L’incertitude reste marquée malgré le rebond des actions

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Les investisseurs devraient profiter de la correction pour constituer des positions à plus long terme.

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Voici quelques jours, le S&P 500 a rebondi de 6,5%. Il a clôturé la séance de vendredi d’avant sur sa plus forte hausse depuis mai 2020 (+3,1%). La raison: les investisseurs ont revu à la baisse leurs prévisions de relèvement des taux de la Réserve fédérale et jeté leur dévolu sur les titres sous-évalués après la correction marquée de ces dernières semaines.

Dans la foulée, les marchés ont également commencé à anticiper des baisses de taux directeurs vers la mi-2023. Le rendement des bons du Trésor américain à deux ans est tombé en quelques jours de presque 20 points de base (pb), ce qui suggère que les marchés avaient surestimé l’ampleur du relèvement des taux de la Fed.

Des signaux en partie contradictoires

La modération des anticipations de taux a été favorisée par le fléchissement des cours des matières premières et par les signes de décrue des anticipations d’inflation des ménages. Dans une étude de l’Université du Michigan tout juste publiée, les prévisions d’inflation à cinq ans sont ressorties à 3,1%, contre 3,3% quelques jours plus tôt. Il se peut également que les gérants d’actifs aient accentué leur exposition aux actions pour la ramener à son niveau cible dans le cadre d’un rééquilibrage trimestriel après la récente correction des marchés.

Néanmoins, ces signaux ont été contrebalancés par de nouvelles déclarations guère conciliantes du président de la Fed, Jerome Powell, et d’autres responsables de la Fed. Lors de son audition par le Congrès, ce dernier a prévenu qu’il pourrait y avoir «de nouvelles surprises» sur le front de l’inflation et que les responsables politiques devraient réagir de manière agile aux statistiques publiées.

Le souci persistant de l’inflation

Faire retomber l’inflation reste «la priorité» de la Fed, a-t-il ajouté. Il y a dix jours, la présidente de la Fed de San Francisco Mary Daly, une centriste à en juger par son historique de vote, s’est déclarée favorable à un relèvement des taux directeurs de 75 pb lors de la réunion de juillet, après un relèvement de même ampleur début juin.

D’autres freins à la croissance préoccupent toujours les investisseurs. La Fédération de l’industrie allemande (BDI) a revu à la baisse sa prévision de croissance du PIB en 2022 et a prévenu qu’une récession serait inévitable en cas de rupture totale de l’approvisionnement en gaz russe.

De son côté, le ministre allemand de l’Economie Robert Habeck a estimé qu’il fallait «partir du principe que Poutine est prêt à fermer encore un peu plus les vannes» après des informations en début juin faisant état d’une diminution de 60% du débit du gazoduc Nord Stream 1 qui approvisionne l’Allemagne.

Dès lors, un certain nombre de questions se posent:

L’activité économique se maintient-elle?

Alors que le spectre de la récession plane sur les marchés, les investisseurs suivront de près la publication de l’indice ISM manufacturier pour déceler des signes de résistance. A noter également la publication de l’indice du climat des affaires en zone euro au mois de juin et de l’enquête Tankan au Japon.

La Russie accentuera-t-elle les difficultés économiques de l’Europe?

Alors que la Russie semble réduire ses livraisons d’énergie aux pays qui soutiennent l’Ukraine, les investisseurs guetteront de nouvelles mesures de l’Europe ou les ébauches de plans d’urgence.

A quoi faut-il s’attendre désormais?

Le rebond des marchés est une piqûre de rappel quant à la nécessité de rester investi en suivant un plan à long terme. Néanmoins, la volatilité devrait rester marquée jusqu’à ce qu’il y ait des signes probants d’atténuation de l’inflation, du risque de récession et des tensions géopolitiques, notamment celles liées à la limitation des exportations énergétiques de la Russie.  

Même si la diminution des anticipations d’inflation qui ressort de l’étude de l’Université du Michigan est rassurante, il est peu probable que la Fed adopte un message plus conciliant. Pour ce faire, il faudrait que les responsables aient le sentiment que le marché du travail se détend, éloignant ainsi le spectre d’une spirale salaires-prix.

La conjoncture reste difficile

La progression du salaire médian en moyenne glissante sur trois mois a atteint 6,1% en mai, un taux deux fois plus élevé que celui enregistré en mai 2021.  Et même si une sévère récession est improbable, la conjoncture économique reste difficile et l’on ne peut exclure que les marchés commencent à en tenir compte dans les mois à venir.

