Identifier le point culminant des taux d’intérêt, c’est une loterie

Chris Iggo, AXA Investment Managers

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Le marché obligataire pense que l'inflation finira par baisser, mais le constat est clair: à court terme, les taux continueront de grimper.

  • Les banques centrales sont à mille lieues de pouvoir annoncer la victoire sur l’inflation.
  • La meilleure solution est de limiter le risque et, comme étape intermédiaire, de profiter d’un rendement plus élevé sur le marché du court terme.
  • L’appréciation des actifs à risque – ou du moins une reprise ayant une base réelle – c’est pour demain.
Net resserrement général de la politique monétaire

Ces derniers jours, la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque nationale suisse et la Banque centrale norvégienne ont relevé leurs taux directeurs de 75 points de base (pb). La Banque d'Angleterre a opté pour 50 pb, mais trois membres de son comité de politique monétaire étaient en faveur d’une augmentation de 75 pb. La Banque centrale européenne (BCE) a récemment relevé son taux directeur de 75 pb et pourrait sans doute le faire à nouveau le 27 octobre, compte tenu de la rhétorique agressive que l’on observe actuellement dans l'Eurosystème. Cette année, la politique monétaire a été resserrée partout dans le monde. Pour se faire une idée: le rendement de l'indice «Bank of America/ICE 1 - 3 Year Global Aggregate Bond» a augmenté de plus de 300 pb. Et ce n’est pas fini, car on ne perçoit encore aucun signe de recul de l’inflation.

Solution intermédiaire: des rendements obtenus dans le segment court de la courbe

Les prix des obligations d'État et autres obligations de qualité investment grade se situent dans la fourchette basse des 90 %. Mais l'environnement macroéconomique laisse présager des taux d'intérêt encore plus élevés, c'est pourquoi le moral reste bas. Il faut donc faire preuve de patience. Cela est d’autant plus vrai pour les placements à risque plus prononcé tels que les obligations à haut rendement et les actions. Les taux d'intérêt sur les dépôts bancaires n'augmentent que lentement, mais les obligations à court terme ou les bons du Trésor sont un bon moyen de placer de l'argent en attendant que le climat s’améliore et que vienne le moment opportun d'acheter des obligations d'entreprise et des actions à bas prix. Les obligations d'État américaines à deux ans rapportent plus de 4 %. Les rendements sur le marché monétaire de l'euro augmentent progressivement, car la BCE a ramené ses taux directeurs en zone positive.

D’autres relèvements des taux sont prévisibles

Sur le plan pratique, l'argument des banques centrales, selon lequel elles ne peuvent pas maîtriser l'inflation due aux chocs énergétiques et au Covid-19, a perdu sa pertinence. Elles veulent que la demande baisse afin de pouvoir rétablir un certain équilibre avec une offre restreinte. En effet, si la main-d’œuvre n’est pas disponible en nombre suffisant pour pourvoir les postes vacants, les banques centrales cherchent à faire en sorte que la demande de main-d’œuvre s’effondre. L’économie des États-Unis reste forte et il faut du temps, de même que de nouveaux relèvements de taux, pour parvenir à déclencher un processus de dynamique négative. Les dépenses des consommateurs et des entreprises doivent ralentir, mais les bilans sont encore solides. Au bout du compte, la demande de main-d'œuvre ralentira, car les entreprises réagissent au ralentissement de la croissance du chiffre d’affaires et des bénéfices. C’est là que se mettra en route un cercle vicieux entre chômage en hausse et dépenses en baisse. Mais nous pourrions être à plusieurs mois, voire plusieurs trimestres de ce moment-là. Entre-temps, la Fed pourrait avoir porté ses taux d’intérêt à jusqu'à cinq pour cent.

Les États-Unis ont un net avantage sur l’Europe

Les contrastes entre les États-Unis et l’Europe sont considérables. Actuellement, les États-Unis se trouvent sans doute en meilleure posture que l’Europe en termes de croissance. La BCE est à la traîne de la Fed et sa politique semble être guidée par la nécessité de faire baisser les anticipations d'inflation, même si cela devait engendrer des risques prononcés de ralentissement de l'économie. Sur le plan de l’énergie, la situation est également différente. Les États-Unis sont autosuffisants, tandis que l'Europe peine à s'accommoder de l'absence de gaz russe. De plus, il est prévu de réduire à zéro les importations de pétrole russe au début de l'année prochaine, ce qui pourrait encore aggraver la pénurie d'énergie. Pour la croissance européenne, ce sont de mauvais présages. Cela signifie que le secteur des entreprises est plus faible qu'aux États-Unis, où les bilans et les niveaux d'endettement restent confortables.

