La solution face au grand chambardement: s’adapter

Alexander Roose, Degroof Petercam AM

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Le Nasdaq a de bonnes raisons de progresser dans une économie en transformation numérique accélérée.

© Keystone

Alors que la saison des résultats du premier trimestre touche à sa fin, un certain nombre de tendances se dessinent au niveau des secteurs comme à celui des entreprises. Ainsi, la forte surperformance relative du Nasdaq par rapport à la plupart des grands indices mérite qu’on s’y arrête. Bien que certains investisseurs privés redoutent la formation d’une bulle, une crainte habituelle dès que le secteur de la technologie progresse rapidement, il paraît nécessaire d’examiner plus en détail les fondements de l'évolution de cet indice.

La numérisation de l'économie est en cours depuis de nombreuses années et elle s'opère sur de multiples fronts. Les entreprises recourent de plus en plus souvent à des solutions logicielles afin d'accroître leur productivité ou leur avantage compétitif ou encore de réduire leurs coûts. Les consommateurs se tournent eux également vers le numérique avec une vélocité inhabituelle, que ce soit pour les achats en ligne, les paiements ou la santé. Ces évolutions requièrent une expansion massive ainsi qu’une amélioration sensible des réseaux et des capacités de l’informatique en nuage (cf. graphique pénétrations comparées de l’informatique en nuage aux États-Unis et en Chine). Le Covid-19 a radicalement changé le monde dans lequel nous vivons, et, pour survivre, les entreprises doivent s’adapter à cette nouvelle donne.

Taux de pénétration de l’informatique en nuage

Le taux de pénétration de l’informatique en nuage est d'environ 18% en Chine contre 34% aux États-Unis.

Source: Gartner and Bernstein analysis

Les précurseurs de la numérisation gagnent désormais des parts de marché (pour mémoire cf. Nike comparé à Adidas) et ils sont disposés à accélérer encore le rythme de leurs investissements pour maintenir cette avance. Par ailleurs, d'autres entreprises sont obligées de se lancer dans de vastes opérations de rattrapage pour rester à niveau sur le plan numérique. Selon un sondage réalisé par Fortune auprès de différents dirigeants d’entreprises, seuls 6% d'entre eux ont déclaré qu'ils ralentiraient leur processus de transformation numérique en raison de Covid-19 alors que 63% d'entre eux envisageaient, au contraire, de l'accélérer.

De fait, la numérisation de l'économie est passée à la vitesse supérieure dans le monde entier. Comme l'a affirmé le directeur général de PayPal lors de sa dernière conférence téléphonique: «Je pense que nous allons dorénavant considérer cette période comme un moment charnière, celui où les paiements via le numérique, en ligne et hors ligne, sont devenus un élément essentiel de notre quotidien». Ceci explique en bonne partie la hausse substantielle des cours des actions de nombreux éditeurs de logiciels et d'opérateurs internet.

Cette progression a également pour origine le comportement des investisseurs. En période de forte volatilité et de grande incertitude, ils préfèrent en effet se réfugier dans des entreprises qui bénéficient de la numérisation de l’économie et qui jouissent à la fois d’une grande visibilité et d’une dynamique positive. De plus, tant que les investisseurs ne sont pas sûrs de la forme que prendra la reprise et sont indécis en ce qui concerne la probabilité de survenance d'une nouvelle vague de contamination, il est peu probable qu'ils modifient leurs stratégies.

Les chances d’un ralentissement des politiques d'assouplissement
quantitatif sont faibles, du moins à brève échéance.

La capitalisation boursière du Nasdaq s’approche désormais de celle de l’ensemble des actions mondiales, hors Etats-Unis. La vigueur de cet indice s’explique également par les performances du secteur de la biotechnologie qui a atteint des sommets historiques. Il a bénéficié d’une relance de l'innovation, stimulée par un nombre croissant d'approbations de médicaments octroyées par la FDA (citons par exemple des entreprises comme Seatlle Genetics et Incyte dans le domaine de l’oncologie). Par ailleurs, les traitements cellulaires et les thérapies géniques donnant de plus en plus encourageants, ils pourraient offrir une solution à la pandémie. Moderna est actuellement l'un de ses pionniers dans ce domaine. Enfin, la biotechnologie s'est avérée être un secteur résistant aux baisses: lors des trois dernières phases de ralentissement économique, le recul des indices de la biotechnologie (le BTK et le NBI) s’est limité à 1%.

Les «FANG» (Facebook, Amazon, Netlfix et Google) font aussi beaucoup parler d'elles, alors que leurs performances depuis le début de l'année se sont trouvées éclipsées par celles des «BANG» (Barrick, Agnico Eagle, Newmont et Goldcorp).  Les investisseurs privilégient en effet l'or et les actifs liés à au métal jaune, ce dernier retrouvant sa position d’ultime valeur refuge qui ne recèle aucun risque de contrepartie, dans un contexte de banques centrales qui laissent leurs monnaies se déprécier. Cette tendance devrait se poursuivre, car les chances d’un ralentissement des politiques d'assouplissement quantitatif sont faibles, du moins à brève échéance.

Dernièrement, les usines de transformation de la viande américaine ont connu des fermetures de grande ampleur, leur forte intensité de main-d'œuvre représentant un risque important durant la pandémie. L’investissement dans l’automation est donc devenu une question de survie pour ces établissements, car leur mode de production avait depuis longtemps dépassé sa date de péremption! Là encore, les entreprises dotées de technologies innovantes (par exemple, la vision en 3D ou les systèmes de capteurs pour détecter les os ou les matières étrangères) bénéficieront d’un avantage compétitif.

Les injections massives de liquidités et les politiques budgétaires ont permis d'éviter le déclenchement d’une véritable crise de solvabilité. Mais elles ont parallèlement instauré une dichotomie sans précédent entre la réalité économique et les marchés boursiers. Sans vouloir dénigrer la capacité de ces derniers à anticiper, ils semblent qu’ils brûlent actuellement les étapes. Un certain nombre d’entreprises vont se trouver confrontées à la faillite, les consommateurs accroîtront leur épargne et plus de deux trimestres seront nécessaires pour qu’un vaccin efficace et disponible à grande échelle voie le jour. Cependant, dans un marché qui évolue dans une fourchette relativement étroite, tout n’est pas sombre: le gérant actif dispose encore de multiples opportunités d’investissement!

Note de la rédaction: ce texte a été rédigé le 20 mai 2020

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