La première crise financière crypto

Yves Longchamp, SEBA Bank

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Chronique blockchain. Pas de banque centrale pour la liquidité de dernier recours, pas de gouvernement pour recapitaliser les banques. Aucuns freins donc aux chutes.

Les devises numériques subissent leur première crise financière de grande ampleur. La capitalisation boursière a été divisée par trois et le bitcoin a perdu près de 70% de sa valeur par rapport à son plus haut historique.  Quels enseignements peut-on tirer de cette crise qui ressemble à bien des égards à celle de 2007-2008?

Ce n’est pas la première fois que l’univers crypto s’effondre. Le dernier effondrement date de 2018, lorsque la capitalisation boursière a été divisée par huit, passant de USD 800 millions à USD 100 millions en douze mois. Vu sous cet angle, la crise actuelle paraît moins dramatique puisque la capitalisation boursière n’a été divisée que par trois, passant de presque USD 3000 milliards à USD 900 milliards aujourd’hui. Dans l’absolu, la destruction de valeur est colossale : USD 2000 milliards se sont envolés en 6 mois.

De la même manière que la crise financière mondiale de 2007-2008, la première crise financière crypto se déroule en deux étapes. Dans un premier temps, la Fed monte les taux et le prix des actifs financiers décrochent. Dans un deuxième temps, un acteur financier majeur tombe et tout le système financier s’en retrouve déstabilisé. En 2008, l’acteur financier majeur s’appelle Lehman, en 2022 il s’appelle Terra.

On peut tirer un autre parallèle entre les deux crises : dérégulation ou absence de régulation et innovation financière. La crise financière mondiale prend racine dans la déréglementation du système financier américain qui permet aux banques d’offrir de nouveaux instruments financiers grâce à la titrisation d’actif illiquides comme les hypothèques subprimes. La crise financière crypto quand à elle, se développe avec l’avènement de la finance décentralisée (DeFi) et la création de jetons numériques. Dans les deux cas, on observe des effets de leviers importants dans les marchés.

Un scénario de stagflation se dessine et les banques centrales resserrent leurs taux d’intérêts.

Le bitcoin a été le premier actif à réagir au changement de politique monétaire. En effet, le prix le plus élevé observé pour un bitcoin est de USD 68'789, le 10 novembre 2021, le même jour que les chiffres de l’inflation américaine qui, souvenez-vous, passait pour la première fois depuis 40 ans le seuil psychologique des 6%. Dès lors, les actifs numériques entament leur descente, suivi par les actions technologiques du Nasdaq et enfin le S&P500.

Outre le resserrement monétaire américain qui déteint sur les autres banques centrales, la diminution du pouvoir d’achat à cause de l’inflation, la fermeture de l’économie chinoise causée par le COVID et finalement l’invasion de l’Ukraine par la Russie fin février assombrissent les perspectives de croissance tout en accélérant l’inflation. Résultat, un scénario de stagflation se dessine et les banques centrales resserrent leurs taux d’intérêts.

En mai, la deuxième étape de la crise, la crise financière numérique à proprement parler, débute. La blockchain Terra est innovante et offre deux devises numériques. La première s’appelle LUNA et la deuxième est un stablecoin algorithmique (UST) dont le cours est lié à celui du dollar américain. Ces deux devises sont sensées évoluer harmonieusement, comme la terre et la lune, dans un équilibre dynamique et délicat.

Juste avant la crise, LUNA est la huitième devise en termes de capitalisation boursière et UST la dixième, faisant de cette blockchain un poids lourd de près de USD 50 milliards. Début mai, UST se détache du dollar, LUNA perd son orbite et s’écrase. Cet événement est l’équivalent du Lehman moment de septembre 2008. Avec la chute de LUNA, la capitalisation boursière des devises numériques se contracte de USD 900 milliards.

Puis c’est au tour de Celsius et Babel, des plateformes de prêts et d’emprunts qui jouent le rôle des banques dans cette crise. Elles offrent le levier financire aux investisseurs. Avec la chute des prix, leurs bilans se détériorent et deviennent insolvables. Le système se fige. Finalement, ce sont les grands hedge funds de la crypto comme Three Arrows Capital qui font les frais de l’évaporation de la liquidité.

Contrairement à 2008, il n’y a pas de banque centrale pour offrir de la liquidité de dernier recours, ni de gouvernement pour recapitaliser les banques. C’est une des raisons pour laquelle les prix ont corrigé aussi massivement.
Un point commun des crises financières est que les actifs de bonnes qualités sont désormais négociables à prix cassés, bien en-dessous de leur valeur réelle. Il n’y a pas de raison que la crise financière numérique fasse exception à la règle. Il est certes difficile de valoriser ces actifs, mais il y a de bonnes raisons de penser que certains sont attractifs.

Le bitcoin n’a passé ni le test de l’inflation, ni celui de la stabilité que l’or digital aurait dû offrir. Il n’en reste pas moins que sa technologie continue de fonctionner magnifiquement, produisant un bloc après l’autre tel une mécanique bien huilée, malgré les grandes fluctuations de prix de sa devise.

L’activité mesurée par le taux de remplissage des blocs est restée constante durant toute la chute de prix. Le hashrate qui mesure l’activité de minage a légèrement diminué, mais se situe toujours à un niveau très élevé, tout proche de son plus haut historique. Au final, Bitcoin continue de produire un bloc toutes les 10 minutes, et c’est ce qu’on lui demande.

Après la crise financière mondiale, le système financier a été réglementé et les banques se sont reconstruites, plus solides. Le S&P 500 s’est stabilisé au-dessous de 700 points pour atteindre 3800 points au moment d’écrire cet article malgré une performance négative de plus de 20% depuis le début de l’année! Si l’histoire se répète, les devises numériques seront réglementées et la finance décentralisée reconstruite, plus solide. Quant au prix du bitcoin et des autres devises, je vous laisse faire les calculs.

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