La Suisse doit donner de la voix

Anne Barrat

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Pour Yvonne Lenoir (Pictet, en photo), Alfred Mettler (SFI) et Edouard Cuendet (FGPF), la place financière suisse ne jouit pas de l’aura que sa régulation devrait lui valoir.

Selon le Global Financial Regulation, Transparency, and Compliance Index (GFRTCI) publié récemment par le Swiss Financial Institute (SFI) et qui compare la compétitivité relative des centres financiers, la Suisse conserve une place de choix parmi les places financières des 31 pays que l’indice couvre. Elle est même leader de ses concurrentes internationales directes – Londres, Luxembourg, New York. Mais, si elle est classée parmi les meilleurs de la classe en termes de transparence, de gouvernance, de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme, la Suisse continue d’être montrée du doigt, comme si les réformes réglementaires qu’elle a déployées à marche forcée – fin du secret bancaire, loi sur le blanchiment d'argent (LBA) notamment – n’avaient pas éteint avec elles les sources des accusations. Il est temps que la Suisse se fasse entendre pour promouvoir les avantages de son écosystème financier et influencer la régulation financière internationale disent en chœur Yvonne Lenoir, Head Group Regulatory Office du groupe Pictet, Alfred Mettler, professeur adjoint du SFI et Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière

Quels étaient les objectifs de la 3e édition du Global Financial Regulation, Transparency, and Compliance Index ?

Alfred Mettler: Depuis le lancement de l’indice en 2020, l’objectif du SFI n’a pas changé: il s’agit d’établir un état des lieux de la compétitivité de la place financière suisse en termes de réglementation, de transparence et de conformité, en s’appuyant sur des données fiables et publiées par des organisations à la réputation irréprochable (l’OCDE ou la BIS notamment). Les 31 pays qui font partie à la fois de l'OCDE et du BCBS sont évalués sur la base des sept notations et indices, soit trois relatifs au degré de mise en œuvre des diverses réglementations – le degré d’application de la réglementation bancaire, les normes relatives à l'échange de renseignements sur demande, l’évaluation du risque de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme –, et quatre mesurant l'environnement politique et l'application des réglementations en général. Notre approche est purement académique, nous n’avons aucun intérêt en jeu. La 3e édition permet de mesurer les avancées des pays en regard de ces sept éléments.

Edouard Cuendet: En tant que partenaire du SFI, il nous semble en même temps très utile et nécessaire que des études académiques, donc neutres et sérieuses, établissent des benchmarks sur la base de critères variés. Il est en effet indispensable qu’une ne place financière, par essence internationale, puisse se comparer à ses principaux concurrents.

«La Suisse se maintient à un excellent niveau, on ne peut que se réjouir que les pays européens aient rattrapé leur retard.»
Quelles leçons retenez-vous de cette 3e édition?

Yvonne Lenoir: La Suisse se maintient à un excellent niveau, on ne peut que se réjouir que les pays européens aient rattrapé leur retard. Il faut dire que la Suisse avait pris beaucoup d’avance dans la mise en œuvre des règlementations majeures qui ont vu le jour en réponse à la crise financière de 2008, aussi bien en matière de prévention du blanchiment d’argent que bancaire. La Confédération sera parmi les premiers gouvernements à appliquer les règles de Bâle III, tout en tenant compte de la taille des établissements avec le régime pour petites banques.

E.C.: La Suisse est très stable, restant au top niveau, parmi les dix meilleurs. Elle est rattrapée et à peine dépassée par des États européens qui étaient en retard du fait de la lenteur avec laquelle, contrairement à la Suisse, ils ont mis en œuvre les directives du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Ceci en dit beaucoup sur l’efficacité du processus législatif en Suisse. Ce qu’il est important de retenir c’est que la Suisse est bien devant ses véritables concurrents que sont les places de Londres, du Luxembourg et de New York.

A.M.: Ce qui compte pour un pays n’est pas d’être 1er, 2e, ou 3e mais d’être dans le premier tiers, donc parmi les dix premiers. Et la Suisse fait bien partie de ce peloton de tête. Qu’elle soit passée de 4e à 7e ne signifie rien de plus que d’autres pays ont progressé. Si l’on regarde de près le score total de la Suisse s’est légèrement amélioré entre l’édition précédente et celle dont on parle aujourd'hui. Ce qu’il faut retenir est que la Suisse reste en tête des places financières internationales.

«Si la Suisse souffre d’un déficit d’image, voire d’une image erronée c’est avant tout un problème de communication.»
N’y a-t-il pas un décalage entre le rang qu’obtient la Suisse, celui d’une place financière internationale majeure, et la perception que le reste du monde a de la place financière helvétique?

