Le portefeuille prêt au scénario du pire

Emmanuel Garessus

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L’extension du conflit armé à l’Est est une éventualité à laquelle l’investisseur et les stratégistes sont en train de se préparer.

L’aggravation du conflit avec la Russie est un scénario réaliste. L’historien Philippe Fabry, auteur de l’Histoire du siècle à venir, qui avait annoncé l’invasion de l’Ukraine, évoque sur son blog la probabilité d’une escalade. Des stratégistes répondent aux questions posées par Allnews sur le portefeuille susceptible de répondre à une extension du conflit, aux actifs qui en profiteraient et aux actions à privilégier pour tirer son épingle du jeu.

«Une aggravation potentielle du conflit fait partie des facteurs de risque dont nous tenons compte. Actuellement, nous y attribuons une probabilité de 20%, déclare Stéphane Monier, CIO de Lombard Odier. Une telle évolution du conflit entraînerait, à son avis, «un changement radical des perspectives macroéconomiques, notamment une baisse significative de la croissance, une inflation plus élevée et une contraction économique encore plus sévère». Depuis le début de l’offensive russe, en février, Lombard Odier a progressivement réduit le risque des portefeuilles, pour tenir compte de la détérioration des perspectives macroéconomiques mondiales. Mais «l’impact sur les perspectives d’investissement dépendrait aussi de la réponse fiscale et monétaire», précise Stéphane Monier.

«L’hypothèse d’une escalade fait partie des scénarios alternatifs, mais pas du scénario central qui table sur un enlisement du conflit.»

Le portefeuille de référence de Mirabaud est adapté à un risque d’aggravation. Il l’est notamment, avance Gero Jung, chef économiste de Mirabaud «via les deux biais suivants. Premièrement, nous avons poursuivi nos achats progressifs de titres du Trésor américain sur des maturités longues – un investissement dans ces actifs, considérés des plus sûrs, représente une protection naturelle contre ce genre de risque géopolitique. Deuxièmement, nous restons exposés à l’or, malgré la hausse des taux réels, la baisse de la liquidité et un dollar fort.»

L’hypothèse d’une escalade «fait partie des scénarios alternatifs, mais pas du scénario central qui table sur un enlisement du conflit», affirme Benjamin Melman, Global Chief Investment Officer (CIO) chez Edmond de Rothschild Asset Management. Le CIO met en avant «la réponse déterminée et coordonnée des Occidentaux, l’extraordinaire réaction des Ukrainiens». Il ajoute que les replis récents de l’armée russe réduisent ce risque.

Les actifs recherchés

L’aggravation pousserait à la hausse, selon Benjamin Melman, le dollar, l’or et les matières premières. Le CIO ajoute que si l’aggravation du conflit était «substantielle, les banques centrales retrouveraient le chemin des injections de liquidité et les emprunts d’Etats retrouveraient leur statut de flight to quality.»

Stéphane Monier s’attend aussi «à des pics de prix pour le gaz et le pétrole, à une nouvelle pression à la hausse sur certaines matières premières agricoles qui bénéficient actuellement de l'accord d'exportation négocié par la Turquie (le blé en particulier) et à une hausse de prix des matériaux plus spécialisés comme les engrais ou l'aluminium.

Le cours de l’or, baromètre historique des risques mondiaux, pourrait, à son avis, trouver un nouveau soutien, «surtout si l'aggravation du conflit coïncide avec un pic de resserrement des politiques monétaires.» Quant aux obligations du Trésor américain, elles en bénéficieraient à condition, précise-t-il, «que le resserrement de la politique monétaire soit bien avancé et ne nécessite pas de nouveaux tours de vis pour faire face à une détérioration potentielle des perspectives d’inflation.

L’allocation de portefeuille

En termes d’allocation proposée actuellement, Benjamin Melman déclare que «les marchés obligataires offrent enfin des rendements attractifs et les marchés d’actions gardent une capacité de rebond». Il s’appuie ici sur le fait que le cycle de hausse de taux aux Etats-Unis est «très avancé et désormais bien anticipé et que l’inflation américaine pourrait décélérer prochainement».

«Il convient de maintenir une posture tactique prudente, privilégiant les actifs de qualité et des niveaux de risque inférieurs à l'indice de référence.»

Face aux nombreux risques actuels, Chez Lombard Odier, Stéphane Monier estime, lui, qu’«il convient de maintenir une posture tactique prudente, privilégiant les actifs de qualité et des niveaux de risque inférieurs à l'indice de référence. Cela se traduit notamment par une surpondération des liquidités par rapport aux actions et aux obligations». Son objectif est de construire «des profils de portefeuille asymétriques en recourant aux stratégies d’options de vente sur les indices boursiers américains et européens».

Dans l’attente d’une politique moins restrictive, Gero Jung, chez Mirabaud, propose de rester sous-pondéré dans les actions. De plus, il se dirige «vers une allocation neutre dans l’espace obligataire au travers de l’augmentation des obligations d’Etat américaines et des corporate bonds de type «investment grade» de qualité et duration courte. Dans les devises, nous aimons le dollar américain et le franc suisse.

Actions

Dans les actions, Benjamin Melman affirme être sous-pondérés sur les actions et donc aussi sur le marché européen. Il pense que «la Value devrait poursuivre son rattrapage». Les secteurs plus cycliques comme l’industrie et les matériaux de construction sont appelés à surperformer du fait de la normalisation du cycle économique.

Gero Jung dit conserver un «biais défensif, et plus particulièrement notre surexposition aux secteurs de la santé et de la consommation de base aux Etats-Unis et en Europe». Mirabaud maintient un biais positif sur l’énergie et investit dans des thématiques de long terme porteuses, comme les infrastructures. En effet, les actifs réels surperforment dans les périodes de forte inflation, affirme Gero Jung.

A plus long terme, une fois atteint le sommet sur les taux, Mirabaud privilégiera à nouveau les valeurs de croissance. Le chef économiste a «une préférence relative pour les actions suisses en Europe – la situation économique y étant plus résiliente.

Dans les actions, Lombard Odier estime «qu’il est judicieux de privilégier les styles qualité et valeur, ainsi que les secteurs de la santé et de l'énergie. Sur le plan régional, il sous-pondère les Etats-Unis, l'Europe et les pays émergents, préférant les valeurs chinoises et suisses. Enfin, les banques font partie des rares secteurs à bénéficier de la remontée des taux d’intérêt. Les valeurs bancaires restent nettement sous-évaluées: la valorisation boursière de Tesla dépasse la valorisation combinée des 20 banques européennes les plus importantes.

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