Le paiement en cryptoactifs: une révolution attendue

Manuel Valente, Coinhouse

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Chronique blockchain. L’utilisation des cryptos comme monnaie permettant d’acheter des biens et des services reste anecdotique. Les banques centrales pourraient changer la donne.

Le 3 janvier 2009, le réseau Bitcoin est lancé, à l’époque sans grande fanfare. Le whitepaper de sept pages décrivant son fonctionnement le présente de façon évidente comme un système monétaire de paiement. Si treize ans plus tard, l’intérêt de Bitcoin et par extension du marché des cryptoactifs n’est plus à démontrer, on ne peut que constater que l’utilisation principale de ces derniers reste du domaine de l’investissement, voire de la spéculation. L’utilisation des cryptoactifs comme monnaie permettant d’acheter des biens et des services reste anecdotique, du moins en Europe et aux Etats-Unis. Cet article a pour but d’en explorer les raisons.

Les avantages du paiement en cryptoactifs sont pourtant nombreux: un commerçant qui souhaite accepter ce paiement n’a qu’à installer une application sur son smartphone sans devoir créer un compte où que ce soit, et sans devoir payer la moindre commission sur les transactions reçues. La sécurité des transactions est forte, puisqu’il est impossible d’annuler une transaction déjà envoyée sur le réseau. Et en matière d’e-commerce, les avantages sont également intéressants: paiement beaucoup plus sécurisé qu’une carte bleue, la réception est quasi-instantanée, et encore une fois, les transactions ne peuvent être annulées.

Il faut de plus souligner que des géants du paiement, Visa et Mastercard, proposent désormais des cartes bleues permettant de payer en cryptoactifs, même chez des marchands qui ne les acceptent pas. Le système est simple: lorsque la carte bleue effectue un paiement de 20 euros, une somme équivalente en Bitcoin ou en un autre cryptoactif présent sur le compte du client est simultanément débitée et vendue sur le marché.

Le nombre de sites acceptant les paiements en cryptoactifs est lui aussi en hausse: Uber Eats et Rakuten sont les dernières enseignes à avoir déclaré accepter les paiements directement en France. Pourtant les volumes ne décollent pas: une étude récente montre ainsi que seulement dix millions de dollars en Bitcoin sont échangés par trimestre pour des achats de produits, contre trente milliards échangés par jour au titre de l’investissement. Quelles sont donc les réticences ?

Le premier problème est que lorsque les personnes achètent des cryptoactifs c’est en très grande majorité dans une optique d’investissement. La plupart du temps, elles ne souhaitent pas dépenser ces actifs, mais les faire fructifier. Il y a donc une assez forte réticence à dépenser des actifs dont le cours a explosé à la hausse à plusieurs reprises dans le passé, et beaucoup espèrent la répétition d’un tel événement.

On pourra se rappeler de la Loi de Gresham, selon laquelle «la mauvaise monnaie chasse la bonne». Les investisseurs préfèreront ainsi se débarrasser de leurs euros, particulièrement en période d’inflation, et conserver leurs cryptoactifs, en espérant une embellie sur le marché.

Il faut également considérer qu’en Europe, au moins, le paiement en carte bleue ou en espèces reste simple et ne présente pas d’inconvénient majeur, à l’exception des problèmes de sécurité sur les sites d’e-commerce. Il n’y a donc pas, pour le moment, de véritable enjeu qui nécessite le déploiement de solutions de paiement innovantes comme les cryptoactifs.

L’autre grand frein au paiement en cryptoactifs est la fiscalité. L’état considère que le fait d’acheter un produit en cryptoactifs représente un événement fiscal au-delà de 305€ par an, exactement comme le serait une vente de bitcoins achetés dans un but d’investissement. Tenir compte de chaque paiement réalisé individuellement, et calculer les impôts correspondants, représente donc un effort que peu de personnes sont prêtes à effectuer au quotidien, alors que les moyens de paiement traditionnels ne nécessitent pas cet effort.

Est-ce à dire que les cryptoactifs ne pourront jamais remplir leur but premier de devenir des monnaies, et resteront des produits d’investissement ou de spéculation ? Pas forcément. Par exemple, dans le domaine des paiements internationaux entre entreprises, ils pourraient représenter un atout intéressant: un moyen de paiement sécurisé et quasiment instantané peut représenter un intérêt pour le paiement d’un fournisseur en Chine ou au Brésil par rapport aux virements internationaux qui présentent un certain nombre de difficultés, encore à l’heure actuelle.

L’arrivée des banques centrales dans cet écosystème rabat bien entendu les cartes, avec les monnaies numériques de banque centrale. On peut considérer comme quasi-idéal pour le paiement un cryptoactif disposant de la sécurité et de la rapidité que permet l’utilisation d’une blockchain mais sans problématique d’investissement, puisque son cours ne varie pas, ni d’imposition. Les banques centrales pourraient ainsi remplir cette niche nécessaire à l’adoption des cryptoactifs par tout un chacun.

Cela ne signifierait pas que Bitcoin et les autres cryptoactifs décentralisés deviendraient inutiles: outre leur intérêt croissant en tant que véhicule d’investissement, le public s’habituant à utiliser au quotidien des monnaies de banques centrales pourrait élargir son champ d’intérêt pour l’ensemble des actifs de ce marché, cette fois en tant que moyens de paiement.

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