Or, sans la politique agressive de la Fed, les crédits américains auraient actuellement fière allure. Il n’existe pas de problèmes de crédit, du moins pas pour les grandes entreprises. Dans l'ensemble, leur financement ne dépend pas de prêts bancaires ou de prêts à taux variables. Les marges bénéficiaires des entreprises ne se sont pas détériorées de façon significative. La saison de publication des résultats du troisième trimestre révélera si la baisse des cours des actions et des multiples de valorisation a été suffisante pour le moment. Nous pensons que le marché boursier américain se redressera fortement dès que nous aurons de meilleurs chiffres pour l'indice de base des prix à la consommation.

Savoir se montrer patient

Une feuille de route pour l'avenir pourrait consister à reconnaître que l’on trouve de la valeur dans de nombreuses parties des marchés. Dans certains secteurs obligataires, les rendements atteignent leur niveau le plus haut depuis plusieurs années. Les obligations à haut rendement avec des échéances de trois à cinq ans et des rendements réalisables de sept à huit pour cent sont attrayantes, du moins en supposant que l'inflation reculera par rapport à son niveau actuel. Sur la durée totale de l'investissement, les rendements devraient être supérieurs à l'inflation. Mais à plus brève échéance, la Fed est encore dans le jeu, et elle frappe fort. Il pourrait donc être intéressant d'attendre et de se satisfaire de rendements un peu plus faibles, avec un risque moindre, ou de continuer à détenir des obligations indexées sur l'inflation à court terme pour profiter d'une inflation qui s’avère plus élevée que ce que nous envisagions il y a encore quelques mois. Une autre conclusion possible: nous devrions continuer à miser sur le dollar américain. En effet, l’indice du dollar est à son niveau le plus haut depuis 20 ans.

Les considérations géopolitiques ne sont pas forcément négatives

Mis à part le leitmotiv dominant, qui est d'attendre que les banques centrales annoncent la victoire sur l'inflation, il y a plusieurs autres sujets à surveiller. Compte tenu des récentes déclarations du président russe et des signes de plus en plus évidents de mécontentement au sein de la population, le vent pourrait tourner dans le conflit entre l'Ukraine et la Russie. Ceux qui se lancent dans l’aventurisme à l’étranger peuvent être remis à leur place par une opposition nationale. Il se peut qu’un changement s’amorce également en Iran. La dynamique du marché du pétrole changerait si l'Iran était davantage aligné sous une autre constellation politique que celle qui prévaut actuellement. Il n’est donc pas dit que les événements géopolitiques doivent automatiquement nous conduire à adopter une attitude «risk-off».

Banques centrales: entrer à la hausse, vendre à la baisse

Par ailleurs, cette semaine, les marchés tentent de comprendre les effets du resserrement quantitatif (QT). La Fed a déjà permis que les obligations d'État qu'elle détient dans son bilan arrivent à échéance sans qu’elle ne réinvestisse le produit de leur vente. C'est ce qu'on désigne par QT passif, qui entraîne une réduction progressive du total du bilan. Quant à la Banque d'Angleterre, elle a annoncé qu'elle allait commencer à vendre activement les obligations qu'elle détenait. Cela réintroduit de la duration sur le marché obligataire et pourrait inciter certains participants à rééquilibrer leurs portefeuilles en conséquence, voire à les réévaluer. La BCE n’a pas encore arrêté définitivement son approche. Quelle que soit sa forme, il s'agira d'une sorte de resserrement monétaire, même si ses effets ne sont pas encore bien clairs et pourraient ne pas correspondre aux attentes. Le processus n'est sans doute pas seulement calqué sur l'assouplissement quantitatif (QE), mais, toutes choses égales par ailleurs, il contribuera quelque part sur la courbe à exercer une certaine pression ascendante sur les taux ou les rendements. On constate cependant avec un certain étonnement que, dans le cadre de l'assouplissement quantitatif, les banques centrales avaient acheté des obligations lorsqu'elles étaient chères et que les rendements étaient faibles, et que maintenant que les obligations sont bon marché, elles les vendent alors que les rendements sont plus élevés.

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