Le moral craque

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Les marchés n’ont pas attendu que la BCE délivre les hausses de taux pour s’ajuster.

Le climat des affaires en zone euro a significativement faibli en juin. Dans le secteur manufacturier, les contraintes sur la production n’ont cessé d’augmenter, et ce, sans espoir d’apaisement compte tenu de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique. Pour ce qui est des services, l’effet de réouverture post-Omicron s’épuise. Pour ne rien arranger, la BCE lance un sévère resserrement des conditions financières.

Au-dessous de la normale

Depuis le début de la guerre en Ukraine, il y a quatre mois, la lecture des enquêtes de confiance des entreprises européennes était mitigée. Il y avait des signes de faiblesse, mais ils n’étaient ni assez diffus entre les secteurs, ni assez forts pour un retournement significatif. De plus, le conflit russo-ukrainien est survenu alors que le moral était bien supérieur à la normale, cela laissait une sécurité avant d’atteindre des niveaux critiques. Désormais, il n’y a plus aucune ambiguïté dans les signaux envoyés par les entreprises de la zone euro en juin: ils sont tous négatifs.

Selon les estimations flash des enquêtes PMI réalisées du 13 au 21 juin, le fléchissement s’est nettement accentué, tous pays et secteurs confondus. Dans le secteur manufacturier, le moral des directeurs d’achat recule pour le cinquième mois d’affilé. Dans le secteur des services, jusqu’alors aidé par le rattrapage consécutif au reflux de la vague Omicron, c’est la deuxième baisse de suite. En zone euro, les indices du climat des affaires restent au-dessus du «seuil critique» d’entrée en récession mais repassent tous sous leur niveau pré-COVID. Cela laisse présager un freinage de l’activité au second semestre 2022.

Par ailleurs, au vu de l’état des relations Union européenne-Russie, les perturbations logistiques et les tensions inflationnistes attisées par la guerre en Ukraine ne sont pas sur le point de s’apaiser. Sanctions d’un côté, réduction des livraisons de gaz de l’autre, tout fait craindre des pénuries. Il est tout à fait possible que les gouvernements européens aient à rationner la distribution d’énergie dans les prochains mois. Nul doute que cela provoquerait une contraction de l’activité. Les pays ayant un grand secteur industriel sont les plus exposés. L’Allemagne en particulier, est en première ligne.

Changement de perspectives

Le rationnement de l’énergie est la principale menace pour l’activité en Europe. Dans un cycle économique plus ordinaire, les problématiques porteraient sur l’éventuel rationnement de l’emploi ou du crédit. En ces domaines, les dernières nouvelles ne sont pas aussi alarmistes.

A ce jour, il n’y a pas d’indications que les conditions du marché du travail se soient nettement affaiblies. En France, par exemple, les données d’embauches dans le secteur privé connues jusqu’en mai et l’indice du climat de l’emploi jusqu’en juin pointent toujours dans le sens d’une progression de l’emploi supérieure à la normale. Un freinage des créations d’emploi est vraisemblable au second semestre 2022 mais rien ne laisse présager une chute soudaine.

Concernant le crédit, les banques ont resserré leurs standards de prêt. De plus, la vive remontée des taux d’intérêt est amenée à se répercuter sur les taux d’emprunt et la demande, notamment sur le segment hypothécaire.

La guerre en Ukraine a totalement changé les perspectives économiques de l’Europe. Depuis février, les prévisions de croissance ont été substantiellement abaissées, davantage en Allemagne qu’en France. Compte tenu de la croissance après le fort rebond de 2021, les moyennes annuelles ne doivent pas faire illusion. Les prévisions se situent désormais juste un peu au-dessus du seuil d’entrée en récession, dans une zone où le PIB réel progresserait de 0,1% à 0,2% par trimestre.

Outre la guerre, la fragilité de l’économie européenne a été accentuée par la BCE. Depuis février, elle tient un discours de plus en plus agressif au point que, sur cette période, le resserrement des conditions financières a été plus fort en zone euro qu’aux Etats-Unis. Ni l’état de la demande, ni la dynamique des salaires, ni les causes profondes du choc d’inflation ne peuvent justifier un tel écart. En somme, les marchés n’ont pas attendu que la BCE délivre les hausses de taux pour s’ajuster, et la BCE n’a rien fait pour infléchir les anticipations de taux des marchés. Il a fallu la surréaction des spreads souverains la semaine passée pour que la BCE consente à réagir en promettant d’élaborer un outil anti-fragmentation. La prochaine réunion de la BCE est fixée au 21 juillet. Il est trop tard maintenant pour stopper le train des hausses de taux de la BCE, mais peut-être pas pour en freiner la vitesse.

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