Le pessimisme s’empare à nouveau des marchés

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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L’inquiétude sur le rythme du resserrement monétaire et la crainte d’une poursuite de l’érosion de la consommation du fait de la forte inflation poussent au trend baissier.

©Keystone

Il y a dix jours, les actions sont reparties à la baisse. Le S&P 500 a cédé du terrain sur fond d’inquiétude quant au rythme du resserrement monétaire. Mais aussi par crainte d’ une poursuite de l’érosion de la consommation des ménages du fait de la forte inflation. Décryptage.

Entre le 1er janvier et le 30 juin, le S&P 500 accuse ainsi un repli de 20,6%, ce qui en fait son plus mauvais premier semestre depuis 1970. L’indice MSCI All Country World a lui aussi reculé ces derniers temps, achevant ainsi le premier semestre en repli de 20,9%.

Humeur morose en Europe

Les déclarations empreintes d’orthodoxie des principaux banquiers centraux qui assistaient au Forum de la Banque centrale européenne (BCE) ne sont pas étrangères à l’humeur morose sur les marchés d’actions. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, s’est montrée sceptique quant à la possibilité de renouer avec un environnement de faible inflation.

De son côté, le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, a déclaré que le rétablissement de la stabilité des prix impliquerait probablement quelques sacrifices. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a estimé que la pandémie du COVID-19 avait laissé un héritage structurel, à savoir des niveaux d’emploi potentiellement plus faibles et un risque accru d’augmentations excessives de salaires.

Le récent relèvement de 50 points de base (pb) des taux directeurs de la Banque de Suède, le plus net depuis plus de deux décennies, témoigne de la tendance au resserrement des politiques monétaires dans une bonne partie du monde.

L’inflation continue à faire des siennes

Les statistiques en provenance des Etats-Unis ont accentué les craintes quant à l’impact de la forte inflation sur la croissance économique. Le revenu disponible des ménages a diminué de 0,1% en glissement mensuel et, même si la consommation corrigée de l’inflation est ressortie en hausse à 2,1% en glissement annuel en mai, la tendance mensuelle était moins encourageante (-0,4% contre +0,3% en avril).

L’indice ISM manufacturier est tombé à 53 en juin, au plus bas depuis juin 2020. Il se situe encore au-dessus du seuil des 50 points, qui marque la limite entre expansion et contraction, mais il est en forte baisse par rapport au mois de mai (56,1) et inférieur aux estimations des économistes. L’enquête de conjoncture fait aussi état d’une contraction des nouvelles commandes, pour la première fois depuis deux ans.

Ce mauvais chiffre a contribué à la poursuite de la baisse de l’indicateur GDPNow de la Fed d’Atlanta, qui donne une estimation courante de la croissance du PIB réel sur la base des données économiques disponibles. Ce baromètre suggère une contraction de l’activité de 2,1% au deuxième trimestre.

Ces spéculations sur un ralentissement de la croissance économique aux Etats- Unis ont fait baisser le rendement des bons du Trésor américain à dix ans d’environ 20 pb, à 2,9%.

Augmentation du budget de la défense

Les tensions géopolitiques sont également restées marquées. Le gouvernement britannique a dévoilé un plan qui vise à porter ses dépenses de défense à 2,5% du PIB d’ici la fin de la décennie en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il s’agit d’un niveau supérieur au seuil de 2% que l’OTAN réclame à ses pays membres. Récemment, l’OTAN a annoncé que la Finlande et la Suède avaient fait un pas de plus vers l’adhésion.

Les questions à se poser dans l’immédiat
  • Les chiffres de l’emploi salarié non agricole aux Etats-Unis calmeront-ils la peur de l’inflation?
    Alors que la Fed resserre sa politique, un ralentissement des créations d’emplois et du salaire horaire moyen en juin serait le bienvenu. Les investisseurs verraient également d’un bon œil une hausse du taux d’activité, qui suggérerait que davantage d’individus reviennent sur le marché de l’emploi après la pandémie, soulageant ainsi la pression à la hausse des salaires.
  • La Fed accentuera-t-elle l’inquiétude des marchés quant au resserrement de sa politique?
    Ces dernières semaines, les marchés ont quelque peu revu à la baisse leurs anticipations concernant l’ampleur du resserrement monétaire orchestré par la Fed. Les investisseurs espèrent que sa prochaine réunion ne leur réservera pas de mauvaises surprises.
  • De nouvelles mesures de relance en vue en Chine?
    Le gouvernement chinois a déjà pris de nombreuses mesures pour stimuler la croissance, depuis le récent assouplissement monétaire jusqu’à la hausse des dépenses d’infrastructures. Et cela commence à se traduire par un redressement des indicateurs. Néanmoins, les investisseurs guetteront de nouvelles initiatives car la croissance ralentit dans le reste du monde.
A quoi faut-il s’attendre?

