La fin de l’Opep provoque un krach financier

Axel Botte, Ostrum AM

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L’absence d’accord sur la production pétrolière pousse le baril sous 35 dollars.

L’Opep vit sans doute ses derniers jours. Le pétrole s’est effondré à 35 dollars le baril de Brent entrainant des débouclements massifs à l’ouverture des marchés d’actions lundi 9 mars.

Les contrats à terme européens affichaient des pertes proches de 10% par rapport à la clôture hebdomadaire. Les marchés américains ont ensuite été suspendus à la baisse après un mouvement de 7%. Le VIX s’échange au-dessus de 50%. Le repli vers l’actif sans risque s’avère massif. Le Bund à 10 ans casse le plancher de -0,80% alors que le T-note touchait un point bas historique en séance à 0,31%. La liquidité des dettes périphériques est extrêmement faible lundi matin comme celle du marché du crédit. Les spreads de crédit s’élargissent violemment en particulier via les instruments de couverture comme les indices iTraxx.

La panique des banques centrales est palpable avant la réunion de la BCE prévue le jeudi 12 mars. Des mesures d’assouplissement seront probablement mis en oeuvre. L’euro remonte audessus de 1,14 dollar. Le yen japonais retrouve son caractère de valeur refuge à 102. Les positions de portage sur le peso mexicain sont liquidées.

Le graphique de la semaine

Le refus de la Russie de s’aligner sur la position saoudienne a causé un krach pétrolier. Le baril de WTI a plongé de 30% vers 31 dollars.
L’objectif de la Russie est de répondre aux sanctions américaines en faisant pression sur les producteurs de pétrole schiste mais cette stratégie de prix bas à l’initiative de Riyadh avait échoué en 2014. La pression financière provoquera des défauts, une perte de capitalisation et des restructurations mais signera la fin de l’Opep, qui a perdu son pouvoir de marché.

 

L’OPEP n’est plus viable

La crise du coronavirus a provoqué une baisse significative de la demande mondiale de pétrole. Les pays exportateurs ont tenté de s’accorder sur une nouvelle réduction de la production. L’Opep devait diminuer sa production d’1mn barils par jour sous réserve que la Russie et les pays alignés sur Moscou réduisent leur production de 500kbpj. Le refus de la Russie de participer à l’effort de redressement des prix a provoqué un krach. Le baril de Brent a rapidement perdu 15 dollars pour s’établir à 32 dollars lundi matin, soit le plus bas niveau depuis 2016. L’échec de la coordination traduit la fragilité d’un cartel qui ne constitue plus le producteur marginal depuis l’avènement du pétrole de schiste américain. De fait, l’indépendance énergétique aux Etats-Unis a permis à l’Administration Trump d’imposer de lourdes sanctions sur plusieurs pays dont la Russie sans subir d’effet néfaste sur le coût de l’énergie. La stratégie non-coopérative de la Russie vise peut-être à porter un coup d’arrêt à l’essor du pétrole américain, voire à peser sur les chances de réélection de Donald Trump si le Texas connaissait une récession. Cette stratégie apparait risquée. La capacité de la Russie a résisté à une baisse des prix est sans doute supérieure à 2014 mais la chute du rouble (74 pour un dollar) engendrera rapidement une contraction de la demande interne. L’Arabie Saoudite, engagée dans plusieurs conflits régionaux, est en outre en pleine guerre de succession au Trône. Son point mort budgétaire se situe à 83$ le baril, voire au-delà.

L’abandon de la politique de restriction de l’offre aura des conséquences désastreuses dans le Royaume et d’autres pays producteurs notamment en Afrique subsaharienne.

La panique des Banques Centrales

La chute des prix du pétrole a un effet ambigu sur l’économie américaine. La production pétrolière atteint 13mnbpj malgré un niveau d’investissement très inférieur aujourd’hui par rapport à 2014. Le bond de la productivité du secteur après l’élimination des entreprises fragiles en 2016 va se répéter. Les défauts de paiements sont inévitables mais les restructurations n’altèrent pas les capacités de production à terme. Par ailleurs, les ménages bénéficient grandement de la baisse des coûts de l’énergie. Certaines estimations chiffrent le pouvoir d’achat additionnel à 125 milliards de dollars par an, soit environ 0,6pp de PIB. La baisse historique des taux d’intérêt à long terme provoque déjà une vague de refinancement hypothécaire libérant également des ressources pour consommer pourvu que la confiance se maintienne. Le rôle de la Fed est assez clair dans ce contexte. La baisse de 50pb des taux sans attendre le FOMC du 18 mars n’a pas réduit la volatilité des marchés mais d’autres mesures seront mises en oeuvre. Le collatéral éligible aux opérations de repo sera sans doute élargi aux dettes privées à l’instar du dispositif TALF de 2008. L’objectif est d’éviter le rationnement du crédit si le bilan des banques s’avère contraint. La réduction des Fed Funds à 0% pourrait intervenir à très brève échéance. On ne peut exclure une reprise des achats d’actifs. Le contexte de volatilité extrême sur les actions milite pour le maintien d’une position acheteuse de Treasuries, quels que soient les niveaux cotés. Le 10 ans américain a touché 0,31% au plus bas de la séance asiatique lundi. Les rendements américains sont désormais sous 1% sur l’ensemble des maturités. La croissance américaine n’est pas en cause comme en témoignent les publications de l’emploi (273k nouvelles embauches en février) et l’enquête ISM des services (57,3). La Fed est bien davantage la banque du dollar que celle des Etats-Unis. La contraction des échanges mondiaux liée à la crise sanitaire engendrera des défauts de paiements en dollars. L’activation des lignes de swaps entre la Fed et les autres Banques Centrales constitue une ligne de défense utile pour améliorer la liquidité en dollars dans le reste du monde.

La BCE pressée d’intervenir

De son côté, les marges de la manoeuvre de la BCE sont plus limitées. La conférence de presse de Christine Lagarde constitue l’évènement de la semaine. L’agenda de la revue stratégique a définitivement été bousculé par le coronavirus. La coordination des politiques monétaires passe par l’acceptation d’un euro plus fort. Une baisse des taux serait désastreuse pour les banques mais un geste envers les marchés financiers parait inévitable à ce stade. La priorité sera d’assurer la liquidité des banques et des entreprises pour éviter une crise de solvabilité. Parallèlement, les achats de crédit seront probablement priorisés dans l’APP. La liste de collatéraux éligibles pourrait être étendue pour faciliter le financement à court terme des PME au travers du programme de TLTRO ou via de nouvelles opérations.

Le Bund reste la valeur refuge d’autant que la vente d’emprunts périphériques et de crédit est rendue difficile par les conditions de liquidité.

Suspension des marchés aux Etats-Unis

La spirale baissière sur les marchés d’actions semble sans limite. L’accélération de lundi a provoqué la suspension de la cotation aux Etats-Unis après une baisse de 7% peu de temps après l’ouverture. La liquidation des positions se poursuit après la chute brutale du baril de brut. Les gestions et fonds spéculatifs avaient réduit leur position nette acheteuse d’un tiers au 3 mars. Le niveau de capitulation est impossible à déterminer mais c’est la clé pour revenir sur les actifs risqués. Du côté du crédit, les instruments de macro-couverture comme les indices de CDS se sont envolés en début de séance le 9 mars. L’indice IG se situe aux alentours de 110pb. L’iTraxx XO cote environ 500pb. Ces spreads sont incompatibles avec le risque de défaut historique mais les dégradations de BBB attendues risquent d’engorger le marché du high yield.

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