La forte inflation met à mal les finances des ménages, comme en témoigne la baisse des ventes au détail aux Etats-Unis en glissement mensuel en mai, une première depuis cinq mois. La hausse des taux de crédit hypothécaire commence également à refroidir le marché immobilier. Selon l’organisme de refinancement de crédits hypothécaires Freddie Mac, le taux moyen à 30 ans aux Etats-Unis est passé d’environ 3% début 2022 à 5,8% à l’heure actuelle, au plus haut depuis 2008.  

Vers un atterrissage en douceur?

Dans un scénario d’atterrissage en douceur, qui verrait des prévisions de croissance des bénéfices 2023 quasi nulles en glissement annuel, on peut s’attendre à ce que le S&P 500 termine l’année non loin de son niveau actuel, soit 3900 points.

Si jamais la dégradation des indicateurs économiques se traduit par une révision à la baisse des prévisions de bénéfices d’environ -15%, du même ordre que les corrections moyennes observées en période de récession, on peut s’attendre à ce que le S&P 500 tourne autour de 3300 points.

Comment investir?

Au second semestre 2022, les marchés seront surtout influencés par les anticipations des investisseurs quant à la trajectoire de l’économie: stagflation, reflation, atterrissage en douceur ou crise. Même si le scénario le plus vraisemblable est celui d’un atterrissage en douceur, l’humeur des marchés devrait rester changeante.

Dans ces conditions, il convient de ne pas se positionner résolument dans l’optique de tel ou tel scénario. Comme toujours, l’objectif est de bâtir un portefeuille robuste capable de préserver et de faire fructifier la fortune dans un large éventail de scénarios. Les investisseurs qui cherchent à bâtir un portefeuille robuste devraient procéder comme suit.

1. Gérer une stratégie Liquidité et se diversifier à l’aide des actifs alternatifs.

Pour poser les fondations d’un portefeuille robuste, il convient de mettre en œuvre une stratégie Liquidité. En visant à couvrir les besoins de liquidités sur un horizon de trois à cinq ans, cette stratégie permettra en outre de gérer le risque de vente forcée, de dégager un rendement et de se tenir prêt à saisir d’éventuelles opportunités.

Elle passera notamment par l’investissement dans des liquidités, des alternatives aux liquidités et des obligations à duration courte. Il convient aussi de ne pas négliger l’exposition aux hedge funds, qui sont susceptibles d’être performants, y compris lorsque les obligations et les actions sont orientées à la baisse.

2. Renforcer l’exposition aux valeurs défensives et de qualité, et tirer parti de la volatilité.  

Pour se protéger contre une éventuelle crise économique synonyme de révision à la baisse des prévisions de bénéfices des entreprises et de poursuite de la correction des actions, les investisseurs feraient bien d’accentuer leur exposition aux valeurs de rendement de qualité, au secteur de la santé, aux titres de créance résistants, ainsi qu’au franc suisse.

Les stratégies assorties d’une protection du capital peuvent également permettre aux investisseurs de tirer parti de la volatilité et d’atténuer les éventuels risques de perte en cas de baisse.

3. Investir dans les titres sous-évalués, en particulier l’énergie et les actions britanniques  

Les valeurs décotées devraient se comporter particulièrement bien dans un scénario de «l’atterrissage en douceur» car, si les investisseurs croient à la résistance des bénéfices des entreprises, cela peut soutenir certains secteurs cycliques décotés, notamment les valeurs financières et celles de l’énergie. Une inflation supérieure à 3% est favorable au style «value».  

Les titres liés à «l’ère de la sécurité» méritent aussi de l’intérêt. La récente diminution des exportations de gaz russe vers l’Europe souligne la nécessité pour les gouvernements et les entreprises de mettre davantage l’accent sur la sûreté et la sécurité au détriment du prix et de l’efficacité. Cette quête de sécurité énergétique, informatique et alimentaire est de nature à stimuler la demande de solutions zéro carbone, de cybersécurité et d’amélioration des rendements agricoles.

Enfin, les investisseurs devraient profiter de la correction pour constituer des positions à plus long terme.

Si la peur de l’inflation se dissipe plus vite que prévu, cela pourrait engendrer un rebond des valeurs de croissance, comme ce fut le cas il y a dix jours. Par ailleurs, investir dans le private equity dans le sillage d’une chute des cours des actifs cotés sur des marchés organisés est une stratégie payante: depuis 1995, le rendement annuel moyen des fonds internationaux de capital-transmission sensibles à la croissance économique mondiale lancés un an après que les actions mondiales ont atteint un sommet qui s’élève à 18,6%, selon Cambridge Associates.  

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