La Greenflation, cauchemar des banques centrales

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Messieurs les Européens, et si, pour une fois, vous tiriez les premiers?

La naissance du terme «Greenflation» est récente. Elle est consécutive à la prise de conscience (tardive) des opinions publiques et de nos dirigeants que le dérèglement climatique, déjà annoncé par Al Gore en 2006 (An unconvenient truth), s’installe dans la durée. Et qu’il nécessitera des réponses nouvelles, ambitieuses, innovantes et surtout coûteuses en termes de ressources naturelles. Ces besoins élevés en ressources naturelles provoqueront la hausse des prix de certains composants de base, de matériaux comme le cuivre. C’est irrémédiable, car la progression exponentielle de la demande se produira alors même que l’offre pourrait être asséchée par les contraintes de Mère Nature (disruptions multiples telles que ouragans, inondations, incendies, etc.). Une forme de double peine.

Sommes-nous alors dans un nouveau régime d’inflation élevée, structurelle? La politique économique menée par nos banquiers centraux et dirigeants doit-elle en tenir compte, si oui comment? Comme d’habitude, l’Europe et les Etats-Unis abordent le problème différemment.

Ainsi, les prix de l’énergie - au sens large - font partie intégrante des paramètres sous surveillance de la BCE. Ils ont un poids relativement significatif dans les indices de prix. L’idée est que les consommateurs sont impactés dans leurs déplacements, dans leurs loisirs par l’évolution des prix pétroliers. Les subventions et autres chèques transports offerts par les gouvernements pendant la flambée des prix l’an passé confirment la sensibilité «politique» du Vieux Continent à ce facteur. Cette idée est d’ailleurs contestée d’un point de vue de la théorie économique, car elle soutient artificiellement les prix… Récemment, la BCE a décidé de favoriser, par ses investissements, les actifs financiers à connotation ESG (Green bonds, par exemple). C’est désormais inscrit dans son cahier des charges, elle veut activement accompagner la transition verte.

Mais alors, peut-elle pour autant ignorer la Greenflation, sans contrevenir à l’essence même de son mandat? Impossible! On ne modifie pas la composition des indices de prix. C’est peu de dire dès lors que l’institut d’émission est «coincé» entre des éléments, des facteurs contradictoires. Elle attise - potentiellement - la hausse des prix de l’énergie et des matériaux en soutenant activement la transition verte, reste obligée de tenir compte du renchérissement énergétique dans son pilotage de la politique monétaire, mais doit empêcher la flambée générale des prix, comme premier et seul objectif. Bonne chance pour réconcilier tout cela, à moins de revoir l’objectif d’inflation (<2%) de la BCE. Pendant longtemps c’était un véritable anathème qui provoquait des convulsions incontrôlées des pays du Nord de l’Europe, l’Allemagne et la Finlande en tête. Mais les choses changent. Lors d’un discours en mars 2022, l’allemande Isabel Schnabel (membre du comité exécutif de la BCE), l’a clairement évoqué comme piste possible! Puis elle a - mollement – conclu que ce n’était pas la meilleure solution, même s’il ne fallait pas l’exclure, plus tard… Si ce n’est pas une volte-face de la BCE, cela ressemble au moins à un joli ballon d’essai.

La Fed, plus concentrée sur des indices de prix «cœur» a théoriquement plus de marge de manœuvre. Mais en pratique, l’incroyable prodigalité de l’administration ces dernières années, comme l’ampleur très importante des plans de relance «verts» (IRA) favorise une surchauffe conjoncturelle durable, un excès sans précédent de la demande (consommation privée), qui complique le travail de l’institut d’émission. Plus fondamentalement, dans une étude de février 2023 intitulée «Is Green transition inflationnary?», la Fed (de New-York) se montre agnostique. Tout dépendra, selon elle, de la rigidité ou de la flexibilité des prix. Si a) les prix de l’ensemble des biens et services restent libres et flexibles, alors la volatilité des indices des prix augmentera, mais des phénomènes d’ajustement économiques empêcheront le niveau moyen d’inflation de changer significativement. On comprend entre les lignes que cela signifierait alors que la conjoncture, elle, surchaufferait ou collapserait plus régulièrement. Si b) certains prix sont taxés ou alors subventionnés, voire un mix des deux, alors le risque de dérapage structurel des prix se matérialiserait. Ce qui nécessiterait une politique monétaire préventive, voire très «musclée». Faute de quoi l’inflation galopante s’installerait. On imagine alors la difficulté de décider des arbitrages au sein de la Fed. A moins qu’elle ne décide, en 2024 lorsque l’inflation cyclique actuelle aura rebaissé, de revoir à la hausse son objectif, à 3% par exemple, comme le préconisent plusieurs experts renommés…

En clair, les banques centrales s’interrogent et s’inquiètent, à raison, des effets de la transition énergétique. Il ne fait aucun doute qu’elles seront directement concernées. Augmenter à moyen terme leur objectif d’inflation semble une solution pragmatique pour accompagner la transition économique. C’est plus honnête, et moins risqué, que de jouer avec la crédibilité des banques centrales et des gouvernements en usant de subterfuges liés aux statistiques des prix. Les marchés détestent ça.

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