Le monde en récession simultanée

Axel Botte, Ostrum AM

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Le plan budgétaire américain de 2000 milliards de dollars suscite des interrogations. L’action de la Fed réduit les taux et la pression sur le dollar.

©Keystone

Malgré une volatilité des cours toujours élevée, les marchés d’actions ont rebondi de 10% aux Etats-Unis et de 7% en Europe, le Nikkei japonais s’appréciant même de 17%. Les performances sectorielles ne semblent pourtant pas préfigurer un rebond pérenne. La volatilité implicite traduit encore un niveau de risque extrême.

Les marchés obligataires intègrent désormais le soutien des banques centrales décidées à décourager les vendeurs. Le 10 ans américain s’échange sous 0,70% et la pression à la pentification s’estompe. Le Bund se rapproche du taux de dépôt fixé à -0,50%. La volatilité des taux s’atténue quelque peu.

Les tensions sur le dollar diminuent progressivement
avec les interventions concertées des banques centrales.

Les spreads de crédit ont réagi favorablement aux mesures de la Fed notamment. Les spreads IG aux Etats-Unis sont retombés autour de 300pb. En Europe, le high yield bénéficie du rebond des actions mais les spreads restent proches de 800pb. Les emprunts émergents en dollars explosent à 650pb.

Les tensions sur le dollar diminuent progressivement avec les interventions concertées des banques centrales. L’euro rejoint 1,10 dollar.

Le graphique de la semaine
La crise du Coronavirus est un révélateur des fragilités financières. Aux Etats-Unis, les politiques de taux bas ont encouragé une hausse de l’endettement des entreprises, souvent destiné aux programmes de rachats d’actions. 
Le niveau des spreads est longtemps resté incompatible avec le niveau de la dette, représenté ici en pourcentage de la valeur ajoutée des sociétés non-financières. 
Le Krach du crédit actuel semble ainsi reconnecter le prix du risque et les fondamentaux.

 

Le monde en récession de 5%? 

La crise sanitaire sera synonyme d’une profonde récession. Les premières révisions de l’Economist Intelligence Unit (EIU) font état d’une contraction du PIB mondial de plus de 2%A. L’écart avec la trajectoire initiale est considérable (-5,1%A). La Chine ralentirait brutalement à 1%A de croissance en 2020. Le coup de froid en Europe effacerait près de 7%A de PIB en Italie et en Allemagne. L’économie française devrait se contracter de 5%A selon l’EIU. Aux Etats-Unis, la perte d’activité est chiffrée à 2,9%A en 2020. Les scénarios de reprise varient énormément suivant l’efficacité supposée des mesures sanitaires et la perte de PIB potentiel occasionné par la probable hausse des défaillances d’entreprise. Même en écartant à la fois le « V » miraculeux et les trajectoires les plus funestes où les politiques économiques et sanitaires échoueraient, l’activité ne retrouverait son niveau d’avant crise qu’en 2023 dans le cas de l’Europe et des Etats-Unis.

Etats-Unis: un plan de 2000 milliards de dollars

Les premiers signes d’effondrement de l’économie n’ont pas tardé à apparaitre dans les enquêtes conjoncturelles. C’est le secteur des services qui est de loin le plus affecté. L’emploi réagit immédiatement avec une hausse du chômage partiel d’1,2 million en France ou 3,2 millions de nouvelles inscriptions au chômage aux Etats-Unis. Contrairement aux récessions «normales» où la faiblesse de la demande agrégée se diffuse séquentiellement dans l’économie, tous les secteurs subissent un plongeon simultané de l’activité. Les prestations chômage ont été relevées aux Etats-Unis de façon à améliorer l’efficacité des stabilisateurs économiques mais la perte d’emploi s’accompagne à terme de la perte de la couverture maladie dans la plupart des cas aux Etats-Unis.

Les choix budgétaires semblent guider
par la croyance d’un rapide retour à la normale.

