L’avancée des banques françaises dans la crypto

Alexandre Stachtchenko & Flavio Restelli, Blockchain Partner by KPMG

2 minutes de lecture

Chronique blockchain. Malgré le marché baissier, les établissements bancaires multiplient les initiatives dans le Web3.

Dans le milieu crypto, on entend souvent dire que les périodes de marché baissier (ou «bear market» en anglais) sont les meilleures pour construire des nouveaux projets1. Le contexte de fragilité favorise l’essor des idées à véritable valeur ajoutée, et filtre les projets bancals.

Les faits semblent corroborer cette maxime, puisque chaque semaine de nouvelles technologies émergent2. Malgré la baisse des cours, le dynamisme de l’écosystème est réel.

Ce phénomène ne concerne pas que les startup pure players. Après des années d’hésitation où seuls les leaders américains et asiatiques3 de la finance osaient s’aventurer dans le territoire encore peu exploré des cryptos, les banques européennes ont récemment renoncé aux atermoiements et lancé également leurs offensives.

En particulier, l’été 2022 a été marquée par les annonces de partenariat entre les banques françaises et les spécialistes suisses des solutions de conservation de cryptoactifs. Société Générale (via sa filiale Forge) ainsi que BNP Paribas ont choisi le fournisseur de technologie Metaco, alors que Crédit Agricole (via CACEIS) s’est associé avec Taurus.

Les trois annonces concernent notamment les security tokens, à savoir les actifs numériques qui représentent sur blockchain des titres financiers traditionnels. Cependant, les établissements sont conscients que les besoins de leurs clients s’étendent bien au-delà de cette verticale et commencent à se positionner également sur d’autres métiers. En France, depuis fin septembre, Société Générale Security Services propose de nouvelles prestations aux sociétés de gestion souhaitant inaugurer des gammes de fonds cryptos. A l’aune d’une demande croissante des entreprises, il est probable que les initiatives des banques se multiplieront dans les prochains mois.

Le Web3 fait sa mue sous les coups d’un trio puissant: recentralisation-réintermédiation-régulation.

Ces annonces, au-delà de l’aspect conjoncturel, ont une signification profonde et permettent d’exprimer au moins trois considérations importantes.

D’abord, après les particuliers, les cryptos sont en train de devenir mainstream pour les corporate. Le Bitcoin n’est plus vu comme un ovni obscur mais comme une commodity parmi tant d’autres, bien qu’avec des caractéristiques particulières. De plus, les entreprises – même en dehors du secteur financier – cherchent des solutions pour sécuriser et gérer leurs cryptoactifs. Et les banques, logiquement, réagissent.

Par ailleurs, le combat «blockchain publique vs blockchain privée» peut être considéré définitivement clos. Les institutions financières, qui ont été des fervents partisans des technologies permissionnées et centralisées, changent finalement de camp et concoctent des nouvelles offres sur blockchain publique. Est-ce que cela implique une ouverture tous publics ou une absence générale de contrôles? Non, bien sûr. Dans le respect des obligations LCB-FT, des vérifications de connaissance client (KYC, Know your Customer) peuvent être imposés pour accéder aux services proposés, et des analyses des flux on-chain peuvent être effectuées grâce aux logiciels développés par des acteurs spécialisés (ex. Chainalysis). Néanmoins, l’infrastructure sous-jacente, à savoir la blockchain, demeure publique.

Deux autres actualités estivales montrent clairement ce basculement, si l’on prend comme cas d’étude le domaine de l’assurance. D’un côté, le consortium B3i, rassemblant plusieurs leaders mondiaux de l’assurance (Allianz, Axa, MunichRe, etc.) et utilisant une «blockchain» privée pour le partage d’informations entre membres, a annoncé le dépôt de son bilan. En parallèle, à distance de quelques jours et en partenariat avec Quantstamp, société spécialiste de l’audit Web3, MunichRe (en tant que réassureur) et Sompo (financeur du projet) ont lancé une offre de couverture assurantielle contre les cyberattaques à l’encontre des smart contracts qui régissent le fonctionnement de la Finance Décentralisée – sur blockchain publique, bien entendu.

Enfin, l’univers crypto n’est plus du tout le far west des années 2010. Le Web3 fait sa mue sous les coups d’un trio puissant: recentralisation-réintermédiation-régulation. Certaines des briques fondamentales de l’écosystème sont aujourd’hui fournies par des acteurs centralisés: la seule plateforme Binance permet l’échange quotidien de 16 milliards de dollars4. Les  entreprises cherchent la facilité et choisissent de s’appuyer sur des tiers de confiance (réintermédiation). Quant aux régulateurs, ils travaillent à l’encadrement du marché, incarné en Europe par le projet de règlement Markets In Crypto-Assets (MiCA), approuvé le 11 octobre 2022 par le Parlement Européen.

C’est ainsi que les banques européennes font leur entrée dans l’arène des cryptos, pourtant en plein bear market. Est-ce là, comme le pensent certains enthousiastes cryptos, une trahison de la promesse originelle de Bitcoin, censé représenter une alternative au système financier traditionnel? Ou bien un compromis nécessaire pour favoriser une plus grande adoption, et pour que passer par un intermédiaire bancaire relève uniquement du choix de chacun, et jamais de l’obligation?

 

3 Exemples: en 2018, le japonais Nomura et l’américain Fidelity lancent des services de custody de cryptos

A lire aussi...