E.C.: Si la Suisse souffre d’un déficit d’image, voire d’une image erronée c’est avant tout un problème de communication. Elle a beau avoir déployé un arsenal juridique et réglementaire sans égal sur la scène internationale, tout particulièrement en matière de blanchiment d’argent – la LBA est conforme à la grande majorité des recommandations émises par le GAFI –, les vieux mythes ont la vie dure: elle continue à être vue comme le pays des comptes anonymes et des sociétés opaques. Les accusations portées par la CSCE, ou Commission d’Helsinki à l’encontre de la Suisse, sous prétexte qu’elle aurait caché des avoirs russes, est typique de cette vieille chasse aux sorcières dont pâtit la Suisse.

A.M.: Le principal handicap de la Suisse tient à la question de la transparence. Le déficit d’image de la Suisse résulte aussi du fait qu’elle est trop réservée et manque d’audace pour montrer la qualité de ce qu’elle fait en matière de réglementation financière. Il ne s’agit pas de répondre à des jugements arbitraires par des jugements mais de montrer des faits, et le faire systématiquement et régulièrement.

Quel pourrait être un impact concret souhaitable de ce ranking?

Y.L.: S’il est un souhait que je formulerais à la lecture de ces résultats, ce serait que  la Suisse continue d’une part à influencer au niveau international la conception des règlementations futures, celle de Bâle IV et celle dans le domaine de la Finance durable en premier lieu, d’autre part à promouvoir la place financière helvétique dans le reste du monde.  Ce travail, au niveau international et national, doit être fait par le gouvernement suisse et les autorités ensemble avec l’industrie financière et les associations faitières, tel que Swiss Banking Association, Fondation Genève Place Financière et Association des Banques Privées Suisses.

«Il serait intéressant que la 4e édition intègre une dimension durable, qui permette d’intégrer la performance ESG dans la mesurer de la compétitivité des pays du périmètre de l’étude.»

A.M.: Que la Suisse prenne acte de son déficit d’image et décide une bonne fois pour toutes de mettre fin à la principale cause de ce dernier, soit la transparence que j’évoquais. La réponse est simple, selon mon avis personnel (et non académique): il s’agirait de reprendre les travaux, entamés il y a deux ans et soutenus par la Swiss Banking Association, qui visaient à étendre la LBA aux trustees, aux avocats, et aux conseillers financiers. Limiter la LBA aux banquiers signifie maintenir une épée de Damoclès sur l'ensemble de la crédibilité de la place financière helvétique.

E.C.: Pour remédier à son déficit d’image, il est essentiel que la Suisse sorte d’une discrétion et d’une modestie caractéristiques de l’ADN national pour faire savoir haut et fort que l’excellence liée au Swiss made s’applique aussi à ses conditions cadres en matière de transparence, de gouvernance, de fiscalité.

Quelles évolutions trouveriez-vous pertinentes pour la 4e édition?

E.C.: La principale limite de l’étude tient à ce qu’elle mesure l’adoption des règlementations et non par leur application liée aux sept critères retenus. C’est ainsi, par exemple, que l’Estonie occupe la 4e place alors qu’il y a trois ans seulement elle était au centre du scandale de la Danske Bank, l’un des plus importants de l’histoire du blanchiment d’argent. C’est un élément à considérer pour la prochaine édition, avec celui de l’évolution des critères retenus. Celui de Bâle III doit-il continuer à être utilisé, et le cas échéant, avec quelle pondération? Ne faudrait-il pas inclure un critère sur l’échange automatique d’informations en matière fiscale tel que défini par l’OCDE? Ne serait-il pas judicieux d’intégrer d’une manière ou d’une autre le développement durable dans le périmètre de l’étude? Comment tenir compte de la mise en place de la réforme du système fiscal international de l’OCDE relative au taux d’imposition minimum de 15% sur les entreprises multinationales à compter de 2023? Autant de questions qui présideront à la 4e édition que la Fondation de Genève Place Financière se réjouit de prendre connaissance.

Y.L.: Il serait intéressant que la 4e édition intègre une dimension durable, qui permette d’intégrer la performance ESG dans la mesurer de la compétitivité des pays du périmètre de l’étude. Nous serions par ailleurs favorables à ce qu’une étude semblable soit réalisée au sujet de l’asset management, domaine fortement réglementé: il mettrait probablement en lumière la place qu’a pris la Suisse dans ce domaine.

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