La politique budgétaire doit toujours répondre à trois impératifs : elle doit être temporaire, ciblée et intervenir au bon moment. Le saupoudrage budgétaire au bénéfice des ménages (1200 dollars par personne et 500 dollars par enfant) constitue une réponse inadéquate à l’urgence sanitaire. Le plan budgétaire de 2000 milliards de dollars sans précédent pourrait s’avérer inadapté car il ne cible pas en priorité la menace sanitaire. La couverture maladie universelle se heurte encore aux dogmes américains. Il y a certes un plan Marshall de 150 milliards pour les hôpitaux mais que penser des 50 milliards de prêts aux compagnies aériennes? Les choix budgétaires semblent guider par la croyance d’un rapide retour à la normale. L’évolution de l’épidémie aux Etats-Unis exposera durement les errements de l’Administration.

Un peu de répit sur les marchés

Malgré ce contexte récessif, les marchés financiers ont connu un rebond. Le S&P 500 reprend 10% sur la semaine écoulée et les indices européens affichent un gain de 7% environ. La dynamique sectorielle est néanmoins peu rassurante. Le rebond des cycliques (industrie, consommation discrétionnaire) ou la surperformance des pétrolières, alors que le Brent replongeait à 26 dollars, traduit des rachats de positions vendeuses. Les perspectives bénéficiaires sont mauvaises et les dividendes versés chuteront de moitié d’ici 2021. Le soutien public interdira également les plans de rachats d’actions. 

Cette respiration n’efface donc pas le contexte baissier. Elle a sans doute été rendue possible par les nombreuses interventions des banques centrales. Les lignes de swap ouvertes par la Fed avec les autres banques centrales ont permis d’allouer 200 milliards de dollars aux banques non-américaines. La pression haussière sur le dollar s’est réduite, du moins à court terme. La détente sur le billet vert facilite le retour vers les actifs risqués. Les tensions persistent néanmoins sur le marché du commercial paper (billets de trésorerie), dont l’encours dépasse 1100 milliards. La Fed a mis en œuvre un SPV dédié au commercial paper. Le segment des ABCP, au cœur de la crise de 2008, s’est fortement dégradé, les rendements moyens dépassant 2%. L’action de la Fed a contribué à un resserrement des spreads de crédit au-delà des échéances les plus courtes. L’institution a annoncé deux facilités d’achats d’emprunts privés sur les marchés primaire (PMCCF) et secondaire (SMCCF). Les deux SPV financés par la Fed, dont les fonds propres sont apportés par le Trésor (10 milliards chacun), achèteront des titres notés IG de maturités inférieures à 4 ans sur le marché primaire et de moins de 5 ans sur le secondaire. Les courbes de spreads de crédit américains effaceront probablement l’aplatissement issu des tensions sur la liquidité. Le spread moyen sur l’IG américain est revenu sous le seuil de 300bp après un point haut à 375pb. Malgré la récession annoncée et la dégradation attendue de la qualité de crédit, la Fed est déterminée à maintenir le flux de crédit nécessaire au fonctionnement de l’économie. La réactivation du TALF évitera un arrêt soudain de l’activité de titrisation critique pour le financement des prêts étudiants, des prêts aux PME ou des prêts autos. Ce dispositif constitue aussi un filet de sécurité pour les marchés de crédits structurés (CLO notamment) en chute libre. Les tranches BB de CLO cotent à des spreads de l’ordre de 1500pb. Le retrait des investisseurs japonais engendré des décotes sur les tranches AAA atteignant parfois 500pb. 

Sur le crédit européen, les conditions de liquidité restent précaires mais l’intérêt revient avec la réouverture du marché primaire. La négociation est à l’avantage des acheteurs avec le soutien de la BCE, bientôt déployé sur le marché du commercial paper. Les fortes sorties des fonds monétaires et l’échéance de la fin de trimestre requièrent une action décisive de la BCE pour assurer la liquidité des emprunteurs privés. Le marché du high yield reste volatile avec des spreads énormes de l’ordre de 800pb. L’iTraxx crossover s’échange autour de 650pb.

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