2023 ou la récession déguisée

Julien Serbit, Prime Partners

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Le premier semestre 2024 devrait voir se concrétiser les anticipations positives faites par les opérateurs en 2023 concernant l’inflation et l’attitude de la Fed.

Alors que nous approchons du terme de l’année il n’y aurait guère qu’un évènement exogène et hautement inattendu des investisseurs pour ne pas pouvoir qualifier 2023 de bon, voire de très bon cru boursier. Certes tout n’a pas été parfait et nombre d’entre eux trouveront de multiples (bonnes) raisons pour ne pas donner beaucoup de crédit à la hausse des marchés des douze derniers mois. Cependant, les chiffres étant les chiffres, être investi en actions était ce qu’il fallait faire cette année.

On trouve souvent plus de logique aux marchés financiers après coup et les évolutions que nous venons de connaitre ne font pas exception. En effet, pourquoi les investisseurs auraient il dû prendre peur cette année alors que l’économie américaine démontrait une résilience exceptionnelle et que la technologie accélérait avec l’avènement de l’intelligence artificielle? De plus, une vaste majorité des opérateurs n’a cessé d’anticiper un pivot de la Fed concernant sa politique de taux, ce dernier devenant de plus en plus proche et inéluctable au fil des mois et nourrissant la croyance qu’une baisse des taux rime avec hausse des actions. Enfin, le grand écart entre une politique monétaire restrictive et une politique budgétaire expansionniste a largement compensé l’impact de la diffusion progressive des hausses de taux à l’économie américaine.

Il parait peu vraisemblable que le sujet des taux d’intérêts reste au centre des préoccupations des opérateurs dans les prochains mois.

A posteriori, on peut dire qu’envers et contre tout, le train de l’économie n’a pas déraillé au pays de l’Oncle Sam et qu’il n’y a donc rien de surprenant à obtenir les résultats boursiers de cette année.

Il serait cependant imprudent de mettre le cap sur l’année prochaine sans avoir bien compris ce qui s’est mis en place cette année dans la complexe relation entre le niveau des bourses et l’activité économique. Tout d’abord, il parait peu vraisemblable que le sujet des taux d’intérêts reste au centre des préoccupations des opérateurs dans les prochains mois. Il n’y a plus vraiment de surprise à attendre de ce côté-là et quand bien même les baisses de taux seraient moins nombreuses que certains ne l’espèrent, il est dur d’imaginer qu’aucune n’interviendra en 2024, tant du côté de la Fed que de la BCE.

Il en va de même pour l’inflation qui, même si elle venait à stagner plus longtemps qu’attendu aux niveaux actuels, devrait continuer sa normalisation en direction de seuils plus appréciés des banquiers centraux.

C’est finalement l’emploi vers lequel les regards devraient se tourner et principalement l’emploi américain qui détermine mécaniquement l’appétit du consommateur outre Atlantique. Jusqu’ici, il est facile de trouver un job aux Etats Unis d’après les statistiques et donc de maintenir, voire d’accentuer avec la désinflation, son pouvoir d’achat et ce, sans trop craindre des lendemains difficiles.

Cette situation n’est de loin pas un acquis et après le défi de l’inflation, la Fed va certainement devoir s’atteler à cet autre pan de son mandat si elle entend poursuivre sa mission de la normalisation post Covid de l’économie américaine.

A y regarder de plus près, la crainte d’un léger effet en trompe l’œil du marché de l’emploi américain est réaliste. Outre le fait qu’un nombre désormais élevé de personnes cumule plusieurs emplois pour joindre les deux bouts, il parait assez probable que la qualité moyenne d’une frange des emplois ouverts soit plus faible qu’auparavant. La technologie a certes permis de créer de nombreux nouveaux postes, principalement dans les services, mais ces derniers n’offrent que peu de perspectives d’évolution et s’adressent aux couches de la population les moins diplômées. A ce titre, on est en droit de se demander si des géants de la tech comme Amazon ou Uber rendent vraiment service aux statistiques du chômage américain ou sont au contraire en train de créer un peu plus de dichotomie sur le marché de l’emploi.

Les cours de bourse de 2023 ont intégré de nombreuses évolutions positives à venir, tant en termes de taux que d’inflation.

Dans un autre registre, l’effet des «Bidenomics» sur l’emploi va mécaniquement s’estomper au fil des trimestres l’année prochaine et pourrait être perturbé dans le cas où la course à la Maison Blanche n’était pas remportée par l’actuel président des Etats Unis.

Enfin, et comme souvent avec la technologie, le revers de la médaille d’un déploiement de l’intelligence artificielle à grande échelle au sein de l’économie pourrait prendre la forme d’une hausse importante de la productivité non concomitante avec une augmentation de l’activité.

Dans un tel scénario, c’est bien l’emploi qui risquerait de servir de variable d’ajustement jusqu’à obtenir à nouveau plus de synchronisation entre la capacité à délivrer rapidement un service (avec moins de ressources !) et le volume de sa demande par les consommateurs.

Les cours de bourse de 2023 ont donc intégré de nombreuses évolutions positives à venir, tant en termes de taux que d’inflation. Ces dernières devraient se matérialiser durant le premier semestre de l’année prochaine. Les opérateurs reflèteront quant à eux à nouveau avec anticipation leurs espoirs et leurs craintes dans les cours de bourse.

Nul doute qu’une évaluation plus pessimiste du marché de l’emploi américain sur la deuxième partie de 2024 viendrait impacter les grands indices actions dès les premiers mois de l’année. Le «pivot» de la Fed ne désignera alors peut-être plus vraiment son changement de ton quant aux taux d’intérêt mais plutôt l’émergence d’un nouveau focus de son discours sur le maintien d’une situation favorable à l’emploi, qui plus est dans une année électorale où ce paramètre est crucial en termes de vote.

Jerome Powell et son équipe ont réussi leur mission de réduire l’inflation sans trop heurter l’économie et le «policy mix», mené conjointement (mais en toute indépendance nous dit-on) par la Maison blanche et la Fed ces deux dernières années, est admirable. Il s’agit désormais de pérenniser cette brillante manœuvre à travers un marché de l’emploi durablement robuste, clé de voute de la consommation américaine sur laquelle reposent deux bons tiers du PIB de la première puissance économique mondial.

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