Ne pas enterrer trop vite les petites banques privées

Anne Barrat

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Promises à la consolidation, certaines résistent plutôt bien, à condition d’avoir plus d’une corde à leur arc. Jean-Christophe Rochat de la Banque Heritage.

Prédateur ou proie? Le dilemme ne change guère, qui préside au sort des banques privées suisses ces dix dernières années. Leur nombre a chuté de 40% entre 2011 et 2021 selon KPMG, passant de 158 à 93. Une tendance qui alimente les rumeurs les plus folles, et sous-estime la résistance de certaines, amalgamées hâtivement à la liste des proies faciles. La Banque Heritage est de celles-ci, qui a défié les Cassandre. Entretien avec Jean-Christophe Rochat, CIO de la Banque Heritage.

Les rumeurs de consolidation qui circulent depuis des années sur la place genevoise n’ont pas épargné la Banque Héritage, alimentée notamment par la vente du siège social, elles sont donc infondées?

Toutes les banques de la place ambitionnent de se développer et sont en mode acquisition tout comme nous. A cet effet, nous avons été un acteur de cette consolidation au travers des différentes acquisitions réalisées ces dernières années, qu’il s’agisse de la reprise des actifs de Bank Frey, le rachat de Standard Chartered, la reprise de certains actifs de Hottinger & Cie mise en liquidation par la FINMA ou encore dernièrement la fusion en 2019 avec la famille Barth, propriétaire de la Sallfort Privatbank AG, aux caractéristiques très similaires à la famille Esteve.

Banque Heritage a été créée pour répondre aux besoins de nos familles fondatrices, à savoir la gestion de leur patrimoine issu des activités marchandes et commerciales du groupe ECOM Agroindustrial, fondée en 1849 et qui est aujourd’hui parmi les premiers acteurs mondiaux dans le négoce du café, coton et cacao.

Banque Heritage continue à agir comme le family office de ces familles et clients et offre toute une série de services et prestations que les banques universelles ne sont plus à même d’offrir de par leur modèle d’affaires industrialisé à outrance.

Nous sommes ouverts à accueillir de nouveaux partenaires, des gérants de fortune indépendants en particulier, dont le profil correspond à la culture que nous véhiculons et présente des synergies avec la banque.

Plusieurs banques de la place ont procédé à la vente de leur siège social, et ce pour des motifs purement réglementaires qui exigent le maintien de fonds propres. Heritage n’est point une exception à cette règle. La vente de l’immeuble nous a permis non seulement de libérer ces fonds propres pour financer notre croissance et donc nos acquisitions, mais également de nous assurer un loyer bien inférieur à la moyenne du marché pour un tel immeuble de prestige pour 14 ans encore. Donc nous sommes bien là pour continuer notre développement et disposons de fonds propres en suffisance pour explorer des opportunités d’acquisition.

Comment se traduit cette fibre entrepreneuriale au niveau de la banque?

La Banque Heritage est une banque d’entrepreneurs qui sait parler à des familles et entrepreneurs et dont la plupart des clients sont, pour cette raison, des entrepreneurs. Et ce notamment parce qu’elle peut compter sur le large réseau des familles fondatrices. Ce réseau est l’un des leviers que nous utilisons pour nourrir la croissance dans l’après crise financière de 2008. Nous avons par exemple développé des services et produits qui répondaient aux besoins des entrepreneurs de notre réseau, en particulier dans la structuration de fonds ou structures financières dont ils étaient très demandeurs. Ils sont en effet de plus en plus nombreux à vouloir placer des actifs immobiliers et alternatifs dans des véhicules qui accueillent un petit nombre d’investisseurs – amis, famille – et présentent de vrais avantages en terme de fiscalité et de succession patrimoniale. Les dernières années ont vu une forte augmentation de cette demande à laquelle ne peut répondre des structures standards de type SICAV, qu’il coûte très cher de structurer. Ils sont de facto réservés à une clientèle institutionnelle. Comment répondre à des clients, de plus en plus nombreux, possédant une dizaine de millions de francs à placer? Nous avons mis en pratique un savoir-faire maison important dans la structuration de ces fonds pour permettre à ces clients de faire entrer un nombre restreint d’investisseurs (LPs) dans une structure beaucoup plus rassurante que les «club deals». Cette activité nous a permis de développer une expertise de niche qui porte ses fruits. Tant il est vrai que les clients de ce service de structuration de fonds sont potentiellement de futurs de la banque privée – et vice versa.

Quelles autres mesures avez-vous pris pour assurer la croissance?

En complément du conseil en structuration de fonds, nous avons développé tout un ensemble de services autour de la gestion de fortune: représentant de fonds et agent payeur pour la distribution de fonds étrangers en Suisse, gestion de prestations de libre passage, conseil en valorisation de société, structuration de financements pour les entreprises ou encore aide à la levée de capitaux… Ces services ont été développés pour répondre aux besoins de nos familles, aujourd’hui nous les démocratisons en les offrants à une élite à la tête d’actifs conséquents.

Nous avons également recentré nos stratégies sur une vingtaine de marchés stratégiques – la Suisse, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore le Moyen-Orient notamment –, renonçant à certains pays comme, par exemple, en Amérique latine. En parallèle, de nouveaux relationship managers (RM) ont été recrutés pour renforcer la banque privée dans nos pays cibles et gagner des mandats discrétionnaires. Nous avons en outre complété les actions en faveur de la croissance organique par une stratégie de croissance externe.

D’autres acquisitions et/ou rapprochements sont-ils à l’ordre du jour?

Nous sommes ouverts à accueillir de nouveaux partenaires, des gérants de fortune indépendants en particulier, dont le profil correspond à la culture que nous véhiculons et présente des synergies avec la banque. Nous avons déjà une participation majoritaire dans la société de gestion, Meridian Wealth Management à Lausanne, d’autres opérations pourraient suivre. C’est un marché en ébullition avec les exigences réglementaires à venir prochainement. Tout comme l’acquisition pure et simple de petites banques (2 milliards d’actifs sous gestion et moins), qui nous permettrait de consolider la croissance de nos AuM – 4,5 milliards de francs en 2021 au niveau groupe – et accroitre notre profitabilité.

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