La Fed reste toujours crédible malgré un nouveau sommet de l’inflation

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Les marchés restent tiraillés entre l’espoir et l’inquiétude. Il faudra un certain temps pour y voir plus clair. Mais de nouveaux signaux sont apparus sur ces trois fronts. Décryptage.

© Keystone

L’inflation des prix à la consommation aux Etats-Unis s’est accélérée à 9,1% en glissement annuel en juin, au plus haut depuis novembre 1981. Les tarifs des carburants et des aliments ont fait bondir l’inflation globale de 1,3% en glissement mensuel, soit davantage que la progression de 1% attendue. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) est ressortie à +0,7% en glissement mensuel et à 5,9% en glissement annuel (contre 6% en mai).

Des anticipations revues à la baisse

Les marchés ont réagi à l’inflation en pariant sur un resserrement plus marqué et plus rapide de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed). Après la publication de l’indice des prix à la consommation (IPC), les contrats à terme sur les Fed funds arrivant à échéance en décembre reflétaient 33 points de base (pb) supplémentaires de hausse du principal taux directeur de la Fed cette année.

Toutefois, l’ampleur de ces anticipations et la probabilité d’un relèvement de 100 pb à l’occasion de la réunion de la Fed de ce mois-ci sont retombées. Cela après que deux de ses responsables, Christopher Waller et James Bullard, ont exprimé leur préférence pour un relèvement de 75 pb.

Les cours des contrats à terme suggèrent aussi que la Fed pourrait cesser de relever ses taux dès le mois de février, le ralentissement de la croissance s’accompagnant d’une décrue de l’inflation, et peut-être les baisser en 2023.

Baisse des bénéfices pour certaines banques américaines

Ces derniers jours, le bal des publications de résultats du deuxième trimestre s’est ouvert aux Etats-Unis. Certaines grandes banques américaines ont fait état d’une érosion de leurs bénéfices, ce qui a nourri l’inquiétude quant à l’impact d’un relèvement très marqué des taux directeurs sur la croissance économique et sur les bénéfices des entreprises.

JPMorgan Chase a annoncé une baisse plus importante que prévu (-28%) de son bénéfice trimestriel après avoir passé une provision de 1,1 milliard de dollars pour de possibles pertes de crédit face au risque grandissant de récession. L’an dernier, la banque avait, au contraire, effectué une dilution de provision de 3 milliards de dollars.

On remarque que l’érosion des bénéfices dans le secteur de la finance cette année est imputable aux importantes reprises sur provisions effectuées l’an dernier.

Morgan Stanley a également vu son bénéfice chuter dans des proportions plus importantes que prévu (-30%). Cela en raison des résultats décevants de sa division banque d’investissement imputables à des volumes de transactions plus faibles à l’échelle mondiale.

Inversion de la courbe des taux

Il y a dix jours, après avoir baissé pendant une bonne partie de la semaine, le S&P 500 a rebondi de 1,9%, limitant ainsi son recul hebdomadaire à 0,9%. L’inversion de la courbe des taux américains dans sa section deux à dix ans s’est accentuée. En effet, l’écart de rendement entre les échéances dix ans et deux ans s’est enfoncé dans le rouge, à -21 pb. Parallèlement les rendements à dix ans ont diminué de 16,5 pb au cours de la semaine.

Le dollar a atteint la parité face à l’euro pour la première fois depuis 2002. Mais il s’est déprécié vers la fin de la semaine en question. Cela en raison d’un regain d’appétence au risque.

Que faut-il en penser?

L’évolution des cours des obligations dans la foulée de la publication de l’IPC aux Etats-Unis suggère que le marché commence à penser qu’un resserrement plus rapide de la Fed peut faire retomber l’inflation. Même si cette dernière est toujours à son plus haut niveau depuis des décennies.

La Fed ne fait pas de mystère sur ses intentions. Le mot «inflation» apparaît à 89 reprises dans le procès-verbal de sa dernière réunion. Tandis que le mot «récession» en est absent. Les investisseurs semblent considérer que les intentions de la Fed sont crédibles et les baromètres des anticipations d’inflation fondés sur le marché sont restés sages. En outre, dans la dernière étude de l’Université du Michigan, les anticipations d’inflation à long terme sont tombées à 2,8% par an, contre 3,1% en juin.

Pas de stagflation en vue

Toutes choses étant égales par ailleurs, la probabilité de matérialisation du scénario de stagflation de la Recherche d’UBS, dans lequel les marchés commenceraient à redouter que la Fed ne perde le contrôle de l’inflation, semble diminuer. Dans la foulée de la publication de l’IPC, les investisseurs en actions semblaient plus inquiets quant à l’impact de l’inflation sur la consommation des ménages et, par ricochet, sur la croissance économique, ainsi que sur les bénéfices des entreprises.

