Le vrai QT de la BCE n’a pas commencé

Emmanuel Garessus

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Après la hausse des taux de 0,75%, la BCE prépare la réduction de son bilan. L’économiste Eric Dor présente son scénario.

La Banque centrale européenne (BCE) a, comme prévu, relevé de 75 points de base ses taux directeurs ce jeudi, en réponse à une inflation qui atteint 9,9% en septembre dans la zone euro. Christine Lagarde a également décidé d’ajuster les taux d’intérêt applicables aux TLTRO III à compter du 23 novembre 2022 et de proposer aux banques des dates supplémentaires de remboursement anticipé volontaire. Enfin, le Conseil des gouverneurs a décidé de fixer la rémunération des réserves obligatoires au taux de la facilité de dépôt de la BCE.

Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, à Paris et Lille, est connu pour ses travaux sur la zone euro et les banques centrales. Dans une interview avec Allnews, il détaille les coûts et bénéfices d’un quantitative tightening (QT), soit l’inverse de l’assouplissement (ou quantitative easing, QE) réalisé ces dernières années qui a amené la BCE à procéder à de vastes programmes de rachats de titres. Il s’agissait des programmes d’APP et de PEPP. Il y a eu une forte croissance de la taille du bilan de l’Eurosystème qui détient 4937 milliards d’euros d’actifs acquis ainsi. Le QT devrait prendre le chemin inverse, celui de la réduction des actifs financiers au bilan de la BCE, afin de dissuader d’emprunter et freiner l’inflation, selon Eric Dor.

Les banques centrales européennes font des pertes en raison de la baisse des marchés obligataires, mais quel est l’effet de la hausse des taux sur leur bilan?

Les banques centrales s'inquiètent du coût qu'implique la hausse du taux de la facilité de dépôt. Durant la crise du covid, les banques centrales avaient crédité les comptes courants des banques commerciales en leur octroyant des prêts massifs, ce qui avait accru des liquidités déjà dopées par le QE. Aujourd’hui, de nombreuses banques centrales enregistrent de lourdes pertes qui se répercuteront sur les budgets nationaux. Dans certains pays, il est même question de renflouement de la banque centrale.

«On assistera déjà à un resserrement monétaire quantitatif implicite par le remboursement des TLTRO.»
Malgré le niveau d’inflation, votre scénario principal est d’un attentisme de la BCE avant de mettre en oeuvre un QT. Pour quelle raison?

Tout d’abord, on assistera déjà à un resserrement monétaire quantitatif implicite par le remboursement des TLTRO (ndlr. des prêts à long terme aux banques à des conditions avantageuses). Le bilan de l’Eurosystème doit de toute manière diminuer mécaniquement à cause des remboursements par les banques de leurs emprunts TLTRO qui arrivent à maturité (pour 2124 milliards d’euros). La BCE a d’ailleurs décidé jeudi de changer les règles du jeu en incitant les banques commerciales à se débarrasser au plus vite des LTRO. C’est une première forme de réduction des liquidités, mais encore indirecte. La réduction directe du bilan de la BCE n’est pas encore actée.

Qu’en est-il de l’objectif de convergence des écarts de taux en Europe?

C’est la principale menace. L’Eurosystème ne peut pas se permettre une explosion des spreads.

Qui décidera des conséquences? Le marché ou les banques centrales?

Les marchés sont en train de reprendre les commandes. Sous le prétexte de lutte contre le risque de déflation, les banques centrales ont acheté massivement des obligations souveraines et ont aidé les Etats à se financer.

Les marchés obligataires étaient neutralisés durant le QE et ne jouaient plus leur fonction de vigilance par rapport à des Etats dispendieux. Cette discipline est sortie de l’équation. Les acquisitions disproportionnées d’obligations publiques sur le marché secondaire, pour contourner l’interdiction de financement monétaire, sont normalement illégales, mais les banques centrales déclarent que ce n’était qu’un effet collatéral par rapport à la lutte contre la déflation. Aujourd’hui, avec la hausse de l’inflation, l’excuse ne fonctionne plus.

Les autorités monétaires ne veulent toutefois, sous aucun prétexte, relancer les craintes d’une sortie de la zone euro par un pays périphérique.

Que penser de la dette TARGET II?

La dette Target II de l’Italie est énorme. Si un pays devait quitter la zone euro, il devrait rembourser cette dette. Tant que la zone euro maintient son intégrité, ce ne sont que des écritures comptables (créance de 1200 milliards de la Bundesbank sur la BCE). C’est une des raisons pour lesquelles il est inacceptable que l’Italie sorte de la zone euro.

«Le QT est logique dans le cadre de la lutte contre l’inflation, comme le fait la Fed. Un autre avantage serait qu’en zone euro il s’attaquerait au problème de pénurie d’actifs sans risque.»
N’omettez-vous pas les éléments qui plaident en faveur d’un QT, à savoir la normalisation de la politique monétaire?

Le QT est logique dans le cadre de la lutte contre l’inflation, comme le fait la Fed. Un autre avantage serait qu’en zone euro il s’attaquerait au problème de pénurie d’actifs sans risque.

Est-ce que pour vous une obligation française ou italienne est sûre? Ne préfériez-vous pas une action Nestlé ou de l’or?

Le vrai taux sans risque est celui des obligations allemandes, autrichiennes, finlandaises, néerlandaises. La France n’en fait pas partie aussi certainement, en raison de son endettement, mais elle a l’avantage d’être la France, selon l’expression de Jean-Claude Trichet.

La hausse des taux directeurs devrait se prolonger, mais quel est l’impact d’un attentisme à l’égard du QT sur le PIB et sur l’inflation?

L’absence de QT devrait ralentir la hausse des taux d’intérêt à long terme. Cette dernière va s’accentuer compte tenu de l’abondance des émissions d’emprunts en 2023). Le retard du QT évite aussi de créer de l’instabilité sur les marchés financiers.

La cacophonie s’installe entre l’Allemagne et la France. Quel sera son impact sur les taux?

Elle montre que la zone euro serait dans une meilleure situation si chaque pays mettait de l’ordre dans ses comptes publics. La France reproche à l’Allemagne une aide massive de ses entreprises qui fausserait la concurrence sur le marché unique. C’est vrai, mais n’est-ce pas le prix de la vertu? Les points de vue ne peuvent pas être réconciliés. L’Espagne propose, elle, une forme de mutualisation de la dette à l’occasion de la crise énergétique. Nous ne pourrons en sortir que si tout le monde repart sur des bases financières solides et si les intérêts convergent.

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