Désinflation ou désillusion?

Axel Botte, Ostrum AM

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La Fed espère la désinflation mais l’emploi, voire le pétrole, met en cause le scenario d’une pause sur les taux.

©Keystone

La publication des chiffres de l’emploi américain a laissé des traces. Les taux sont remontés vers 3,70% sur le T-note, Jérôme Powell prenant acte des risques d’inflation salariale persistante. Le président de la Fed soutient cependant que la désinflation est enclenchée. Pour cette raison, la pente de la courbe aux Etats-Unis reprend sa tendance d’inversion; le spread 2-10 ans retrouve le niveau de -80pb. Le Bund à 2,35%, suit le T-note. La réduction des risques à la baisse sur la croissance avec les transferts publics ralentit aussi la désinflation en zone euro. Cela étant, toute fluctuation des taux à la baisse ravive la hausse des actions de croissance.

La corrélation négative entre taux à long terme et cours boursiers favorise les retournements intra-journaliers violents sur les actions. La volatilité réalisée semble très supérieure aux indices de volatilité implicite qui témoignent encore d’une certaine complaisance des intervenants. Les spreads de crédits restent bien orientés, tandis que les swaps spreads en euro bénéficient de mesures techniques de la Banque centrale européenne (prolongation de la rémunération des dépôts des gouvernements) pour atténuer la pénurie de collatéral. La surperformance du high yield se poursuit malgré quelques rachats de protection sur le iTraxx Crossover sous 400pb. Sur le marché des changes, le dollar-yen replonge après la nomination d’Ueda à la tête de la Banque centrale du Japon en remplacement de Kuroda. Le dollar fluctue au gré des anticipations de taux et de l’appétit pour le risque.

Economies européenne et japonaise

Sur le plan conjoncturel, l’économie de la zone euro s’affiche en stagnation au quatrième trimestre. Les transferts publics ont écarté la récession mais retardent désormais la baisse des prix. L’inflation allemande, à 9,2% en janvier, a diminué grâce aux dispositifs successifs plafonnant les prix du gaz en novembre, l’électricité en janvier et le fioul domestique en février, avec, en outre, des effets rétroactifs. La BCE enjoint d’ailleurs les gouvernements à réduire leur soutien avec la baisse des prix des hydrocarbures. Le chiffre allemand entrainera une révision de l’inflation de la zone euro à 8,7% a priori. L’économie britannique affiche également une croissance nulle sur les trois derniers mois de 2022 malgré les grèves qui réduisent l’activité dans les services. L’investissement des entreprises (+4,8%T) est d’une vigueur surprenante. Les dépenses publiques ont compensé le ralentissement de la consommation des ménages (+0,1%T).

Au Japon, la nomination de Kazuo Ueda au poste de gouverneur à partir du mois d’avril est perçue comme favorisant une politique plus restrictive par rapport à l’hypothèse Amamiya, jugé plus proche du gouvernement. La hausse des salaires de 4,8% en décembre (bonus inclus) est inédite dans l’archipel depuis 25 ans. Des ajustements monétaires sont à prévoir à partir d’avril.

Sentiments d’euphorie

Sur les marchés financiers, le courant acheteur favorable aux actifs risqués semble s’affaiblir. La complaisance des intervenants se manifeste par une demande de protection faible sur les actions (d’où la faible asymétrie de la volatilité implicite). Les enquêtes auprès des investisseurs individuels américains montrent une nette amélioration du sentiment au cours des dernières semaines… mais, empiriquement, l’euphorie tend à préfigurer des corrections. Le rebond des valeurs peu détenues par les fonds et les plus vendues à découvert fait écho aux rachats de positions sur les contrats à terme. Les gérants et comptes spéculatifs ont racheté le S&P pour près de 300 milliards de dollars de notionnel depuis le début du quatrième trimestre.

La performance boursière de la technologie américaine indique que le marché réagit favorablement aux annonces de restructuration visant à redresser la profitabilité mais la sensibilité aux taux à long terme freine leur rebond. La baisse des profits agrégés du S&P se situe autour de 2% sur un an. Outre la tech, les secteurs en souffrance sont les matériaux de base et les financières. L’Europe évite la récession mais les marchés ont déjà intégré la reprise, au travers de la surperformance des cycliques et des performances à deux chiffres en 2023. Les flux témoignent d’une vision plus constructive de la communauté internationale vis-à-vis des marchés européens.

Quant au marché de taux, Jérôme Powell prend acte de la vigueur de l’emploi et rejoint ses collègues en évoquant un taux terminal potentiellement plus élevé. Le T-note revient vers 3,70%, les investisseurs accumulant de nouvelles positions vendeuses sur les contrats. Cela étant, la courbe reste très inversée et la concurrence du T-bill (4,75% à 4 mois) semble réduire quelque peu les flux acheteurs de fonds obligataires. L’encours des fonds monétaires en dollars américains reste supérieur à 4800 milliards après 300 milliards de dollars de collecte nette depuis octobre.

Les dernières adjudications du Trésor se sont soldées par une demande faible sur les maturités 3 et 30 ans en particulier. Malgré ces arbitrages, le spread 2-10 ans s’échange autour de -80pb, les positions jouant la pentification de la courbe à terme sont encore coûteuses. La publication de l’Indice de prix à la consommation de janvier risque d’accentuer l’inversion en cas de surprise à la hausse, du fait par exemple du rebond des prix de l’essence et des voitures d’occasion. La décision de la Russie de réduire sa production de pétrole en mars constitue aussi un soutien aux points morts d’inflation. Les anticipations d’inflation sont en hausse de plus de 10pb sur la semaine écoulée. Le rendement du Bund remonte parallèlement sans réel préjudice aux spreads souverains, en légère hausse sur la semaine, ni au crédit. Le high yield poursuit sa surperformance malgré des rachats de protection sur l’iTraxx Crossover qui repasse le seuil de 400pb.

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