Ralentissement des bénéfices des entreprises

Toutefois, on remarque que l’érosion des bénéfices dans le secteur de la finance cette année est imputable aux importantes reprises sur provisions effectuées l’an dernier, qui ont fait grimper les bénéfices des banques à des niveaux intenables.

Dans ce contexte incertain, il est conseillé aux investisseurs de construire un portefeuille susceptible de bien résister dans un large éventail de scénarios.

Plus généralement, la croissance des bénéfices des entreprises devrait ralentir étant donné les difficultés posées par la plus forte inflation depuis quarante ans, par le regain d’orthodoxie de la Fed, par la vigueur du dollar, par la guerre en Ukraine et par la succession de confinements locaux en Chine.

Néanmoins, on n’entrevoit pas de net ralentissement de la croissance des bénéfices. On peut plutôt s’attendre à une succession de trous d’air liés au fléchissement de la consommation des ménages, aux dysfonctionnements persistants des chaînes d’approvisionnement, à la pression sur les coûts et à des fluctuations de taux de change défavorables.

Toutes les entreprises ne seront pas touchées dans les mêmes proportions. Les dépenses technologiques des entreprises, la demande dans l’industrie et les biens de consommation haut de gamme semblent bien résister.

Les prévisions de bénéfices de la Recherche d’UBS, qui sont inférieures au consensus, restent inchangées. Pour les exercices 2022 et 2023, elle table, pour le S&P 500, sur un bénéfice par action de respectivement 227 dollars (en hausse de 8%) et de 235 dollars (en hausse de 4%). Mais de nombreux investisseurs pourraient être encore plus pessimistes et, si l’économie entre en récession, ces estimations seraient probablement revues.

Comment investir?

Les marchés resteront probablement volatils dans les mois à venir. En effet, les investisseurs sont tiraillés entre l’espoir et l’inquiétude quant à l’évolution de la croissance économique et de l’inflation. Une embellie plus durable de l’humeur des marchés est improbable tant que les chiffres de l’inflation globale et sous-jacente ne baisseront pas régulièrement, éloignant ainsi le spectre d’un enracinement de la hausse des prix.

Dans ce contexte incertain, il est conseillé aux investisseurs de construire un portefeuille susceptible de bien résister dans un large éventail de scénarios. Tour d’horizon.

  • Investir dans la valeur

En 2022, l’inflation devrait rester supérieure aux objectifs des banques centrales. Une analyse des données qui remonte à 1975 révèle que les valeurs décotées ont tendance à surperformer les valeurs de croissance lorsque l’inflation est supérieure à 3%, ce qui devrait être le cas pendant un certain temps.

Les valeurs décotées devraient donc particulièrement bien se comporter dans le scénario de «l’atterrissage en douceur» de la Recherche d’UBS. Car, si les investisseurs croient à la résistance des bénéfices des entreprises, cela peut soutenir certains secteurs cycliques décotés, notamment celui de l’énergie. Le marché britannique, qui fait la part belle aux secteurs décotés, est également intéressant.

  • Renforcer l’exposition aux valeurs défensives et de qualité, ainsi que tirer parti de la volatilité

Pour se protéger contre une éventuelle crise économique synonyme de révision à la baisse des prévisions de bénéfices des entreprises et de poursuite de la correction des actions, les investisseurs feraient bien d’accentuer leur exposition aux valeurs de rendement de qualité, au secteur de la santé, aux titres de créance résistants, ainsi qu’au franc.

Les stratégies assorties d’une protection du capital peuvent également permettre aux investisseurs de tirer parti de la volatilité et d’atténuer les éventuels risques de perte en cas de baisse.

  • Gérer une stratégie de liquidité et se diversifier avec des hedge funds

Pour poser les fondations d’un portefeuille robuste, il convient de mettre en œuvre une stratégie de liquidité qui vise à couvrir les besoins sur un horizon de trois à cinq ans. Cette stratégie permettra de gérer le risque de vente forcée, de dégager un rendement et de se tenir prêt à saisir d’éventuelles opportunités. Elle passera notamment par l’investissement dans des liquidités, des alternatives aux liquidités et des obligations à duration courte.

Il convient aussi de ne pas négliger l’exposition aux hedge funds, qui sont susceptibles d’être performants, y compris lorsque les obligations et les actions sont orientées à la baisse.

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