinoise intervenait en accumulant des réserves, à tel point qu’elle a été accusée de pratiques commerciales déloyales.

A présent, afin de s’affranchir de la tutelle de facto de l’administration américaine, la Chine cherche à diversifier ses avoirs. D’autres pays, tels que l’Inde, Qatar, Iraq, et UAE sont également en train de diversifier leurs actifs externes, dans des proportions beaucoup plus limitées cependant. Mais comment diversifier ses avoirs internationaux si les monnaies de réserve (USD, EUR, GBP, JPY) sont celles de pays susceptibles de se coordonner avec les Etats-Unis en cas d’adoption de sanctions financières? On voit mal la Chine accumuler des réserves en Rouble, Livre turque ou Bolivar vénézuélien. Ces monnaies sont trop instables pour être des réserves de valeur, et sont peu ou pas du tout liquides sur les marchés internationaux.

L’unique réserve de valeur qui offre des conditions de liquidité comparables aux grandes devises, mais qui n’est pas contrôlée par un état, est l’or. La Chine et d’autres pays émergents, qui veulent pouvoir conduire leurs affaires comme bon leur semble, n’ont donc d’autre choix que d’acheter de l’or. Les données disponibles montrent en effet des achats significatifs depuis février 2022. La Chine a elle seule a acheté pour plus de 200 tonnes d’or depuis l’invasion de l’Ukraine et l’adoption des sanctions à l’encontre de la Russie.

Une des conséquences de la dé-dollarisation est donc une demande accrue pour l’or qui soutient les cours. De fait, on peut attribuer la résilience récente de l’or à ce facteur. En temps normal, le cours de l’or est inversement corrélé au dollar et aux taux réels américains. Il y a une logique à cela. Si la rémunération d’un actif sans risque (bons du trésor américain) augmente, cela devrait être un vent contraire pour d’autres actifs sans risque non rémunérateurs, comme l’or. Or ces conditions d’arbitrage sont de moins en moins réalisées. Depuis février 2022, les taux réels 10 ans américains ont progressé de près de 250 points de base. Face à cela, l’or a progressé de plus de 6% alors que les corrélations historiques auraient suggéré une baisse de plus de 20%. Des études académiques publiées en 2023 trouvent également un effet significatif entre l’adoption de sanctions financières et la part des réserves officielles détenues en or1.

A moyen terme, il nous semble que les tensions géostratégiques entre la Chine et les Etats-Unis vont s’accroitre davantage. En conséquence, la dé-dollarisation est une tendance qui n’est pas sur le point de s’atténuer. Et même si elle est à relativiser par rapport au nombre de pays qui y participent, l’élan de la Chine dans cette direction est un facteur de soutien non négligeable pour les métaux précieux et l’or en particulier.

 

1Arslanalp, S, B Eichengreen and C Simpson-Bell (2023), «Gold as International Reserves: A Barbarous Relic No More?» IMF Working Paper 2023/014

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