Les émergents creuseront l’écart en 2021

Anne Barrat

3 minutes de lecture

Grands gagnants de la crise, les émergents, grands perdants, l’Europe et les Etats-Unis. Explications avec Patrick Zweifel de Pictet.

Constat implacable: les marchés des pays émergents ont connu une contraction de leur PIB moins importante en 2020 (-1,4%) que ceux des pays développés (-5,2%). Pour le Chief Economist de Pictet Asset Management, cet écart, qui doit aussi bien à des facteurs structurels que conjoncturels, devrait encore grandir en 2021. Et ce, sous l’effet d’une reprise sensiblement plus forte de la croissance réelle du PIB des émergents (7,7%) que celle des pays développés (4,9%). C’est l’Asie (hors Japon) qui tirera cette croissance (8,9%), suivie de la zone EMEA (4,9%) puis de l'Amérique latine (3,9%).

Pourquoi les émergents ont-ils été moins sévèrement impactés par la crise que les pays développés?

Il y a deux raisons à cela, toutes deux liées à la réponse apportée pour contenir les effets de la double crise sanitaire et économique. D’une part, les mesures de confinement généralisé au 1er trimestre 2020 ont été plus sévères et plus longues dans les économies développées; les émergents, l’Asie en particulier, ayant privilégié une approche différente, plus ciblée et segmentée – traçage, tests – qui leur permis de reprendre le travail plus vite. L’impact de ces mesures a été d’autant plus fort dans les pays développés que le secteur des services y représente une part beaucoup plus importante du PIB (72%) que dans les émergents (54%). D’autre part, les politiques expansionnistes qu’ont mises en place les dirigeants des économies développées, avec un stimulus fiscal et monétaire sans précédent pour soutenir la demande, a largement profité aux pays émergents qui leur ont fourni les produits de consommation.

La Chine joue un rôle crucial dans la demande de matières premières,
dont elle est un acheteur prépondérant.
Qu’est-ce qui vous fait dire que l’écart de croissance entre marchés émergents et développés va se creuser en 2021?

L’expérience: les sorties de précédentes crises ont montré que plus le différentiel de croissance du PIB augmente, plus l’écart de performance se creuse. Ainsi, les données depuis les années 1990 montrent que l’indice MSCI Emergents a augmenté en moyenne dans ces phases de rebond de 47% quand le MSCI Monde s’inscrivait à +17%.

Lors de la crise COVID, la correction a été moins forte en 2020 dans les marchés émergents, en dessous de la moyenne mondiale (-3,5%), la région Asie (hors Japon) en particulier (-0,2%). Il en ira de même pour le rebond (5% dans le monde selon le consensus des analystes) avec là encore un avantage pour l’Asie (8,9%). L’environnement actuel est donc favorable à une surperformance des actifs des marchés émergents par rapport à ceux des marchés développés. Toutes les classes d’actifs sont concernées, les actions bien sûr mais aussi les obligations souveraines, dont le spread se contracte en général dans ces phases de reprise (de l’ordre de 270 points de base).

Sur quoi repose la surperformance des marchés émergents?

Cinq facteurs sont déterminants. Primo, la situation des Etats-Unis: un dollar faible et des taux d’intérêts bas sont favorables aux émergents qui sont souvent endettés en monnaie américaine. Le service de la dette est en effet plus supportable. Dans le même temps, les devises locales s’apprécient face au dollar.

Secundo, la reprise du commerce mondial, auquel les économies émergentes sont deux fois plus sensibles que celles développées, joue comme un amplificateur de l’écart de croissance entre les deux. Les exportations des émergents ont connu une croissance de 5% en variation annuelle grâce à la reprise mondiale depuis le second trimestre 2020, contre 0% pour celles des pays développés. Tertio, la part de plus en plus importante de la Chine dans le commerce mondial. Pour 146 pays sur 202 dans le monde (en 2019), la Chine est devenue un partenaire commercial plus important que les Etats-Unis. Un véritable retournement de la tendance depuis 10 ans. La Chine joue un rôle crucial dans la demande de matières premières, dont elle est un acheteur prépondérant. Son poids pèse de manière très significative sur le prix de ces dernières. Quatrième point, lié au précédent, l’importance des liens financiers entre la Chine et beaucoup de pays émergents, qui sont de plus en plus nombreux à investir dans des actifs chinois ou empruntent en RMB. Les pays frontières notamment, qui font appel aux investisseurs chinois pour financer leurs infrastructures. La belt and road initiative en est un exemple notable. La corrélation entre les monnaies des émergents et le RMB est plus marquée qu’auparavant. La montée en puissance de l’exposition à la devise chinoise se traduit par celle de la taille du bloc monétaire RMB, qui représente désormais quelque 25% contre moins de 5% en 2006. Un monde tripolaire en termes de devises a pris le pas sur le duo euro dollar au détriment du yen surtout, dont le bloc monétaire a cédé 10% de sa taille, tandis que l’euro et le dollar perdaient chacun 5%. Conséquence: si la Chine se porte bien, le RMB s’apprécie, ce qui impacte toutes les devises asiatiques ainsi que les pays exportateurs de matières premières, dont beaucoup sont des émergents.

Les émergents offrent des perspectives de rendement
sans comparaison avec les pays développés.

Les matières premières justement, enfin: les économies des pays producteurs, que ce soit l’Amérique latine, l’Afrique du Sud, la Russie, l’Ukraine, le Moyen-Orient, l’Indonésie, la Malaisie, sont très dépendantes du prix de ces dernières. Or, force est de constater que ces derniers ont beaucoup augmenté (15% en janvier 2021) toutes matières premières confondues – énergies, métaux de base et précieux. Le facteur de corrélation entre la croissance mondiale et celle du prix des matières premières étant de 1 à 5, on devrait assister à une croissance de plus de 25% en 2021.

C’est donc le moment d’augmenter l’exposition aux émergents. À tous les émergents?

La surperformance des marchés émergents marquera l’année 2021. Dans un environnement où trouver des rendements positifs dans monde obligataire est une gageure, les émergents offrent des perspectives de rendement sans comparaison avec les pays développés. 70% des titres souverains à 10 ans présentent un rendement réel positif dans les émergents contre 20% dans les pays développés. Cette attractivité est renforcée par un couple rendement risque d’autant plus favorable que la vulnérabilité des émergents est plus faible, leur capacité de remboursement plus élevée, et le potentiel de rattrapage de leurs monnaies, sous-évaluées en moyenne de 23% face au dollar (lequel est surévalué de 13%), important. Tous les feux sont au vert, qui créent un moment pour une surexposition aux actifs émergents en monnaie locale. A tous, à l’Asie (hors Japon) en particulier, qui représente déjà 80% des indices émergents globaux. L’Asie parce qu’elle bénéficie le plus de la reprise du commerce mondial, parce qu’avec 24% du PIB mondial elle détrône déjà les USA, parce que le traité commercial RCEP du 25 novembre 2020, le plus gros jamais signé, promet de consolider son rôle de leader de la croissance mondiale – 15 pays asiatiques, 30% du commerce et de la population de la planète.

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