La crise ukrainienne a encore frappé les marchés

Axel Botte, Ostrum AM

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Le risque d’escalade pèse sur les marchés actions.

© Keystone
Influence géopolitique sur les marchés

La nervosité des marchés financiers, liée au resserrement monétaire attendu, a cédé la place cette semaine à une autre source de volatilité: la situation de crise en Ukraine. Les joutes verbales entre la Russie et les États-Unis sapent les efforts diplomatiques européens. Une réunion entre le secrétaire d’État américain Anthony Blinken et Sergueï Lavrov est prévue cette semaine. Les combats s’intensifient néanmoins dans l’est de l’Ukraine, les deux parties s’accusant mutuellement d’être responsables de cette escalade.

Sur les marchés financiers, l’or, dormant depuis juin 2021, a retrouvé son statut de valeur refuge pour se négocier brièvement au-delà du seuil des 1’900 dollars. Les prix des autres matières premières sont en hausse, notamment les métaux (palladium, fer) et les produits agricoles (blé, engrais); la Russie et l’Ukraine étant d’importants producteurs. Les autorités chinoises sont à nouveau intervenues pour contrer la spéculation sur le minerai de fer. Le baril de pétrole (Brent à 96 dollars), cependant, est en baisse d’environ 4 dollars en cinq sessions. La prime de risque géopolitique du dollar fléchit légèrement, à mesure que la courbe des taux américains se pentifie. Les actions européennes ont chuté de 2% en cinq sessions, ce qui a entraîné un nouvel élargissement des spreads de crédit. Les préoccupations des investisseurs ont entraîné une augmentation de la volatilité implicite et d’importants achats de protection sur les dérivés de crédit. Les écarts de taux sur la dette souveraine européenne approchent toujours de leur sommet de 2022, mais il n’y a pas eu d’autre accélération à la hausse cette semaine.

Conséquences à court et long terme

En ce qui concerne la situation économique, les données américaines restent solides. L’activité immobilière résidentielle est bonne, mais les mises en chantier restent inférieures aux permis de construire en raison des difficultés de recrutement et d’approvisionnement dans ce secteur. Les ventes au détail ont effacé la faiblesse de décembre en bondissant de 3,8% en janvier. La reprise des ventes de véhicules s’accompagne d’une augmentation généralisée des dépenses en biens de consommation.

L’inflation ne devrait pas baisser à court terme. Les prix à la production, en hausse de 9,7% sur un an, ainsi que les prix à l’importation continueront d’affecter le commerce de détail. L’indice des prix à la consommation (IPC) américain n’a probablement pas encore atteint son sommet. Cette même observation peut être faite au Royaume-Uni où l’inflation (IPC à 5,5%, RPI à 7,8%) et les ventes au détail appellent clairement à un nouveau resserrement monétaire.

Les assureurs, les plus gros acheteurs d’obligations à long terme, ont pu réduire la maturité moyenne de leurs achats sans renoncer à trop de rendement.

Les anticipations de hausse des taux de la BCE reflétées par le rendement du Schatz (obligation à 2 ans) ont quelque peu diminué. Cependant, François Villeroy de Galhau a suggéré que le programme d’achats d’actifs se termine au troisième trimestre, confirmant implicitement la possibilité d’une augmentation des taux avant la fin de l’année. Les allocataires d’actifs réduisent leur risque de duration en ciblant les échéances d’un à trois ans qui contribuent à la pentification de la courbe.

Dans ce contexte, les assureurs, les plus gros acheteurs d’obligations à long terme, ont pu réduire la maturité moyenne de leurs achats sans renoncer à trop de rendement. Les fluctuations actuelles des prix du Bund reflètent principalement l’actualité sur l’Ukraine. Le rendement à 10 ans allemand s’est négocié dans une large fourchette hebdomadaire de 0,20% à 0,33%. Le «swap spread» du Bund (60pb) montre également une demande excédentaire pour l’actif sans risque. C’est ce qui explique la forte demande d’émissions obligataires de la BEI et du MES cette semaine. Les spreads souverains profitent à peine du repli des taux allemands. Les obligations italiennes se négocient à environ 163pb contre Bund, soit 4 pb de moins que les sommets de 2022. L’OAT à 10 ans, malgré la baisse bienvenue du taux de chômage au quatrième trimestre, semble se diriger vers la barre des 50pb contre le Bund. Aux États-Unis, le marché des bons du Trésor se concentre de plus en plus sur la situation internationale. La remontée des rendements obligataires souverains à deux ans anticipe une hausse des taux pour mars 2022, mais les opérateurs de marché prévoient encore six autres hausses cette année. La modeste pentification de la courbe (après un très fort mouvement d’aplatissement la semaine dernière) a un impact disproportionné sur les taux hypothécaires à long terme. Le taux hypothécaire à 30 ans approche les 4%, ce qui, compte tenu de la hausse des prix des maisons au cours des deux dernières années, freinera l’investissement résidentiel. Cette tendance à la hausse des taux hypothécaires à long terme pourrait forcer la Fed à vendre les titres adossés à des créances hypothécaires dans la prochaine phase de son resserrement quantitatif.

Un ralentissement généralisé

Le marché du crédit a souffert de flux de vente nets historiques s’élevant à 7,6 milliards d’euros, cette semaine, sur les fonds Euro IG. Ces sorties de capitaux ont épuisé la liquidité sur les marchés du crédit, ce qui tend à être asymétrique à la baisse. Toutefois, certains investisseurs s’intéressent aux échéances intermédiaires. Les spreads Euro IG se sont dégradés de 30pb en 2022 pour atteindre 125pb par rapport aux Bunds, malgré des achats importants dans le cadre du CSPP en janvier (7 Ms€). La résiliation éventuelle du programme d’achats d’actifs financiers fin septembre entraînerait une baisse des achats nets de la BCE d’environ 15 à 20 milliards d’euros cette année. Le marché primaire s’ajuste (seulement 11 milliards d’euros émis cette semaine), alors que les fenêtres d’opportunité pour placer de nouvelles émissions se réduisent et que les primes de risque des nouvelles émissions augmentent. Le solde des flux est également défavorable sur les marchés. Les ventes nettes de titres à rendement élevé en dollars, par contre, ont quelque peu ralenti. Le marché primaire des titres à rendement élevé européens s’est arrêté. C’est la conséquence de la volatilité des marchés et du niveau plus élevé des spreads. L’achat d’une protection importante sur le XO iTraxx a poussé les spreads vers 340pb.

Sur le marché des actions, le solde des flux reste étonnamment favorable compte tenu des sorties déclarées sur la classe d’actifs crédit. L’escalade du risque en Ukraine a stimulé la demande de couverture d’options plutôt que des sorties sur les fonds actions. Le Nasdaq a sous-performé, tandis que les indices européens ont enregistré une baisse limitée entre 1% et 2%.

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