Michel Liès: «La Zurich a tenu ses promesses»

Emmanuel Garessus & Philippe Rey

3 minutes de lecture

Le président de la Zurich se dit peu préoccupé par la géopolitique en raison de l’ancrage occidental du groupe.

Jour de fête à Zurich. Le groupe présidé par le Luxembourgeois Michel Liès fête ses 150 ans. La société créée le 22 octobre 1872 a initialement été active dans la réassurance maritime, avant de procéder à une expansion dans les métiers de l’assurance. La plus grande société financière suisse, en termes de capitalisation boursière, est dirigée depuis 2016 par Mario Greco. Depuis cette date, l’assureur est passé du 10e au 7e rang des plus grands groupes d’assurance au monde. La performance totale de l’action a atteint 145% lors de son mandat, soit davantage que les 27% de l’indice des assurances européennes. Michel Liès, président du conseil d’administration, répond aux questions d’Allnews:

Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus actuellement? Est-ce la situation géopolitique? Les questions de démographie?

Amateur d’histoire, j’ai regardé les rapports de gestion publiés en Allemagne et en France en 1938 et 1939. J’ai constaté que les entreprises y parlaient de leurs affaires comme si rien ne se passait autour d’elles. Cela m’inquiète un peu. Même au bénéfice d’un modèle d’affaires très résilient, nous ne sommes pas indépendants des affaires de ce monde. Il me semble parfois que les êtres humains n’arrivent pas à rester sages après 75 ans de tranquillité. En tant qu’être humain, la polarisation du monde m’inquiète aussi. C’est pathétique.

Pour le reste, je suis assez confiant. La Zurich a montré qu’un modèle d’affaires bien fait pouvait être résilient.

Le groupe Zurich est le 2e assureur en Europe. N’êtes-vous pas trop européen alors que les perspectives y sont inférieures au reste du monde? Vous êtes également le 2e plus grand groupe mondial dans l’assurance de grandes entreprises. Est-ce vraiment rentable en termes de ratio combiné?

Nous sommes très exposés au marché américain par l’intermédiaire de Farmers, une société que nous gérons mais que nous ne finançons pas directement. Nous sommes ainsi très présents sur le marché américain des particuliers, mais indirectement en raison d’un modèle d’affaires économe en fonds propres.

Nous sommes sortis du marché chinois il y a une dizaine années. Nous accompagnons les entreprises européennes présentes là-bas, mais sans y jouer un rôle majeur.

Nous sommes également actifs auprès des grandes entreprises à travers notre filiale de Chicago. Sur ce dernier segment de marché, nous avons oeuvré afin de limiter la volatilité du résultat. La volatilité de ces affaires est par nature plus élevée qu’ailleurs, mais la qualité de la souscription nous a permis de diminuer cette volatilité. Notre offre est modeste par exemple dans l’aviation et le cyberrisque. Cela a donc très bien fonctionné.

N’êtes-vous pas trop dépendant de l’Europe au détriment de régions en expansion comme l’Asie?

Notre position est effectivement très significative en Europe et aux Etats-Unis. Nous sommes sortis du marché chinois il y a une dizaine années. Nous accompagnons les entreprises européennes présentes là-bas, mais sans y jouer un rôle majeur. Nous augmentons toutefois nos positions ailleurs en Asie, comme en Indonésie et en Malaisie et nous sommes assez actifs à Hong Kong.

La géopolitique ne nous inquiète pas trop car nous sommes davantage orientés vers l’Occident. Je dois vous avouer que dans l’état actuel des tensions internationales, si  nous devions arriver au moment où une entreprise devait choisir entre la Chine et les Etats-Unis, la planète irait très mal.

Est-ce qu’un taux combiné (ndlr: les sinistres et les frais par rapport aux primes) de 95% à travers le cycle dans les affaires de grandes entreprises vous paraît réaliste?

Le taux combiné y est même inférieur actuellement (89% au premier semestre 2022). Dans ce domaine, nous prenons garde de ne pas profiter de façon excessivement opportuniste du haut du cycle. En clair, nous ne voulons pas encaisser des primes tant que l’on peut quitter le marché quand le cycle se retourne. Pour éviter ce type de surprise, nous oeuvrons main dans la main avec nos clients pour gérer les risques. Nous ne voulons pas avoir du succès uniquement au plus haut du cycle. C’est pourquoi la relation à long terme avec les clients est extrêmement importante. Nous sommes arrivés à beaucoup réduire la volatilité de ce type d’affaires.

Les normes IFRS 17 offrent un avantage sympathique. Elles permettent une réelle comparaison de l’une des données qui étaient jusqu’ici, à mon avis, la plus ridicule, soit le ratio combiné.
La volatilité est-elle plus forte dans la réassurance?

Effectivement. Il s’agit de comprendre que personne n’assure les réassureurs. Ces derniers sont davantage victimes des nouveaux capitaux que nous. Cela les empêche d’augmenter les primes au niveau visé. Le cycle est plus difficile à gérer dans la réassurance.

Je constate qu’il y a davantage d’entreprises industrielles à assurer que de compagnies d’assurance à réassurer. D’ailleurs, nous connaissons bien le métier et ne sommes pas des clients faciles pour un réassureur.

Connaisseur des deux métiers, qu’avez-vous découvert de différent de la réassurance?

Personnellement, je connaissais très bien le côté intellectuel du problème d’adéquation du risque et du capital, mais rien à la distribution. Chez Zurich, j’ai eu besoin d’au moins 12 mois pour mieux comprendre les besoins des courtiers. J’avais intégré la partie complexe, moins la partie industrielle. Cela m’a aidé à me positionner dans mes fonctions de président du conseil d’administration.

Zurich est maintenant la plus grande capitalisation boursière au sein des groupes financiers suisses, à plus de 2 fois les fonds propres (62 milliards de francs). Qu’est-ce que cela reflète?

Cela reflète nos résultats, les promesses tenues et – ce qui est véritablement venu avec Mario Greco – le besoin de parler de ce qu’on fait quand on l’a fait, et non pas comme si c’était un rêve. Nous avons tenu nos promesses et n’en avons pas fait des folles. Il en est résulté une grande confiance de la part des investisseurs. Je pense aussi qu’être un assureur en Suisse est un facteur positif à leurs yeux.

La marge de solvabilité s’est améliorée alors que les fonds propres publiés ont diminué avec la comptabilité aux normes IFRS, non?

Les normes IFRS 17 offrent un avantage sympathique. Elles permettent une réelle comparaison de l’une des données qui étaient jusqu’ici, à mon avis, la plus ridicule, soit le ratio combiné. Il ne voulait presque rien dire puisqu’il comparait des affaires vie, choses et responsabilité.

Il est assez étonnant que l’une des mesures que les assureurs ont inventé eux-mêmes, il y a plus d’un siècle, ne veuille plus rien dire.

A lire aussi...