La Fed entre inflation et risque bancaire

Axel Botte, Ostrum AM

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Powell ouvre la voie à une possible hausse de 50 pb en mars avant que la panique autour de SVB n’enclenche une fuite vers le T-note.

©Keystone

La nervosité des marchés est montée d’un cran. L’espoir d’une désinflation rapide semble invalidé par les révisions apportées au déflateur de la consommation obligeant Jerome Powell à durcir le ton lors de son intervention devant le Congrès. L’hypothèse d’une hausse de 50 pb en mars refait surface. Parallèlement, les déboires de Silicon Valley Bank en proie à une fuite massive des dépôts provoquent un fort mouvement d’aversion pour le risque. Compte tenu de la base de clientèle de SVB (start-up), cette nouvelle fait écho aux annonces de licenciements dans le secteur technologique et, plus généralement, à l’assèchement du financement au travers des SPAC (Special Purpose Acquisition Companies) depuis plusieurs mois.

Les craintes de contagion bancaire déclenchent un repli réflexe vers les valeurs refuges (T-note, Bund, etc.) effaçant totalement le resserrement monétaire supplémentaire induit par le discours de Jerome Powell. La versatilité des marchés n’est plus à démontrer. Le Bund réagit même davantage que le T-note, élargissant fortement les swap spreads en zone euro. L’aversion pour le risque se traduit naturellement par un écartement des spreads sur le high yield, et, à un degré moindre, sur la dette investment grade souveraine ou privée. Les actions corrigent dans le sillage des banques américaines.

En Asie, le rebond des indices lié à la réouverture de la Chine s’essouffle. Le dollar plafonne, en raison de l’ajustement à la baisse des taux américains. Le marché semble tabler sur une meilleure prise en compte des risques financiers par les Banques centrales. Rien n’est moins sûr tant que l’inflation reste très supérieure à l’objectif. La BoJ (Bank of Japan) procrastine comme prévu, laissant à son prochain gouverneur la primeur de l’annonce d’un resserrement inévitable. La BoC (Bank of Canada) respecte pour l’instant son engagement à maintenir le statu quo monétaire… sachant que la baisse du dollar canadien et la politique de la Fed la mettent dans une situation délicate.

Lors de son intervention devant le Congrès, Jerome Powell a pris le contrepied de sa communication de février soulignant la nécessité d’agir davantage face à la persistance de l’inflation. A l’issue du FOMC du 22 mars, les projections de taux du FOMC seront probablement relevées à 5,25%- 5,50% à l’horizon de décembre 2023. On ne peut exclure un statu quo prolongé sur tout ou partie de 2024. Le marché table aujourd’hui sur un allègement de 150 pb l’an prochain, conforme aux dots. Le marché du travail ne montre aucun signe de retournement. Les créations d’emplois ressortent à 311’000 en février, avec un taux de chômage à 3,6%. Tout dépendra de l’inertie des pressions sur les prix, sauf en cas de récession brutale ou de crise financière.

La BCE est aussi confrontée à l’inertie de l’inflation sous-jacente qui attise les anticipations de taux. Un taux de dépôt à 4% semble faire consensus. Robert Holzmann envisage même 4 hausses de 50 pb. La politique de la BCE restera néanmoins un subtil mélange entre contraction du bilan avec les maturités des TLTRO (550 milliards d’euros en juin) et les remboursements de l’APP (60 milliards d’euros entre mars et juin) et les hausses des taux directeurs. La multiplicité des risques financiers requiert néanmoins une certaine flexibilité dans la conduite du resserrement monétaire. La BoJ n’était pas prête à modifier sa politique, mais rendez-vous est pris pour le premier conseil du nouveau gouverneur Kazuo Ueda le 28 avril prochain.

Les marchés de taux sont ballotés entre l’environnement macroéconomique et la résurgence de risques financiers. L’inflation amène le 2 ans au-delà de 5% avant un brutal retour sous 4,65% dans la panique autour de SVB. Avec la publication de l’IPC de février (mardi) et les réunions des banques centrales (BCE, puis Fed et BoE la semaine suivante), l’attention du marché devrait se recentrer sur le mandat dual de la Fed.

Le positionnement du marché est difficile à lire, compte tenu du manque de données disponibles, mais les sondages auprès des investisseurs décrivent une large majorité de «neutres» laissant entrevoir la mise en place de nouvelles stratégies. Cette prudence explique en partie la faiblesse de la demande de T-note lors de l’adjudication de 10 ans soldée à un rendement limite de 3,98% et le cumul des flux vers le monétaire (192 milliards de dollars en 2023). L’inversion de la courbe des taux s’accentue. Le spread 2-10 ans ressort sous - 110 pb. La surréaction du Bund en baisse de 25 pb témoigne probablement d’un positionnement largement vendeur, compte tenu des dernières déclarations des membres de la BCE.

Les spreads souverains, insensibles aux tensions récentes sur les taux allemands, se sont élargis avec le regain d’aversion pour le risque. Avant cela, l’annonce d’un nouveau DSL (Droit de tirage spécial) avait suscité quelques flux vendeurs de dettes souveraines bien notées. L’OAT (Obligation Assimilable du Trésor) française à 10 ans se rapproche des 50 pb. Le BTP (Buoni del Tesoro Poliennali) italien s’écarte, certes, mais demeure dans le bas de sa fourchette récente. Le début du QT (Quantitative Tightening ou resserrement quantitatif) de la BCE n’a pas bouleversé les équilibres. Le crédit est confronté, à la fois à une légère décollecte dans les ETF Investment Grade en euros, et à un marché primaire plus actif la semaine passée. Le high yield attendait un prétexte pour prendre des profits après un début d’année solide. Les financières subissent la nouvelle SVB. Le marché des actions décroche dans le sillage des banques américaines. Les réallocations d’actifs favorables à l’Europe continuent au détriment des actions américaines, en particulier les grandes capitalisations.

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