La course contre la montre des marchés émergents

Christopher Smart, Barings

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Alors que les chiffres officiels font état d'un total de 3,4 millions de décès dus au COVID-19, on serait bien plus proche des 10 millions.

Alors que le «tapering» semble devoir se matérialiser bientôt, de nombreux marchés émergents sont confrontés au défi de la pandémie du Covid19 dans une ampleur extrême.

Il est rare que les préoccupations de la Réserve fédérale américaine croisent celles des rives du Gange, mais l’anxiété des marchés face à la hausse des taux d’intérêt a des conséquences directes sur les rapports tragiques faisant état d’une recrudescence des décès en Inde.

Alors que l’endiguement des pandémies est en vue dans la moitié la plus riche du monde, la course contre la montre se poursuit dans les pays plus pauvres. En fait, deux courses ont lieu en parallèle: une course pour sauver des vies et une autre pour rouvrir les frontières avant la normalisation des taux d’intérêt. Tout porte à croire que les vaccins finiront par contenir les récents pics de cas de COVID-19 du Brésil à la Turquie, mais les retards accumulés par ces régions s’accompagneront d’un coût humain déchirant et d’une reprise économique beaucoup plus lente.

Pour les investisseurs, le signal tant attendu et visible dans la communication de la réunion du Comité fédéral d’avril a marqué le démarrage officiel du compte à rebours vers un retour à la normale postpandémique. Depuis le début de l’année, les bourses du Mexique, de la Russie et de l’Afrique du Sud ont dégagé des rendements intéressants grâce à la reprise de l’économie mondiale et la classe d’actifs «marchés émergents» semble attrayante tant que les prévisions d’inflation mondiale restent maîtrisées.

Dans les pays développés, le sous-dénombrement pourrait concerner 15 à 20% des décès réels dus au COVID.

Aujourd’hui, cependant, la banque centrale américaine est officiellement en train de «penser à penser» à la normalisation de sa politique monétaire. Cette normalisation sera progressive et bien annoncée, mais elle signifie que les jours d’abondance de liquidités sont comptés et que les pays en développement doivent se préparer à des taux mondiaux plus élevés.

La fluidité des liquidités financières et la reprise du commerce mondial au cours de l’année écoulée ont plus que compensé les restrictions de voyage imposées à un certain nombre de pays en développement, dont beaucoup ont semblé éviter des vagues importantes de coronavirus au début de la pandémie. Là où il est apparu, certains gouvernements n’ont pas voulu ou n’ont pas pu assumer le coût des restrictions économiques.

Mais le retour des rendements des bons du Trésor à 10 ans au-dessus de 2,5% signifie un renforcement du dollar, des dettes étrangères plus chères et un ralentissement des flux de capitaux vers les marchés plus risqués. Ces défis deviennent insurmontables si les banquiers centraux et les ministres des finances doivent relever les taux et réduire les dépenses alors que les crises sanitaires intérieures se poursuivent.

Certains marchés ont déjà été contraints de relever les taux d’intérêt aux premiers stades de la reprise mondiale. Des pays comme le Mexique et le Brésil semblent actuellement disposer des ressources et de la stratégie nécessaires pour naviguer dans une normalisation mondiale, tandis que la Colombie, l’Indonésie et la Turquie pourraient être confrontées à des défis plus importants.

En fait, le monde en développement est confronté à un défi encore plus difficile à relever qu’on aurait pu le croire, si l’on en croit les nouvelles estimations de la COVID-19 publiées par The Economist. Alors que les chiffres officiels font état d’un total de 3,4 millions de décès dus au COVID-19 jusqu’à présent, on serait bien plus proche des 10 millions selon les calculs du média.

Estimation de la surmortalité mondiale attribuable au covid-19

Sources: Johns Hopkins University CSSE; The Economist excess-deaths model

De nombreux décès liés au COVID ne sont pas comptabilisés en raison de la médiocrité des tests et des comorbidités, mais l’analyse de la surmortalité amène à la conclusion troublante que «la pandémie est de plus en plus concentrée sur les économies en développement et continue de croître», selon The Economist.

Dans les pays développés, le sous-dénombrement pourrait concerner 15 à 20% des décès réels dus au COVID. En Afrique subsaharienne, le total réel pourrait être 14 fois supérieur au chiffre officiel. Plus précisément, The Economist conclut qu’il y a une probabilité de 95% que les décès dus au COVID dans le monde se situent entre 7 et 13 millions. À titre de comparaison, ce chiffre est supérieur aux estimations de l’Organisation mondiale de la santé concernant les décès dus aux maladies cardiaques ou aux accidents vasculaires cérébraux.

Le bon côté de ces estimations est qu’elles restent relativement faibles en pourcentage de la population, très probablement parce que les populations des pays concernés sont généralement plus jeunes et mieux à même de résister à la maladie.

La production de vaccins pourrait atteindre 11 milliards d’unités d’ici la fin de l’année, ce qui permettrait d’administrer deux vaccins à 70% de la population mondiale.

Mais les épidémiologistes savent déjà que la persistance du virus peut produire des variants contagieux, et les économistes savent que les flux d’argent et de marchandises ne peuvent pas faire grand-chose pour soutenir l’activité économique si les gens – touristes, étudiants, travailleurs invités, investisseurs, ingénieurs et représentants commerciaux – ne peuvent pas aussi jouer leurs rôles.

L’absence de tourisme a déjà été dévastatrice pour des pays comme la Thaïlande ou la République dominicaine. Mais même un pays comme l’Inde, qui dépend moins du commerce extérieur que ses pairs, souffrira si les restrictions sur les voyages internationaux ne sont pas levées. Les investisseurs étrangers peuvent acheter des actions et des obligations depuis leurs bureaux éloignés, mais ils ne construiront pas d’usine sur Zoom.

Selon certaines estimations, la production de vaccins pourrait atteindre 11 milliards d’unités d’ici la fin de l’année, ce qui permettrait d’administrer deux vaccins à 70% de la population mondiale et de se rapprocher de l’immunité collective. De nombreux obstacles se dressent devant cet objectif, et les pays riches devront inévitablement apporter leur aide aussi bien pour des raisons humanitaires, que dans leur propre intérêt. La renonciation aux brevets peut ou non contribuer à accélérer le processus, compte tenu de la complexité de la production de vaccins, mais le partage des stocks existants, qui dépassent de loin les besoins des riches, peut accélérer l’arrivée des vaccins dans les bras des pauvres.

Dans l’immédiat, il incombe aux ministres de la santé des marchés émergents de contenir le virus afin que les frontières puissent être rouvertes avant que leurs collègues des finances ne doivent vraiment réagir au resserrement mondial qui s’annonce.

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