Les stablecoins, talon d’Achille du marché des cryptoactifs?

Manuel Valente, Coinhouse

3 minutes de lecture

Chronique blockchain. L’échec du projet Terra souligne probablement à quel point la confiance dans ce modèle de fonctionnement est durablement entamée.

Le mois de mai a été marqué par la faillite du projet Terra et son stablecoin l’UST, qui a fait trembler l’ensemble de l’écosystème des cryptoactifs et relancé les discussions sur la véritable valeur de ces actifs. Outre le détail de ces événements, nous analyserons ici pourquoi le marché a besoin de stablecoins, et comment ils fonctionnent.

Un stablecoin est tout simplement un actif donc le cours est fixe par rapport à un sous-jacent, la plupart du temps une monnaie fiduciaire comme le dollar ou l’euro. Leur intérêt fondamental est principalement pour les projets de finance décentralisée. Dans le domaine du crédit par exemple, il est bien plus risqué d’emprunter des bitcoins, dont le cours est volatil et qui pourraient coûter bien plus cher à rembourser au bout de quelques mois, que des stablecoins.

De même, avoir des paires de trading basées sur des stablecoins est plus facile à gérer pour une plateforme de change et donne une stabilité aux cours proposés. Et il ne faut pas oublier que la conversion vers un stablecoin n’est pas un événement fiscal, alors que la conversion vers de l’euro l’est.

Apportant stabilité et praticité, les stablecoins sont donc devenus depuis quelques années une composante essentielle du marché des cryptoactifs. La question la plus importante qu’il faut alors poser est bien entendu: «qu’est-ce qui garantit la valeur d’un stablecoin?» On peut  distinguer trois types de fonctionnements pour ces actifs.

Le premier type concerne des stablecoins basés sur des réserves. Le modèle le plus simple est évidemment celui qui consiste à disposer d’une réserve en dollars et d’émettre simplement un nombre équivalent d’actifs. C’est le modèle le plus fréquemment utilisé, notamment par les projets des entreprises Tether (USDT) et Circle (USDC).

En cas d’augmentation de la demande pour le cryptoactif en question, l’entreprise aura la possibilité d’engranger des dollars correspondant à cette demande et d’émettre simplement les actifs supplémentaires. A l’inverse, un décaissement permet la destruction des actifs qui ne répondent plus à la demande du marché.

La faiblesse éventuelle de ce modèle concerne les réserves en dollars: des audits fréquents et dignes de confiance doivent permettre de vérifier que le stablecoin n’est pas sous-collatéralisé. Plusieurs états, au premier rang desquels les Etats-Unis, planifient de légiférer sur cette question et d’obliger les entreprises émettant des stablecoins basés sur des réserves à devenir des établissement bancaires, soumis à des obligations de transparence à même de garantir la présence des réserves sous-jacentes.

Un modèle équivalent est celui qui consiste à garantir la valeur des stablecoins émis par des réserves en cryptoactifs. Le projet le plus connu s’appelle MakerDAO (MKR) et produit le stablecoin DAI. L’avantage de ce modèle est que, comme les réserves sont gérées par des smart contracts, n’importe qui peut auditer le système en temps réel, en toute transparence.

En échange d’un dépôt en cryptoactifs, comme par exemple en Ethereum, les investisseurs ont la possibilité d’emprunter une quantité de DAI correspondante. Si le cours du sous-jacent diminue, l’équivalent d’un appel de marge est déclenché pour éviter que la position ne devienne sous-collatéralisée. Ce modèle fonctionne assez bien jusqu’à aujourd’hui.

La confiance a été perdue pour tous les investisseurs, qui se sont empressés de se débarrasser au plus vite de tous leurs UST.

Le dernier type de stablecoin est ce qu’on appelle les stablecoins algorithmiques. L’une des problématiques avec les deux premiers modèles est qu’il est nécessaire d’immobiliser un capital conséquent pour qu’ils fonctionnent, que ce soit en monnaie fiduciaire ou en cryptoactifs.

L’alternative est donc de créer des actifs dont le cours est géré par un algorithme informatique: en utilisant un sous-jacent comme garantie, il sera possible de mettre sur le marché ou d’en retirer des quantités de stablecoins destinées à en conserver la valeur en faisant varier l’offre. Il est alors inutile de disposer de réserves correspondant à l’ensemble de la valeur des stablecoins en circulation, mais uniquement des montants nécessaires pour en assurer la stabilité au quotidien.

C’est exactement ce que faisait le projet Terra avec son stablecoin l’UST, prouvant qu’il est possible de créer un stablecoin en ayant relativement peu de réserves. Du moins en théorie.

Terra avait en outre reçu de la part d’investisseurs un peu plus d’un milliard de dollars en Bitcoin, qui avaient pour vocation d’être utilisés en dernier recours, si la parité de l’UST n’était pas maintenue, mais avec une valorisation bien inférieure aux dix-huit milliards d’UST en circulation.

Depuis novembre 2021, le marché des cryptoactifs est orienté à la baisse, et celle-ci s’est accélérée en mai 2022. Dans ce genre de conjoncture, les investisseurs ont tendance à revenir vers les fondamentaux, en particulier Bitcoin et Ethereum. La demande pour l’UST a donc baissé considérablement, et le 9 mai, sa parité avec le dollar était perdue: d’abord faiblement avec un cours à 98 centimes, puis le problème s’est progressivement aggravé.

Si pour actif volatil comme Bitcoin il est possible de voir des baisses importantes de cours sans conséquence sur son fonctionnement, la promesse fondamentale d’un stablecoin est justement de maintenir la parité. La confiance a donc été perdue pour tous les investisseurs, qui se sont empressés de se débarrasser au plus vite de tous leurs UST.

Les gestionnaires de Terra ont évidemment essayé par tous les moyens de maintenir la parité, d’abord en utilisant l’actif LUNA, puis avec les réserves en Bitcoin. Rien n’y a fait, et l’ensemble de la valorisation du projet, soit 40 milliards de dollars, est partie en fumée en 48 heures, causant des conséquences sur l’ensemble du marché des cryptoactifs.

Que retenir de cette débâcle ? Tout d’abord, il est utile de signaler que la disparition d’un projet qui se révèle extrêmement fragile sous la pression est finalement une bonne chose, qui permet d’assainir le marché sur le long terme.

Ensuite, il faut garder à l’esprit que jusqu’à aujourd’hui, aucun stablecoin algorithmique n’a réussi à s’imposer sur le marché. Terra était clairement le projet qui semblait avoir réussi là où toutes les autres tentatives avaient échoué, et il est probable que son échec souligne à quel point la confiance dans ce modèle de fonctionnement est durablement entamée.

Le marché des cryptoactifs est encore jeune et des erreurs relativement importantes ont encore fréquemment lieu, là où les marchés traditionnels ont pu apporter des solutions, notamment au niveau de la régulation. Mais les leçons du passé sont la plupart du temps retenues, et permettent d’envisager l’avenir avec plus de sérénité.

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