L’inflation ou le prix de la perte de crédibilité

Axel Botte, Ostrum AM

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En apparence, la schizophrénie de la Fed face à l’inflation protège les marchés.

©Keystone

L’inflation est au plus haut depuis 1990 aux Etats-Unis. Les prix à la consommation sont en hausse de 6,2% sur un an. Les hausses de prix se généralisent. La situation économique est celle d’une économie contrainte à la fois par l’offre domestique et les capacités d’importations. C’est un phénomène relativement nouveau. L’inflation aux Etats-Unis est longtemps restée sous cloche grâce aux dividendes de la mondialisation. Le recours aux importations bon marché a régulièrement compensé les tensions internes sur les prix. 

L’ensemble de la chaîne logistique mondiale est aujourd’hui grippé. Les prix à la production en Chine augmentent de 13% sur douze mois, malgré l’atonie de la demande locale. Pis, les prix des services commencent à réagir au report de la demande américaine de biens durables vers les services. L’emploi témoigne de la surchauffe de l’économie, avec plus de 10 millions de postes à pourvoir et des difficultés croissantes à retenir le personnel pour de nombreuses entreprises. Les départs volontaires sont à un niveau sans précédent. 

L’inflation est aussi de retour dans le secteur clé de l’immobilier où les loyers se redressent rapidement.

Pointer l’écart au niveau de l’emploi pré-crise n’a aucun sens dans une situation d’excès de demande d’emplois et de hausse des salaires. L’inflation est aussi de retour dans le secteur clé de l’immobilier où les loyers se redressent rapidement. La crise politique et énergétique qui se noue aux portes de l’Europe amplifie cette crise de l’offre. L’Opep a le loisir de rester sourde aux demandes américaines de relever sa production sachant que la production américaine est limitée par ses engagements climatiques. 

L’inflation aura aussi un coût politique pour l’administration au pouvoir depuis janvier. Joe Biden entrevoit déjà la défaite lors des élections de mi-mandat. La perte d’un siège au Sénat suffirait à paralyser l’action fédérale pendant les deux années restantes du mandat présidentiel. En filigrane, le risque politique revient. Au Belarus, la pression migratoire vers l’UE met la Pologne face à ses contradictions. Le gaz russe, dont 20% transitent via le Belarus vers l’Allemagne, est une arme redoutable en ce début d’hiver. La zone euro connaîtra l’incertitude des scrutins italien et portugais. En Chine, Xi Jinping s’installe pour longtemps au pouvoir, maintenant la pression sur Taiwan et Hong-Kong. 

L’équilibre des marchés financiers reste indissociable de l’inertie de la politique monétaire américaine. Certes, la hausse de l’inflation crée de la volatilité sur les contrats de taux courts, mais l’enveloppe des relèvements de taux envisagée reste sans commune mesure avec le niveau de risque inflationniste. Le marché reste persuadé qu’un resserrement mesuré jusqu’à 1,5% au maximum suffira à ramener l’inflation vers 2%. La Fed prédit pourtant un taux court de 2,5% à long terme, compatible avec un taux réel positif (+0,5%) à l’équilibre. 

La fuite en avant face à l’inflation requiert aussi l’achat de protection.

La projection d’un cycle monétaire court justifie l’aplatissement de la courbe au-delà de 5 ans et la relative stabilité de la volatilité des taux à terme (10 ans dans 10 ans) par rapport aux échéances plus proches. La fuite en avant face à l’inflation requiert aussi l’achat de protection. Les flux vers les emprunts indexés s’accélèrent nettement. La hausse des points morts explique d’ailleurs la totalité du mouvement de taux sur la semaine (+12 pb sur le T-note). Les points morts d’inflation rejoignent leur plus haut depuis 2006, au-delà de 2,70% à l’horizon de 10 ans. Le swap d’inflation américaine flirte avec les 3%. 

Parallèlement, le rendement réel à 30 ans tombe à son point bas historique sous -0,50%. En zone euro, le Bund profite de la réduction des positionnements risqués dans la perspective du prochain conseil de la BCE. L’emprunt allemand est stable cette semaine autour de -0,25%. Les spreads souverains se tendent néanmoins, notamment le BTP qui s’échange au-delà de 120 pb à 10 ans. L’inflation supérieure à 4% ne fait pas encore vaciller Christine Lagarde, qui plaide toujours pour une politique accommodante. Le diable sera dans les détails. Les termes des prochains TLTRO s’avèreront moins favorables ; le taux bonifié pourrait être retiré. Ce ne serait pas sans incidence sur les anticipations de taux courts, même si un mouvement sur le taux de dépôt est exclu. La taille du QE reste l’élément clé pour les marchés financiers. La proportion de dettes supranationales (vertes, sociales…), de crédit et les conditions d’inclusion de la Grèce seront déterminantes. 

Le marché du crédit continue son mouvement d’écartement, dans le sillage de la nette remontée des swap spreads à 47 pb (Bund ASW à 10 ans). Le spread moyen sur l’investment grade en euros s’écarte d’1 pb (89 pb contre Bund). Les financières, les agences et les covered bonds sous-performent l’actif sans risque de 1 pb à 3 pb. Le rare mouvement des spreads sur les covered traduit peut-être le risque de TLTRO moins généreux à l’avenir (ainsi que le lien fort avec les taux swaps). Le high yield en revanche se resserre de 9 pb. Le marché américain est aussi bien orienté. Par ailleurs, les spreads émergents résistent au rebond des taux américains. La baisse des taux réels l’emporte, de sorte que l’EMBI revient sous le seuil de 360 pb, grâce à l’amélioration des flux finaux. 

La semaine sur les actions est étale, avec de modestes prises de profit aux Etats-Unis (-0,8% sur cinq séances). Le secteur des matières premières affiche la seule hausse notable sur la semaine. L’introduction en bourse de Rivian valorise la start-up de véhicules électriques à la bagatelle de… 112 milliards de dollars. Tout est possible. Le CAC 40 marque aussi un nouveau record au-delà des 7’000 points. 

Par ailleurs, le dollar reste un pôle de stabilité (indice DXY >95), comme le yuan s’échange au plus haut depuis 2016 contre le panier de devises de référence.

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