Au second semestre, les marchés d’actions devraient rester volatils, tiraillés entre l’espoir et l’inquiétude quant à l’évolution de la croissance économique et à l’inflation. Si le récent rebond de 6,5% du S&P 500 reflétait l’espoir d’un atterrissage en douceur, l’accès de volatilité est le fruit des déclarations de banquiers centraux et du fléchissement des indicateurs, qui dénote une probabilité accrue d’effondrement de l’activité économique.

Une embellie plus durable de l’humeur des marchés est improbable tant que l’inflation semblera hors de contrôle, empêchant ainsi les banques centrales de cesser de relever leurs taux directeurs, au moins temporairement.

Aux Etats-Unis, l’indice des dépenses de consommation personnelles hors alimentation et énergie (core PCE), publié il y a dix jours, a enregistré une progression légèrement inférieure aux attentes (+4,7% en glissement annuel). En glissement mensuel, l’indice core PCE est ressorti en hausse de 0,3%.

Toutefois, le taux d’inflation global, auquel la Fed prête désormais davantage attention, flirte toujours avec des sommets pluriannuels à +6,3%. Il faudra probablement une décrue régulière de l’inflation globale et sous-jacente pour éloigner le spectre d’un enracinement de la hausse des prix.

Comment investir?

Dans un contexte très incertain, il est conseillé aux investisseurs de construire un portefeuille susceptible de bien résister dans un large éventail de scénarios. Explications en cinq points.  

  1. Liquidité et diversification avant tout
    Les investisseurs devraient élaborer et gérer une stratégie de liquidité, ainsi qu’envisager une diversification de leur portefeuille au moyen des hedge funds. Disposer de suffisamment de liquidités pour faire face à ses dépenses atténue le risque d’être obligé de vendre des actifs lorsque les marchés baissent. Cela permet aussi aux investisseurs d’avoir des ressources pour acheter des actifs survendus dans l’optique d’un rebond.
    Il convient aussi de ne pas négliger l’exposition aux hedge funds, qui sont susceptibles d’être performants, y compris lorsque les obligations et les actions sont orientées à la baisse. Selon les données les plus récentes, qui couvrent les cinq premiers mois de l’année, l’indice HFR Fund Weighted n’a baissé que de 2,9%, tandis que les indices MSCI All Country World (ACWI) et Barclays Global Aggregate Bond ont cédé respectivement 12,8% et 11,1% dans le même temps. Les hedge funds Macro font encore mieux, avec une performance de +9,3% sur les cinq premiers mois de l’année.
  2. Privilégier les valeurs défensives et de qualité
    Il est conseillé de faire la part belle aux valeurs défensives et de qualité dans les portefeuilles d’actions et de tirer parti de la volatilité. Les valeurs de rendement de qualité et celles du secteur de la santé peuvent aider les investisseurs à se protéger contre une révision à la baisse des prévisions de bénéfices. Les titres de créance résistants, le franc suisse et les stratégies assorties d’une protection du capital peuvent servir à couvrir le risque de perte en cas de baisse.
  3. Ne pas oublier les valeurs décotées
    Les valeurs décotées, notamment celles issues du secteur de l’énergie et les actions britanniques ne sont pas non plus à négliger. Les valeurs décotées devraient particulièrement bien se comporter dans le scénario d’«atterrissage en douceur» de la Recherche d’UBS.
    En effet, si les investisseurs croient à la résistance des bénéfices des entreprises, cela peut soutenir certains secteurs cycliques décotés, notamment les valeurs financières et celles de l’énergie. La persistance d’une inflation nettement supérieure à 3% est également favorable au style «value».
  4. Constituer des positions à long terme
    Enfin, les investisseurs devraient profiter de la correction pour constituer des positions à plus long terme. Il y a dix jours, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a abordé un bon nombre de thèmes qui favorisent l’investissement dans «l’ère de la sécurité».
    D’après elle, la pandémie et la guerre en Ukraine sont de nature à inciter les industriels à implanter leurs usines dans des pays amis, et non plus uniquement en fonction du coût et de l’efficacité. Sur le long terme, cette tendance devrait soutenir les entreprises liées à l’automatisation et à la robotique, à l’efficacité énergétique, à la cybersécurité, ainsi qu’à la sécurité alimentaire.
  5. Envisager le marché privé
    C’est peut être aussi le moment d’envisager une exposition à plus long terme au private equity. Investir dans le sillage d’une chute des cours des actifs cotés sur des marchés organisés est une stratégie payante. Depuis 1995, le rendement annuel moyen des fonds internationaux de capital-transmission sensibles à la croissance économique mondiale, lancés un an après que les actions mondiales ont atteint un sommet, s’élève à 18,6%, selon Cambridge Associates.

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