La Suisse mieux protégée contre l’inflation alimentaire et énergétique

Anne Barrat

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La part d’inflation importée liée aux matières premières agricoles et aux énergies est plus faible en Suisse qu’ailleurs en Europe. Avec Patrick Zweifel, Pictet AM.

Alors que le scénario idéal de sortie de la pandémie de COVID, caractérisée par un niveau certes élevé mais maîtrisé de l’inflation plus que largement compensé par une forte croissance a cédé le pas, suite à l’«opération spéciale» de la Russie en Ukraine, à une réalité moins favorable et plus incertaine, le monde a redécouvert la stagflation ou, plus exactement les craintes de stagflation. Fondées ou non – la croissance restant au-dessus de son potentiel et les facteurs inflationnistes liés aux difficultés d’approvisionnement et au rattrapage des consommateurs n’étant pas appelés à durer –, ces craintes, entretenues par les mauvaises nouvelles quotidiennes, nourrissent un cercle vicieux propice à la hausse générale des prix. La politique séculaire d’indépendance alimentaire de la Suisse, et sa faible dépendance aux pétrole et gaz russes, la mette dans une certaine mesure à l’abri dans la conjoncture, explique le chef économiste chez Pictet Asset Management Patrick Zweifel.

«La taxation de produits stratégiques(concurrents de biens produits en Suisse) peut aller jusqu’à plus de 1’000% (e.g. produits animaliers) pour des produits que la Confédération est obligée d’importer.»

De manière générale, la plupart des marchés agricoles sont très protégés, autrement dit les pays favorisent les produits locaux au détriment des biens importés. Concrètement ces derniers sont beaucoup plus taxés en Europe, de 11,2% en moyenne dans l’Union Européenne jusqu'à 40,1% en Norvège, qu’aux États-Unis (5,1%), avec de grandes différences d’un produit à l’autre1. «La Suisse, explique Patrick Zweifel, protège bien plus encore ses produits locaux: la taxation de produits stratégiques, c’est-à-dire concurrents de biens similaires produits en Suisse peut aller jusqu’à plus de 1’000% (e.g. produits animaliers) pour des produits que la Confédération est obligé d’importer.» L’objectif est clairement de décourager l’importation de biens pouvant être produits sur le territoire national.

Une (quasi) auto-suffisance alimentaire

La Suisse récolte les fruits d’une ancienne stratégie d’autosuffisance alimentaire qui lui permet de limiter l’impact de l’inflation actuelle des matières premières agricoles: ces dernières ne représentent que 1,88% des importations2. Par conséquent, même si la Suisse devait payer plus cher le peu de matières premières agricoles qu’elle importe, l’effet serait marginal sur l’inflation. «Un effet d’autant plus marginal que les prix des denrées alimentaires en Suisse étant en moyenne 70% plus chers que ceux pratiqués dans le reste de l’Europe, elle dispose d’un coussin pour amortir la hausse des prix liée à un choc d’offre tel que celui que nous vivons, précise explique Patrick Zweifel.» Elle est en cela dans une position différente du reste de l’Europe, dont les marges de manœuvre sur les prix des matières premières agricoles sont limitées par l’Union européenne. Ainsi, même s’il est probable que l’inflation alimentaire ne soit que transitoire, les solutions de substitution étant rapides à mettre en œuvre – en quelques mois les grands pays exportateurs, Inde, Thaïlande, Argentine, Canada, sont capables de mobiliser des ressources pour augmenter leur capacité de production –, elle affectera probablement moins la Suisse que ses voisins.

«Même si un nouveau choc intervenait, poussant le baril de pétrole à 180 dollars, l’impact inflationniste sur la Suisse serait moins important qu’ailleurs.»
Une faible dépendance aux importations de pétrole et de gaz russes

L’exposition totale de la Suisse aux énergies fossiles est de l’ordre de 66% des 72% de dépendance énergétique qu’elle a vis-à-vis des approvisionnements étrangers, les 34% restant étant liés au nucléaire. Sur les 15% de son exposition au gaz, 49% proviennent de Russie, ce qui représente 3,5% du total des importations helvétiques en matière énergétique. Quant à son exposition au pétrole russe, elle est négligeable. «In fine, même si un nouveau choc intervenait, poussant le baril à augmenter de nouveau de 50% pour atteindre 180 dollars, l’impact inflationniste sur la Suisse serait moins important qu’ailleurs. Et ce, d’autant plus que son intensité énergétique s’est réduite de 70% depuis les années 1970: un tiers de baril est aujourd’hui nécessaire pour produire 1000 francs de PIB contre 1,2 barils en 1972 (PIB en prix 2015 pour ajuster de l’inflation), souligne Patrick Zweifel». Ces avantages sont à mettre en regard des caractéristiques de l’inflation d’origine énergétique: contrairement aux matières premières agricoles, rapidement substituables, les énergies sont plus difficilement remplaçables. La mise en production d’un nouveau puits n’est pas affaire d’un semestre. L’inflation qui en découle est donc plus longue.

Les plus récentes statistiques faisaient fait état d’une inflation en avril 2002 de 2,5% en Suisse et de 7,4% dans la zone euro (3,5% hors alimentation et énergie). Les dernières prévisions de croissance du PIB pour 2022 s’établissaient à 2,8% en Suisse et 2,7% dans la zone euro.  

1 Source OMC, chiffres pour 2020 https://www.wto.org/english/res_e/statis_e/tariff_profiles_list_e.htm
2 Source OFS: https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/prix/prix-production-prix-importation/prix-importation.html
 

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